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fit donc publier de par le roi défense de molefter AN. 1164 en leurs perfonnes les gens de l'archevêque, ni de toucher à ses biens; & auffi-tôt Roger archevêque d'Yore, Gilbert évêque de Londres, Roger de Vorcheftre, Hilaire de Chicheftre, & Barthelemi d'Exceftre se mirent en chemin, pour aller trouver le pape avec quelques clercs de la cour, & quelques feigneurs députez de la part du roi. Ils alloient à grand appareil & chargez de grands préfens pour gagner la cour de Rome.

Cependant l'archevêque Thomas marchoit par des chemins détournez, accompagné d'un religieux de l'ordre de Sempringam & du docteur Hebert de Boscham, qui lui fervoit de guide. Il arriva premierement à Lincolne, puis à un lieu nommé l'Ermitage dependant de Sempringam, où il féjourna trois jours pour reprendre des forces. De-là marchant toûjours de nuit il vint jufqu'à la mer, s'embarqua le jour des Morts fecond de Novembre dans une barque, & arriva à Boulogne lui quatrième. Il alloit à pied portant un habit blanc de moine, & fe faifant nommer frere Chrétien ; mais comme il étoit fatigué de la mer, & peu accoûtumé à marcher ainfi par la pluie & par la boue, après avoir fait un peu de chemin, il fe coucha par terre & dit à fes compagnons: Il faut que vous me portiez, ou que vous me cherchiez une voiture. Ils lui trouverent un cheval, qui n'avoit ni felle ni bride, mais feulement un licou: ils mirent leurs manteaux deffus & l'y firent monter. Un peu après ils trouverent des gens armez

qui demanderent s'il étoit l'archevêque de Cantor- AN. 1164. beri. Il leur répondit : Eft-ce là l'équipage de cet archevêque : & ils ne le reconnurent point.

Il arriva le foir à Graveline & fe mit à table avec .4. fes trois compagnons, qui lui donnerent la derniere place, & affectoient en tout de le faire paroître comme le moindre d'entre eux. Toutefois l'hôte remarqua qu'il fe diftinguoit des autres par fa bonne mine & par fes manieres nobles. Il étoit de belle taille, avoit le front large, le regard fevere, le visage long, les mains belles & grandes ; & il donnoit aux enfans & aux gens de la maifon du peu qu'il y avoit fur la table. Comme le bruit s'étoit déja répandu de la fuite du prélat, l'hôte aïant fait ces observations, tira fa femme à part & lui dit ce qu'il foupçonnoit. La femme impatiente alla auffi-tôt voir le prélat à table, & après l'avoir un peu regardé, elle revint en foûriant dire à fon mari : C'eft lui affûrement. Auffi-tôt elle alla chercher avec empreffement des noix, des pommes, du fromage, & les mit devant le frere Chrétien, qui eût mieux aimé n'être pas fi bien fervi. Après le fouper l'hôte s'approcha de lui & ne voulut jamais s'affcoir qu'à terre à fes pieds: puis il dit: Seigneur je rends graces à Dieu de ce que vous m'avez fait l'honneur d'entrer chez moi. Et qui fuis-je donc, dit le prélat, ne fuis-je pas un pauvre frere nommé Chrétien ? L'hôte reprit: Affurément quelque nom qu'on vous donne je fai fai que vous êtes l'archevêque de Cantorberi. Le prélat ne pouvant plus diffimuler, careffa l'hôte de peur qu'il ne le découvrit, & l'emmena le lendemain avec lui.

c.s.

Or Thomas avoit à craindre non-feulement

AN. 164. Philippe d'Alface comte de Flandres, mais encore Mathieu comte de Boulogne fon frere. Ils étoient par leur mere Sibille d'Anjou coufins germains du roi d'Angleterre qui avoit mandé à Philippe & aux feigneurs de Flandres, que Thomas s'étoit enfui de fon roïaume comme un traître ; & le comte de Boulogne avoit épousé une abbesse fille du roi Eftienne, malgré l'oppofition de Thomas : qui étant lors chancelier avoit fait fon poffible pour empêcher ce mariage scandaleux. Il partit donc de Graveline avant le jour & aïant fait douze lieuës à pied, par un chemin boücux & gliffant, il arriva à Clairmarais monaftere de Cifteaux pres S. Omer. Le même jour arriverrent à S. Omer les prélats que le roi d'Angleterre envoïoit au pape : c'eft pourquoi l'archevêque partit de Clairmarais la nuit même aprés matines, & fe retira à un ermitage de S. Bertin, où il demeura trois jours caché : puis à la pricre de l'abbé & des moines il vint

à S. Bertin même.

Cependant les envoïez du roi d'Angleterre allerent trouver le roi de France Louis le jeune à Compiegne, & lui rendirent les lettres de leur maître; portant que Thomas, ci-devant archevêque de Cantorberi, s'étoit enfui de fon roïaume, comme un traître ; c'eft pourquoi il prioit Louis fon feigneur de ne le pas recevoir dans fes terres. Le roi de France fe récria fur ces mots : Ci-devant archevêque; & demanda, qui l'avoit dépofé. Puis il ajoûta: Affurément je fuis roi auffi-bien

que le

roi d'Angleterre, & toutefois je ne pourrois pas AN. 1164. déposer le moindre des clercs de mon roïaume.

6.7.

X I.

Hebert de Bofcham, & un autre de la compagnie Thomas bien de l'archevêque, fuivoient pas à pas les prélats en- reçû du roi Louis. voïcz du roi, fans qu'ils le fçûffent, car ces prélats les précedoient toûjours d'une journée. Hebert & fon compagnon vinrent donc auffi trouver le roi, de France, qui connoiffoit & eftimoit Thomas dès le tems qu'il étoit chancelier. Il s'informa s'ils étoient de fa famille ; & l'aïant apris il les falua par le baifer, & les écouta favorablement. Quand ils lui eurent raconté, fuivant l'ordre du prélat, l'hif toire lamentable de fes peines & de fes périls, le bon prince en fut attendri ; & leur dit de fon côté que le roi d'Angleterre lui avoit écrit contre le prélat & ce qu'il lui avoit répondu : puis il ajoûta : Avant que de traiter fi rudement un homme d'un fi grand rang & fon ami, il devoit fe fouvenir de ce verset: Mettez-vous en colere & ne pechez point. P. 4. A quoi un des envoïcz répondit: Sire, il s'en feroit peut-être fouvenu, s'il l'avoit oiii chanter à l'office, auffi fouvent que vous; & le roi foûrit. Le lende main le roi aïant tenu confeil avec ceux qu'il avoit auprès de lui, accorda à l'archevêque de Cantorberi la paix & la fûreté dans fon roïaume ; & en congediant fes envoiez il ajouta: Il eft de l'ancienne dignité de la couronne de France, que les exilez principalement les perfonnes ecclefiaftiques trouvent dans le roiaume fûreté & protection.

Les envoïcz de l'archevêque fe retirerent trèscontêns,' & suivant leurs ordres ils se prefferent

XII. Envoyez d'Angleteire devant le pape.

6. 8.

:.

d'aller trouver le pape à Sens, où les envoïez du AN. 1164 roi d'Angleterre étoient arrivez le jour précedent. Leur arrivée ébranla plufieurs cardinaux : tant par l'efperance du gain, que par la crainte du trouble que la colere du roi pourroit causer dans les affaires publiques. Les uns difoient, que Thomas -étoit le défenseur de la liberté de l'église, que fa cause étoit jufte & qu'il le falloit foûtenir les autres que c'étoit un broüillon, dont il falloit reprimer les entreprises. La prévention fut telle que fes envoïez ne purent obtenir des cardinaux d'être reçus feulement au baifer de paix. Toutefois dès le jour de leur arrivée ils eurent le foir audience du pape, qui les écouta favorablement & fut touché jufques aux larmes, du recit qu'ils lui firent des fouffrances de l'archevêque. Il leur dit : Vôtre maî tre a déja aquis de fon vivant la gloire du martire : & comme il étoit fort tard, il leur donna fa benediction & les renvoïa à leur logis.

Le lendemain le pape tint confiftoire avec les cardinaux qui étoient prefque tous presents à fa cour. On appella les envoiez de part & d'autre, & Gilbert,évêque de Londres,parla ainfi pour ceux du roi d'Angleterre : C'eft vous,S. pere,que regarde le foin de l'églife catholique, pour proteger les fages & corriger les temeraires. Il s'eft formé depuis peu en Angleterre une divifion entre le roi & le facerdoce fur une legere occafion ; & on auroit pû facilement l'éteindre, fi on avoitufé de remedes moderez: mais le seigneur archevêque de Cantorberi fuivant fon avis particulier & non pas le nôtre

a pouffé

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