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AN. 1178. qu'il n'en étoit point, & comme on lui demanda s'il en feroit ferment, il dit qu'il étoit homme d'honneur & qu'on devoit le croire fur fa simple affirmation. Toutefois on le preffa tant, qu'il promit de jurer, craignant que le refus même qu'il en feroit ne fut une conviction de cette herefie, qui condamnoit le ferment. Aussi-tôt qu'on apporta des reliques avec grande folemnité, & comme on chantoit l'hymne du faint Efprit, Pierre Moran pâlit & demeura tout interdit.

Mat. VIII.29.

Sup. liv. XXXIV.

n.3L.

Il jura publiquement qu'il diroit la verité sur tous les articles de foi dont on l'interrogeoit, & quelqu'un ayant ouvert le livre des évangiles fur lequel il avoit juré y trouva ces paroles : Qui a-t-il entre vous & nous Jefus fils de Dieu ? vous êtes venu nous tourmenter avant le tems. Ce que l'on appliqua à ces heretiques, par un refte de fuperftition des forts des SS. On demanda à Pierre Moran en vertu de fon ferment ce qu'il croyoit touchant le S. facrement de l'autel; & il foûtint que le pain confacré par le prêtre n'étoit point le corps de J. C. Alors les commiffaires fe leverent fondant en larmes & déclarerent au comte qu'ils le condamnoient comme heretique ; & auffi-tôt il fut mis dans la prifon publique fous la caution de fes parens. Le bruit s'en étant répandu les catholiques furent encouragez & reprirent le deffus dans la ville. Cependant Pierre Moran voyant la mort prefente revint à lui, & promit de fe convertir. On le fit venir nud en chemife; il fe reconnut publiquement heretique, renonça à fon erreur, & promit

par

par ferment & fous caution au comte, à la noblesse & aux principaux bourgeois, de fe foûmettre à tous les ordres du legat. On avertit le peuple de fe trouver le lendemain à S. Sernin pour voir la penitence de Pierre.

Le concours y fut tel, qu'à peine y avoit-il de l'espace autour de l'autel pour y donner au legat la liberté de dire la meffe. Pierre entra par la grande porte de l'église au milieu de cette foule en chemife & nus pieds, frappé d'un côté par l'évêque de Touloufe, de l'autre par l'abbé de faint Sernin, jufques à ce qu'il vint aux pieds du legat fur les degrez de l'autel. Là il fit fon abjuration & fut reconcilié à l'églife. Tous fes biens furent confifquez, & on lui donna pour penitence de quitter le pays dans quarante jours, pour aller fervir les pauvres à Jerusalem pendant trois ans. Cependant il devoit tous les dimanches parcourir les églifes de Toulouse nus pieds & en chemise recevant la difcipline, reftituer les biens d'église qu'il avoit pris & les usures; reparer les torts qu'il avoit fait aux pauvres, & abattre de fond en comble fon château ou fe tenoient les affemblées des heretiques.

Henri abbé de Clairvaux obtint la permission de s'en retourner, à cause du chapitre general de fon ordre qui approchoit ; mais à condition de paffer dans le diocefe d'Albi avec Renauld évêque de Bath; & d'admonefter Roger de Beders feigneur du pays de délivrer l'évêque d'Albi ; qu'il tenoit prifonnier fous la garde des heretiques, & de les chaffer de tout l'Albigeois. L'abbé de Clairvaux

A N. 1178.

XIII. Manichéens ca Albigeois,

AN. 1178.

ep. Pet. Card. ap. Rog. p. 575.

& l'évêque de Bath étant donc entrez dans cette province, qui étoit le principal refuge de l'herefie, Roger fe retira dans des lieux inacceffibles; mais l'évêque & l'abbé vinrent à un château tres-fort, où fa femme demeuroit avec grand nombre de domeftiques & de gens de guerre, & dont tous les habitans étoient heretiques ou fauteurs. Les deux prélats leur prêcherent la foi, fans qu'ils ofaffent rien répondre & declarerent Roger traître, heretique & parjure, pour avoir violé la fûreté promise à l'évêque. Enfin ils l'excommunierent publiquement & le défierent, c'est-à-dire, lui declarerent la guerre, de la part du pape & des deux rois en prefence de fa femme & de fes chevaliers.

L'évêque de Bath accompagné du vicomte de Turenne & de Raimond de Caftelnau trouva dans l'Albigeois deux autres chefs des heretiques, nommez Raimond de Baimiac & Bernard de Raimond, qui fe plaignoient d'avoir été profcrits injustement par le comte de Toulouse & les autres feigneurs; & offroient de venir en prefence du cardinal legat & y foûtenir leur créance, finon leur donnoit fûreté pour aller & revenir. L'évêque & les deux feigneurs la leurs promirent, pour ne pas fcandalifer les foibles fi on refufoit d'entendre ces deux pretendus docteurs. Ils vinrent donc à Touloufe; où le cardinal Pierre de faint Chryfogone & l'évêque de Poitiers auffi légat du pape, avec le comte de Toulouse & environ trois cens perfonnes tant clercs que laïques, s'affemblerent dans l'église cathedrale de faint Etienne.

Les legats ayant ordonné aux deux heretiques AN. 1178. de déclarer leur créance, ils lûrent un papier où elle étoit écrite fort au long. Le legat Pierre y ayant remarqué quelques mots qui lui étoient sufpects, les invita à s'expliquer en Latin; parce qu'il n'entendoit pas bien leur langue, & que les évangiles & les épitres font écrits en Latin: or c'étoient les feuls textes dont les heretiques prétendoient appuyer leur créance. Ils parloient la langue du pays, que le pétit peuple y parle encore & que nous appellons Gafcogne, au lieu que les legats & les autres prelats pour la plûpart parloient François. Mais ces heretiques ne favoient point de Latin, ce qui parut en ce qu'un d'eux l'ayant voulu parler pût à peine dire deux mots de fuite & demeura court; enforte que pour s'accommoder à leur ignorance, il fallut parler en langue vulgaire des mysteres de la religion; ce qui paroiffoit abfurde. Car nos langues vulgaires venuës du Latin étoient encore fi imparfaites, qu'à peine ofoiton les écrire, ou les employer en des matieres ferieufes.

Raimond & Bernard renoncerent donc aux deux principes, & confefferent publiquement qu'il n'y a qu'un Dieu createur de toutes chofes ce qu'ils prouverent même par le nouveau testament. Ils confefferent qu'un prêtre, foit bon, foit mauvais, peut confacrer l'eucariftie; & que le pain & le vaîn y font veritablement changez en la substance du corps & du fang de J. C. Que ceux qui reçoivent nôtre batême, foit enfans foit adultes, font

AN. 18. fauvez, & que perfonne ne peut être fauvé fans l'avoir reçû; niant qu'ils euffent aucun autre batême ou imposition des mains. Ils reconnurent encore que l'ufage du mariage ne nuit point au falut que les évêques, les prêtres, les moines, : les chanoines, les ermites, les Templiers & les Hofpitaliers fe peuvent fauver. Qu'il eft jufte de vifiter avec devotion les églifes fondées en l'honneur de Dieu & des faints; d'honorer les prêtres; leur donner les dîmes & les premices, & s'acquitter des autres devoirs paroiffiaux. Enfin qu'il est louable de faire des aumônes aux églifes & aux pauvres. C'est qu'on les accufoit de nier tous ces articles.

Enfuite on les mena à l'églife de S. Jacques, où en prefence d'une multitude innombrable de peuple, on lut dans le même papier, leur confession de foi écrite en langue vulgaire ; & comme elle paroiffoit catholique, on leur demanda encore fi elle étoit fincere, & ils répondirent qu'ils croyoient ainfi & qu'ils n'avoient jamais rien enfeigné de contraire. Alors le comte de Toulouse & plufieurs autres tant clercs que laïques s'éleverent contre eux avec zele les accufant de menfonge. Les uns déclarerent leur avoir oui dire, qu'il y avoit deux dieux un bon & un mauvais; un bon, qui avoit fait feulement les chofes invisibles, immuables & incorruptibles, un mauvais qui avoit fait le ciel, la terre, l'homme & les autres chofes vifibles. D'autres foûtinrent leur avoir oui prêcher, que le corps de J. C. n'eft point confa

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