pereur les mêmes honneurs que lui donnoient tous les autres peuples de l'empire, c'est-à-dire de ne lui pas ériger des temples, des autels & des ftatues, & de ne pas jurer par fon nom. Ce même Appion écrivit contre les Juifs un livre plein de menfonges & d'impoftures : entr'autres que dans leur fanctuaire il y avoit eu une tête d'âne; & que comme elle étoit d'or & de grand prix, Antiochus Epiphane l'avoit emportée lorfqu'il pilla le temple. Cet Appion étoit un homme vain, grand parleur, & plein d'oftentation : l'empereur Tibére l'appelloit le tambour du monde. Les députés des Juifs étant arrivés à Rome, ils se préfentérent à l'empereur pour la premiére fois dans le champ de Mars, comme il fortoit du jardin de fa mere. Il leur rendit leur falut, leur montra un vifage gai, fit figne de la main qu'il leur feroit favorable: il leur fit dire par Homilus, qui étoit chargé du foin des ambaffadeurs, qu'il entendroit leur affaire à loifir. Tous les affiftans les félicitoient de ce bon accueil : mais Philon, qui avoit plus d'âge & d'expérience que les autres, fe défioit de ces belles apparences. Ils allérent à Pouzole à la fuite de l'empereur, qui vifitoit les belles maifons de cette côte. Comme ils attendoient leur audience, un Juif s'approcha d'eux, hors d'haleine, les yeux égarés & baignés de larmes. Il les tira à part, & leur dit: Sçavez-vous les nouvelles? Et comme il voulut continuer, les pleurs lui coupérent la parole jufqu'à trois fois. Les députés épouvantés le prefférent de s'expliquer. Nous n'avons plus de temple,, leur dit-il, Caius fait dreffer une ftatue coloffale dans le fanctuaire fous le nom de Jupiter. Les députés à cette nouvelle demeurérent fans voix & fans mouvement; elle leur fut confirmée par d'autres : ils s'en firent conter le détail, & on leur dit ce qui s'étoit paffé à Jamnia, l'ordre que Pétrone avoit reçu, la follicitation que les Juifs de Palestine lui avoient faite, & tout le refte. Dans le même tems, c'est-à-dire peu après que l'empereur eut fait réponse à Pétrone, le roi Agrippa, qui étoit à Rome, & ne fçavoit rien de tout cela, vint pour lui faire fa cour. Il vit que l'empereur étoit en colére & le regardoit de travers, & il ne fçavoit qu'en penfer. L'empereur lui dit: Agrippa, je veux vous tirer de peine. Vos bons & fidèles fujets, qui feuls de tout le genre humain ne me tiennent pas pour un dieu, femblent par leur défobéiffance chercher la mort. J'ai ordon Gell. lib. v.o. 141, nat. Leg. p. 1019. Phil. legat. P. 1018.C. Jof. xv111.antiq, c.11.p. 642. G. C. né que l'on confacre dans leur temple une ftatue de Jupiter, & ils font fortis de la ville & du plat pays à grandes troupes, en apparence pour demander grace, en effet pour résister à mes ordres. Il alloit continuer ; mais Agrippa, après avoir changé plufieurs fois de couleur, commença à trembler depuis la tête jufqu'aux pieds, & fût tombé, fi ceux qui fe trouvérent proche ne l'euffent foutenu. On l'emporta à fon logis, privé de fentiment. Mais l'empereur n'en fut que plus irrité contre les Juifs. Car, difoit-il, fi Agrippa mon ami, qui m'a tant d'obligations, eft fi attaché à fa religion, qu'il ne peut entendre une parole qui la choque, fans tomber en foibleffe, que doisje attendre des autres que rien ne retient? Agrippa demeura fans connoiffance tout ce jour, & le jour fuivant jufques au foir. Enfin étant revenu à lui, il écrivit à l'empereur une grande lettre, où il lui repréfentoit : Qu'étant Juif, & né à Jérusalem il ne pouvoit s'empêcher de prendre l'intérêt de la ville & de toute la nation: Que Jérufalem étoit regardée comme capitale & métropole, non-feulement par la Judée, mais par les Juifs établis dans tous les pays voifins, & principalement au-delà de l'Eufrate, où ils étoient en très-grand nombre: que tous fentiroient l'effet de la grace qu'il demandoit: que cette grace n'étoit ni le droit de cité, ni la liberté; mais feulement la confervation de leur religion. Venant au temple en particulier, il représentoit, qu'il avoit été épargné par les ennemis même, & respecté par les étrangers: Qu'Agrippa, aïeul de l'empereur, avoit admiré le bel ordre du fervice; que l'empereur Tibére avoit conferLeg. p. 1033. vé les droits du temple & de la fainte cité, jusques à obliger Pilate à ôter de Jérufalem des boucliers d'or qu'il lui avoit confacrés, quoique fans aucune image: qu'Augufte avoit défendu d'empêcher les Juifs de s'affembler dans leurs fynagogues, ni d'envoyer leurs collectes à Jérufalem; & avoit lui-même fondé un facrifice perpétuel d'un taureau & de deux agneaux tous les jours que l'impératrice Livie fon épouie, avoient donné au temple des coupes d'or & d'autres vafes précieux. Agrippa finiffoit par les graces que lui-même avoit reçues de l'empereur; & concluoit que paroiffant en être tant aimé, s'il n'obtenoit pas cette liberté pour fa religion, on croiroit qu'il avoit P. 1035. E. P. 1038. trahi la caufe commune. L'empereur, lifant, la lettre d'Agrippa, fut agité de divers mouvemens. Enfin il s'adoucit: il lui accorda comme une gra . ce très fingulière que la ftatue ne feroit point dédiée, & écrivit à Pétrone de ne rien innover dans le temple des Juifs. Mais, ajoûta-t-il, fi dans les autres villes, excepté Jérusalem feule, quelqu'un me veut ériger des autels, des temples ou des ftatues, quiconque s'y oppofera foit auffitôt puni, ou qu'on me l'envoie. Il fe repentit bientôt de cette bonté : & laiffant la ftatue de Sidon, il fit faire à Rome un autre coloffe de bronze doré, pour le tranfporter fecrettement par mer, & le mettre tout d'un coup dans le temple de Jérufalem, avant que perfonne s'en apperçût. Il donna enfin audience aux députés des Juifs d'Alexandrie. Ce fut près de Rome, comme il fe faifoit montrer les maifons qui dépendoient des jardins de Mécénas & de Lamia. Au premier abord, les Juifs fe profernérent, l'appellant empereur & Augufte. Lui, d'un air moqueur & outrageant, leur demanda Etes-vous ces ennemis des dieux, qui êtes les feuls à ne me pas connoître pour un dieu, moi qui le fuis du confentement de tout le monde, & qui me préférez votre Dieu fans nom? Puis levant les mains au ciel, il ajoûta une parole, que Philon n'a ofé rapporter, tant elle étoit impie. Les ennemis des Juifs étoient ravis. Ils battoient des mains, ils fautoient, & donnoient à l'empereur les titres de tous les dieux. Un nommé Ifidore lui dit: Seigneur, vous détefteriez bien davantage ces gens, fi vous connoiffiez leur impiété & leur malice. Ils ont été les feuls qui n'ont point fait de facrifices pour votre fanté. Et quand je dis ceux-ci, je dis tous les Juifs. Les députés des Juifs s'écriérent tous d'une voix: Seigneur Caïus, c'eft une calomnie. Nous avons immolé des hécatombes; & après avoir répandu le fang fur l'autel, nous avons fait brûler les victimes toutes entiéres fans emporter les chairs pour les manger: & nous l'avons fait par trois fois, la premiére à votre avénement à l'empire: la feconde quand vous revîntes de cette grande maladie : la troifiéme, pour demander la victoire fur les Germains. Soit, dit l'empereur, vous avez fait des facrifices, mais à un autre: de quoi cela me fert-il, puifque ce n'eft pas à moi que vous avez facrifié ? A ces paroles les députés friffonnoient d'hor reur. Cependant il vifitoit les appartemens du haut en bas, regardant les falles & les chambres, marquant ce qui lui déplaifoit & ce qu'il vouloit changer. Les députés montoient & def P. 1042. Jof.xv111. Antiq. 6. 10. XX. Juifs maltraités chez les Parthes. cendoient après lui, pouffés & moqués comme en une comédie. Après avoir donné quelques ordres pour ses bâtimens, il leur demanda d'un air férieux : Pourquoi ne mangez-vous point de porc ? Il s'éleva un grand éclat de rire, comme s'il eût dit un bon mot : enforte que quelques-uns de ses officiers trouvoient qu'on lui manquoit de respect. Les Juifs répondirent, que chaque nation avoit fes coutumes, & que leurs adverfaires s'abftenoient auffi de certaines viandes. Un d'eux ajoûta que plufieurs ne mangeoient point d'agneau, quoiqu'il s'en trouve par-tout. Je le crois bien, dit l'empereur en riant, c'eft qu'il n'a point de goût. Enfin il leur dit avec quelque émotion: Je voudrois bien fçavoir fur quoi vous fondez ce droit de cité que vous prétendez. Ils commencérent à parler : mais comme il vit que leurs raifons n'étoient pas méprifables, avant qu'ils en diffent de plus fortes, il s'enfonça en courant dans une grande falle, & commanda d'y mettre des vitres aux fenêtres. Puis il revint doucement, & leur demanda ce qu'ils difoient. Ils réduifoient leurs difcours en abrégé, quand il fe mit à courir dans une autre falle, où il faifoit placer des tableaux originaux. Enfin témoignant avoir pitié d'eux, il dit : Ces gens ne me paroiffent pas fi méchans que malheureux, de ne fe pouvoir perfuader que je participe à la nature divine. Il s'en alla, & leur ordonna de fe retirer. C'eft ainfi que l'empereur Caligula traita les députés des Juifs. Philon, pour les confoler, leur difoit : Prenons courage, puifque Caïus nous témoigne tant de colére par fes paroles, Dieu nous défendra par les effets. Dans ce même tems les Juifs étoient maltraités auffi chez les Parthes, en Méfopotamie, & vers Babylone; & ils y furent Ibid. c. 10. p. 644. tués en plus grand nombre, qu'en aucune occafion dont on eût encore oui parler. Il y avoit quantité de Juifs à Nifibe & à Naharda, fur l'Eufrate, deux villes fortes où se mettoit en dépôt tout l'argent que les Juifs du pays envoyoient à Jérufalem. Deux Juifs de Naharda, Afinée & Anilée freres, s'étant mis à piller avec une troupe de volontaires, fe rendirent fi redoutables, que leur réputation alla jufques à Artaban, roi de Parthes : il les voulut voir, & donna à Afinée le gouvernement de la province de Babylone, dont il jouit quinze ans avec un pouvoir abfolu dans toute la Méfopotamie. Son frere Anilée fuccéda à fa puiffance: mais il ne la fçut pas conferver; & s'étant rendu odieux, les Babyloniens le fur Ibid. p 647. prirent prirent de nuit, le tuérent, & défirent toutes fes troupes. Délivrés de cet obftacle, ils firent éclater librement leur haine ancienne contre les Juifs, fondée fur l'oppofition de leurs mœurs. Ils fe jettérent donc fur les Juifs, qui n'étant pas affez forts pour leur résister, ni affez patiens pour fouffrir leurs infultes, pafférent à Séleucie, où leur nombre s'accrut quelque tems après de ceux qu'une pefte chaffa de Babylone. Seleucie étoit la ville la plus confidérable du pays, fondée par Séleucus Nicanor, habitée par des Grecs en grand nombre & des Syriens. Ces deux nations étoient toujours oppofées, & les Grecs étoient les plus forts: mais alors les Syriens, foutenus par les Juifs, prirent le deffus. Les Grecs cherchérent à les diviser, & s'étant réunis eux-mêmes, avec les Syriens, ils fe jettérent tout d'un coup fur les Juifs, & en tuérent plus de cinquante mille. Les amis & les voifins en fauvérent par pitié quelques-uns, quife retirérent à Ctéfiphon, ville grecque, voifine de Séleucie, croyant y être plus en fûreté, par le refpect du roi des Parthes, qui avoit accoutumé d'y paffer l'hyver. Cependant tous les Juifs des environs étoient dans les allarmes continuelles, puifque tous les Syriens, c'eft-à-dire tous les naturels du pays, confpiroient à leur ruine avec les Séleuciens. C'est l'état où fe trouvoient les Juifs dans cette partie de l'orient, & la vengeance divine commençoit à éclater contre eux de toutes parts. L'empereur Caligula, s'étant rendu infupportable par fes cruautés & fes extravagances, fut tué le 24 jour de Janvier, l'an 41 de Jefus-Chrift. Il étoit dans la vingt-neuviéme année de fon âge, & la quatrième de fon règne', ayant commandé pendant trois ans & dix mois. Ce fut Caffius Cherea, tribun des foldats prétoriens, c'est-à-dire de ses gardes, qui le prit dans un paffage fouterrain comme il regardoit de jeunes gens deftinés au théâtre. On le perça de trente coups; fa femme Céfonia fut tuée par un centurion d'un coup d'épée au travers du corps, & fa fille, encore enfant, écrasée contre une muraille. Sa mémoire fut condamnée comme d'un tyran. A fa place fut reconnu empereur fon oncle Tibérius Claudius Drufus Germanicus, fils de Drufus, fils de l'impératrice Livia. Il étoit âgé de cinquante ans, & en régna treize. Il avoit de l'étude & de bonnes inclinations; mais il étoit absTome I. D XXI. pereur. Suet, in Caio. c. 18. |