quand ils étoient néceffaires, comme les dates des prophéties. Il importe, pour la fuite de la tradition, de fçavoir la fucceffion continue des papes & des autres évêques des fiéges apoftoliques: auffi les anciens nous l'ontils fidellement confervée; mais il eft impoffible de fçavoir la durée de chaque pape, pendant les deux premiers fiécles: & quand on la fçauroit l'utilité en feroit petite, puifqu'on ne fçait prefque rien de leurs actions. Voilà les raifons qui m'ont empêché de m'enfoncer dans les recherches de chronologie, afin d'avoir plus de tems pour examiner la substance des faits, & les mettre en évidence. Je me fuis fervi du travail de ceux qui m'ont précédé, fans toutefois les fuivre aveuglément : j'ai marqué les dates qui m'ont paru folidement établies; je n'en ai point mis aux faits dont je n'ai point trouvé le tems certain, & je les ai placés dans les intervalles les plus vraisemblables, toujours prêt à corriger mes fautes quand je les aurai reconnues. J'ai fuivi les mêmes règles pour la géographie je m'en fuis rapporté à ceux qui en ont fait une étude particuliére. Mais j'ai foigneufement obfervé de nommer les lieux, conformément à l'ufage de chaque tems: pendant ces premiers fiécles, je dis toujours la Gaule, la Germanie, la grande Bretagne, la Lufitanie. Il me femble que c'eft faire un anacronifme de parler autrement, & de nommer France ou Angleterre, les pays où les François & les Anglois n'étoient pas encore. J'ai été plus embarraffé pour la traduction des noms propres, qui ne font pas familiers en notre langue; & j'ai mieux aimé pour la plupart les laiffer entiers, comme on les prononce en grec & en latin, que de les trop défigurer ou en rendre la prononciation incommode. Quant aux noms de dignités & de fonctions, ou de certaines chofes qui regardent les moeurs; je les ai fouvent laiffés dans leur langue originale, les expliquant par circonlocution, plutôt que de les rendre par les mots qui fignifient parmi nous des chofes approchantes, mais qui tiennent trop de nos moeurs. Ainfi je ne dis point un colonel, mais un tribun: je dis des licteurs plutôt que des fergens : je ne parle ni de gentilshommes ni de bourgeois, mais de nobles, de citoyens, d'efclaves: enfin je conferve le caractére des moeurs antiques, autant que notre langue le peut fouffrir, & peut-être avec un peu trop de hardieffe. IX. Pourquoi premiers fiécles. En général j'ai fait moins d'attention à l'exactitude du flyle qu'au fonds des chofes, & j'efpere que le lecteur équitable prendra le même efprit: fi peu d'écrits des qu'il ne cherchera dans l'hiftoire eccléfiaftique que ce qui y eft; & qu'il s'appliquera plutôt à en profiter,. qu'à la critiquer. Quelques-uns trou. vent mauvais que l'hiftoire ne dife pas tout. Pourquoi, difent-ils, avonsnous fi peu de chofe des apôtres, de leurs premiers difciples, des premiers papes? Pourquoi les anciens ne nous ont-ils pas expliqué plus en détail les cérémonies, la difcipline & la police des églifes, les dogmes mêmes de la religion? C'étoit la plainte des Centuriateurs. Aveugles qui ne voyoient pas que ces plaintes attaquent la providence divine & la promeffe de J. C. d'affifter perpétuellement fon églife! Adorons avec un profond respect la conduite de la fageffe incarnée, fans rien defirer Tome I. Præf. au-delà de ce qu'il lui a plu de nous donner. C'eft fans doute par de Ex fcript. elect. 4.27 X. Utilité de Phiftoire ecclé. & très-folides raifons que J. C. lui-même n'en a rien écrit, & que Les difciples des apôtres fuivirent leurs maximes: faint Clément Alexan- Laiffant donc les vains defirs, appliquons-nous à profiter de ce qui fiaftiq. Doctrine. nous refte, & confidérons dans toute la fuite de l'hiftoire eccléfiaftique la doctrine, la difcipline, les mœurs. Ce ne font point ici des raifonnemens ni de belles idées : ce font des faits pofitifs, qui n'en font pas moins vrais, foit qu'on les croie ou non, qu'on les étudie ou qu'on les néglige. On voit une églife églife fubfiftante fans interruption par une fuite continuelle de peuples fidèles, de pasteurs & de miniftres, toujours vifibles à la face de toutes les nations: toujours diftinguée non feulement des infidèles par le nom de Chrétienne, mais des fociétés hérétiques & fchifmatiques par le nom de Catholique ou univerfelle. Elle fait toujours profeffion de n'enfeigner que ce qu'elle a reçu d'abord, & de rejetter toute nouvelle doctrine: que fi quelquefois elle fait de nouvelles décifions & emploie de nouveaux mots, ce n'eft pas pour former ou exprimer de nouveaux dogmes, c'eft feulement pour déclarer ce qu'elle a toujours cru, & appliquer des remèdes convenables aux nouvelles fubtilités des hérétiques. Au refte elle se croit infaillible en vertu de la promeffe de fon fondateur, & ne permet pas aux particuliers d'examiner ce qu'elle a une fois décidé. La règle de fa foi eft Îa révélation divine, comprise non feulement dans l'écriture, mais dans la tradition, par laquelle elle connoît même l'écriture. Quant à la difcipline, nous voyons dans cette hiftoire une politique toute fpirituelle & toute célefte. Un gouvernement fondé fur la charité, ayant uniquement pour but l'utilité publique, fans aucun intérêt de ceux qui gouvernent. Ils font appellés d'en haut; la vocation divine fe déclare par le choix des autres pafteurs, & par le confentement des peuples. On les choifit pour leur feul mérite, & le plus fouvent malgré eux: la charité feule & l'obéiffance leur font accepter le miniftére, dont il ne leur revient que du travail & du péril; & ils ne comptent pas entre les moindres périls celui de tirer vanité de l'affection & de la vénération des peuples, qui les regardent comme tenant la place de Dieu même. Cet amour refpectueux du troupeau fait toute leur autorité: ils ne prétendent pas dominer comme les puiffances du fiécle, & fe faire obéir par la contrainte extérieure: leur force eft dans la perfuafion: c'eft la fainteté de leur vie, leur doctrine, la charité qu'ils témoignent à leur trɔupeau par toutes fortes de fervices & de bienfaits, qui les rendent maîtres de tous les coeurs. Ils n'ufent de cette autorité que pour le bien du troupeau même, pour convertir les pécheurs, réconcilier les ennemis, tenir tout âge, tout fexe dans le devoir & dans la foumiffion à la loi de Dieu. Ils font maîtres des biens comme des cours; & ne s'en fervent que pour affifter les pauvres, vivant pauvrement eux-mêmes, & fouvent du travail de leurs mains. Plus ils ont d'autorité, moins ils s'en attribuent; ils traitent de freres les prêtres & les diacres; ils ne font rien d'important fans leur confeil, & fans la participation du peuple. Les évêques s'affemblent fouvent pour délibérer en commun des plus grandes af faires, & fe les communiquent encore plus fouvent par lettres: en forte que l'églife répandue par toute la terre habitable, n'eft qu'un feul corps parfaitement uni de créance & de maximes. La politique humaine n'a aucune part à cette conduite. Les évêques ne cherchent à fe foutenir par aucun avantage temporel, ni de richeffes ni de crédit, ni de faveur auprès des princes & des magiftrats, même fous prétexte du bien de la religion. Sans prendre parti dans les guerres civiles, fi fréquentes en un empire électif, ils reçoivent paisiblement les Tome 1. XI. Discipline. maîtres que la providence leur donne par le cours ordinaire des chofes humaines ils obéiffent fidellement aux princes païens & perfécuteurs; & réfiflent courageufement aux princes Chrétiens, quand ils veulent appuyer quelque erreur, ou troubler la difcipline. Mais leur réfiftance fe termine à refufer ce qu'on leur demande contre les règles, & à fouffrir tout & la mort même, plutôt que de l'accorder. Leur conduite eft droite & fimple, ferme & vigoureufe fans hauteur, prudente fans fineffe ni déguifement. La fincérité eft le caractére propre de cette politique célefte; comme elle ne tend qu'à faire connoître la vérité & à pratiquer la vertu, elle n'a befoin ni d'artifice ni de fecours étrangers, elle le foutient par elle-même. Plus on remonte dans l'antiquité eccléfiaftique, plus cette candeur & cette noble fimplicité y éclatent enforte que l'on ne peut douter que les apôtres ne l'aient infpirée à leurs plus fidèles difciples, en leur confiant le gouvernement des églifes: s'ils avoient eu quelque autre fecret, ils le leur auroient enfeigné, & le tems l'auroit découvert. Et qu'on ne s'imagine point que cette fimplicité fût un effet du peu d'efprit, ou de l'éducation groffiére des apôtres & de leurs premiers difciples: les écrits de S. Paul, à ne les regarder même que naturellement, ceux de S. Clement pape, de S. Ignace, de S. Polycarpe ne don neront pas une opinion médiocre de leur efprit ; & pendant les fiécles fuivans on voit la même fimplicité de conduite, jointe à la plus grande fubtilité d'efprit & à la plus puiffante éloquence. Je fçais que tous les évêques, même dans les meilleurs tems, n'ont pas également fuivi ces faintes règles, & que la difcipline de l'églife ne s'est pas confervée auffi pure & auffi invariable que la doctrine. Tout ce qui gît en pratique dépend en partie des hommes & fe fent de leurs défauts. Mais il est toujours conftant que dans les premiers fiécles la plupart des évêques étoient tels que je les décris, & que ceux qui n'étoient pas tels, étoient regardés comme indignes de leur miniftére. Il eft conftant que dans les fiécles fuivans on s'eft toujours propofé pour règle cette ancienne difcipline : on l'a confervée ou rappellée, autant que l'ont permis les circonftances des lieux & des tems. On l'a du moins admirée & fouhaitée : les vœux de tous les gens de bien ont été pour en demander à Dieu le rétablissement, & nous voyons depuis deux cens ans un effet fenfible de ces prières. C'en eft affez pour nous exciter à connoître cette fainte antiquité, & nous encourager à l'étudier de plus en plus. Enfin la derniére chofe que je prie le lecteur de confidérer dans cette hiftoire, & qui eft plus univerfellement à l'ufage, de tous, c'eft la pratique de la morale chrétienne. En lifant les livres de piété anciens & modernes, en lifant l'évangile même, cette penfée vient quelquefois à l'efprit: Voilà de belles maximes, mais font-elles pratiquables? Des hommes peuvent-ils arriver à une telle perfection? En voici la démonftration ce qui fe fait réellement eft poffible, & des hommes peuvent pratiquer, avec la grace de Dieu, ce qu'elle a fait pratiquer à tant de faints, qui n'étoient que des hommes. Et il ne doit refter aucun doute touchant là vérité du fait ; on peut s'affûrer que tout ce que j'ai mis dans cet ou vrage, eft auffi certain qu'aucune hiftoire que nous ayons. On verra donc ici tout ce que les philofophes ont enfeigné de plus excellent pour les mœurs, pratiqué à la lettre, & par des ignorans, des ouvriers, de fimples femmes. On verra la loi de Moyfe bien audeffus de la philofophie humaine, amenée à fa perfection par la grace de J. C. Et pour entrer un peu dans le détail, on verra des gens véritablement humbles, méprisant les honneurs, la réputation; contens de paffer leur vie dans l'obscurité & l'oubli des autres hommes: des pauvres volontaires, renonçant aux voies légitimes de s'enrichir ; ou même se dépouillant de leurs biens, pour en revêtir les pauvres. On verra la douceur, le pardon des injures, l'amour des ennemis, la patience jusqu'à la mort & aux plus cruels tourmens, plutôt que d'abandonner la vérité. La viduité, la continence parfaite, la virginité même inconnue jufqu'alors, confervée par des perfonnes de l'un & de l'autre fexe, quelquefois jufques dans le mariage. La frugalité & la fobriété continuelles, les jeûnes fréquens & rigoureux : & les veilles, les cilices, tous les moyens de châtier le corps, & de le réduire en fervitude : toutes ces vertus pratiquées, non par quelques perfonnes diftinguées, mais par une multitude infinie. Enfin des folitaires innombrables qui quittent tout pour vivre dans les déferts, non feulement fans être à charge à perfonne, mais fe rendant utiles, même fenfiblement, par les aumônes & les guérifons miraculeuses, uniquement occupés à dompter leurs paffions & à s'unir à Dieu, autant qu'il eft poffible à des hommes chargés d'un corps mortel. Mais je ne prétends pas être cru fur ma parole jugez-en par yous-mêmes, lifez & voyez. |