S. Lin, & de S. Jean par Procore, aux faux Hegefipes, aux décrétales attribuées aux premiers Papes: on a reconnu, entre les ouvrages de la plupart des peres de l'Eglife, des fermons & d'autres piéces qu'on avoit fait malà-propos paffer fous leur nom. Quand l'auteur eft certain, il faut encore examiner s'il eft digne de foi, à peu près comme on examine des témoins en juftice. Celui dont le ftyle montre de la vanité, peu de jugede la haine, de l'intérêt, ou quelqu'autre paffion, mérite moins de créance qu'un auteur férieux, modefte, judicieux, dont la vertu & la fincérité font d'ailleurs connues. Les hommes trop fins ou trop groffiers font prefque également fufpects: ceux-ci ne fçavent pas dire ce qu'ils veulent, ceux-là donnent fouvent pour vérités leurs penfées & leurs conjectures. Celui qui a vu, eft plus croyable que celui qui a feulement ouï-dire & à proportion on doit préférer l'habitant du pays à l'étranger; celui qui rapporte fes propres affaires, aux perfonnes indifférentes. Car chacun doit être cru fur fa doctrine, fur l'hiftoire de fa fecte: nul autre n'en eft jamais fi bien informé : les étrangers & les ennemis font fufpects; mais on prend droit fur ce qu'ils difent de favorable au parti contraire. Ce qui eft contenu dans les lettres & les autres actes du tems, doit être préféré au récit des hiftoriens. C'eft par ces règles que l'on doit fe déterminer fur les contradictions des écrivains contemporains. S'il n'y a que de la diverfité, il faut les concilier: s'il eft impoffible, & que le fait foit important, il faut choifir. Je fçais qu'il eft plus commode pour l'historien de rapporter les différentes opinions des anciens, & en laisser le jugement aux lecteurs. Mais ce n'eft pas le plus agréable pour eux. La plupart cherchent des faits certains: ils ne veulent pas étudier, mais profiter des études d'autrui, & n'aiment pas à douter, parce que c'eft toujours ignorer. C'est ce qui m'a fait prendre le parti d'omettre la plupart des faits douteux, d'autant plus que je ne manquois pas de matiére. Mais je n'ai pas cru devoir rapporter tous les faits qui font bien prouvés j'ai laiffé ceux qui m'ont paru inutiles à mon deffein; c'eft-à-dire à montrer la doctrine de l'Eglife, fa difcipline & fes moeurs. Il est vrai que, dans les premiers fiécles, tout m'a paru précieux, & j'ai mieux aimé en mettre plus que moins. J'ai même paffé les bornes de la fimple narration, en inférant des paffages ou des extraits affez longs des auteurs anciens. Mais j'ai confidéré que l'hiftoire même profane ne confifte pas feulement en des faits extérieurs & fenfibles. Elle ne fe contente pas de rapporter les voyages, les batailles, les prifes de villes, la mort ou la naiffance des Princes: elle explique leurs deffeins, leurs confeils, leurs maximes; cette partie eft d'ordinaire la plus agréable aux gens fentés, & c'eft toujours la plus utile. A plus forte raifon l'hiftoire de la religion ne doit pas feulement confifter à marquer les dates de l'élection ou de la mort des papes & des évêques, à raconter des miracles, ou les fupplices des martyrs, ou les auftérités des moines. Tout cela y doit entrer: mais il est encore plus néceffaire d'expliquer quelle étoit cette doctrine que les miracles autorifoient, & que les martyrs foutenoient par leur témoi gnage. Il ne fuffit pas de dire qu'en tel tems & en tel lieu on tint un con IV. Qualité du Ryle. cile où un tel hérétique fut condamné: il faut autant qu'on le peut, expliquer les dogmes de cet hérétique, quelle couleur il leur donnoit & par quelle preuve on les réfutoit. Si on écrivoit l'hiftoire de la philofophie, on ne fe contenteroit pas de raconter la vie des philofophes & leurs actions, on expliqueroit leurs dogmes. Or l'hiftoire eccléfiaftique eft l'hiftoire de la vraie philofophie; & les faits les plus importans qui la compofent, c'est que dès un tel tems on enfeignoit telle doctrine, & on fuivoit telle maxime. Quant aux menus faits, fans liaison entre eux ou fans , rapport au but principal de toute l'hiftoire, j'eftime que l'on doit hardiment les négliger. Il ne s'agit pas de montrer que nous avons tout lu, & que rien n'a échappé à nos recherches; ce feroit une vanité puérile. Il s'agit d'édifier l'Eglife, & d'employer utilement notre loifir pour le foulagement de nos freres. Il ne faut mêler rien d'étranger au fujet, quelque curieux qu'il nous paroiffe, & ne pas faire comme Platine, qui, faute de matiére, remplit les vies des premiers papes de l'hiftoire des empereurs païens du même tems. On doit foigneufement diftinguer même dans les princes chrétiens ce qu'ils ont fait comme chrétiens, de ce qu'ils ont fait comme princes. Et depuis que les évêques & les papes ont eu grande part aux affaires féculiéres, ou qu'ils ont été princes temporels, il ne faut pas prendre. le change, ni charger l'hiftoire eccléfiaftique de ce qu'ils ont fait en une autre qualité que d'évêques & de chrétiens. J'ai cru feulement devoir marquer la fuite des empereurs, comme un fil pour conduire la chronologie; & j'ai raconté quelques faits de l'hiftoire profane, qui avoient rapport à mon fujet, principalement les morts tragiques des perfécuteurs. Autant qu'il faut retrancher les faits inutiles, autant faut-il avoir foin de circonftancier les faits utiles. Non que je vouluffe me donner la liberté d'ajoûter la moindre particularité, fous prétexte qu'elle feroit vraifemblable. Cette licence n'appartient qu'aux poëtes: l'hiftorien doit mettre l'exacte vérité pour fondement de fon travail. Mais il doit recueillir exactement toutes les circonftances qu'il trouve dans les originaux, afin de peindre les faits importans, & les mettre, autant qu'il peut, devant les yeux. Outre le plaifir que donnent ces peintures, l'utilité en eft grande elles frappent vivement l'imagination, & entrent profondément dans la mémoire, tenant l'efprit arrêté long-tems fur un même objet. Quand je n'écrirois qu'un abrégé, je voudrois raconter ainfi les faits que je jugerois dignes d'y entrer, retranchant les autres abfolument pour leur faire place; & c'eft principalement le défaut de cette observation qui rend tant d'hiftoires fèches & ennuyeufes. On croit y remédier par l'élégance du ftyle, par les fentences & les réflexions ingénieufes. Souvent les ignorans y font pris, & ne laiffent pas d'admirer & de louer une hiftoire qui les ennuie, & dont ils ne retiennent rien. Les gens fenfés ne fe payent ni d'épithètes, ni de grandes phrafes, ni de jeux d'efprits, ni de fentences, ni en un mot de tout ce qui n'eft que de l'auteur: ils cherchent des faits folides, fur lefquels ils puiffent eux-mêmes porter leur jugement. Pour peu que l'auteur foit judicieux, il doit penfer que plufieurs de fes lecteurs le feront plus que lui: il ne doit pas les prévenir, ni leur ôter le plaifir de faire leurs réflexions: S'il faut retrancher les réflexions, à plus forte raifon les differtations V. Règles de nent point férieufement, & n'y font attachés que par les préjugés de l'enfance & par des intérêts temporels. Ils n'ont jamais examiné les preuves folides de l'évangile, ni goûté l'excellence de fa morale & l'efpérance des biens éternels. C'eft pourquoi ils n'ofent approfondir; ils craignent de connoître l'antiquité, fçachant bien qu'elle ne leur eft pas favcrable: ils veulent croire que l'on a toujours vécu comme aujourd'hui parce qu'ils ne veulent pas changer de moeurs. Comme s'il pouvoit jamais être utile de fe tromper, ou fi la vérité pouvoit devenir fauffe, à force d'être examinée. Graces à Dieu, la religion chrétienne a été mife à toute épreuve, & elle ne craint que de n'être pas connue. Une autre espèce de gens trop crédules font des chrétiens fincéres, mais foibles & fcrupuleux, qui refpectent jufqu'à l'ombre de la religion, & craignent toujours de ne croire pas affez. Quelques-uns manquent de lumiére; d'autres fe bouchent les yeux, & n'ofent fe fervir de leur esprit : ils mettent une partie de la piété à croire tout ce qu'ont écrit des auteurs catholiques, & tout ce que croit le plus ignorant. Pour moi, j'ef time que la vraie piété confifte à aimer la vérité & la pureté de la religion, & à obferver avant toutes chofes les préceptes marqués expreffément dans l'écriture. Or je vois que S. Paul recommande plufieurs fois à Tite & à Timothée d'éviter les fables, & qu'entre les défordres des derniers tems, il prédit que l'on fe détournera de la vérité pour s'appliquer à des fables: je vois que les doctes fables ne font pas moins rejettées par S. Pierre, que les contes de vieilles par S. Paul; & comme il condamne les fables judaïques, je crois qu'il auroit condamné les fables chrétiennes, s'il y en eût eu dès-lors. Que diront à cela ceux que la timidité rend fi crédules? N'auront-ils point de fcrupule de mépriser une telle autorité ? diront-ils que jamais il n'y a eu de fables chez les chrétiens? Il faudroit démentir toute l'antiquité; & quand nous n'aurions que la légende dorée de Jacques de Voragine, elle n'eft que trop fuffifante. La donation de Conftantin n'eft pas crue même à Rome : la papeffe Jeanne, crue autrefois par les catholiques, eft abandonnée & réfutée par les proteftans; Baronius, fans doute bon catholique, a rejetté quantité d'écrits apocryphes, & de fables avancées par Métaphrafte & par plufieurs autres. La critique eft donc néceffaire: fans manquer de refpect pour les traditions, on peut examiner celles qui font dignes de créance: on le doit même, fous peine de manquer de refpect aux vraies en y mêlant des fauffes. Sans douter de la toute-puiffance de Dieu, on peut & on doit examiner fi les miracles font bien prouvés, pour ne pas porter faux témoignage contre lui, en lui en attribuant qu'il n'a pas faits. Tous ces faits particuliers ne font rien à la religion. Que faint Jacques ne foit jamais venu en Efpagne, ni fainte Magdelaine en Provence que nous ignorions l'hiftoire de faint Grégoire & de fainte Marguerite, l'évangile en fera-t-il moins vrai ? Serons-nous moins obligés à croire la Trinité & l'Incarnation, à porter notre croix, à renoncer à nous-mêmes, & à mettre toute notre espérance dans le ciel ? Les traditions univerfellement reçues tou chant pas chant les dogmes de la foi, l'administration des facremens & les pratiques de piété, ne peuvent être trop refpectées: la plupart même fe trouvent marquées dans les écrits des premiers fiécles. Mais ce refpect ne doit être étendu à tous les faits que l'ignorance ou la malice, abufant de la crédulité des peuples, a introduits depuis fept ou huit cens ans. Car les fables fe découvrent tôt ou tard; & alors elles donnent occafion de fe défier de tout, & de combattre les vérités les mieux établies. C'est un des prétextes les plus fpécieux des proteftans, pour calomnier l'églife catholique. Ils ont perfuadé aux peuples que nous avions oublié J. C. pour n'adorer que les faints; que notre religion étoit réduité à des cérémonies extérieures, le culte des images, les pélerinages, les confréries; que nous avions fupprimé l'écriture, pour fubftituer à fa place des légendes fabuleufes. par Sur ce fondement ils ont donné dans l'extrémité oppofée, ils ont outré la critique, jufqu'à ne laiffer rien de certain ; & la mauvaise émulation de paroître fçavans, a entraîné quelques catholiques dans cet excès. y en a qui n'ofent croire ni miracles ni vifions, de peur de paroître trop fimples; & fi j'avois voulu fuivre les avis qui m'ont été donnés, j'en aurois fupprimé plufieurs. Mais j'ai trouvé des efprits plus élevés, & au-deffus des efprits forts, qui m'ont raffûré. Ils m'ont représenté qu'il n'y a plus de religion, fi nous ne lui donnons pour fondement la créance des faits furnaturels, & que ces preuves fenfibles de la puiffance divine ont converti le monde idolâtre, bien plus que les raifonnemens & les difputes. Un véritable chrétien ne doit donc avoir aucune peine en général à croire des miracles: il n'eft question que de la preuve du fait ticulier. Ceux que l'écriture rapporte font au deffus de toute autorité : mais ceux qui font rapportés par des auteurs graves, ont auffi la leur à proportion. Saint Irenée doit être cru, quand il témoigne que de fon tems les guérifons, les autres miracles & le don de prophétie, étoient communs dans l'églife catholique. Saint Cyprien doit être cru, quand il rapporte les révélations que lui ou d'autres perfonnes de fon tems avoient eues. Je ne fais pas plus de difficulté de celles qu'Hermas récite dans fon livre du pafteur, & je les crois au pied de la lettre. Je crois celles de fainte Perpetue, dont les actes font cités par Tertulien & par faint Auguftin: je crois les autres à proportion de l'autorité de ceux qui les ont écrites. Et je n'accorderai jamais aux proteftans, que la piété des auteurs, ni la profeffion monaftique, diminue leur autorité; au contraire la vraie piété éloigne la vanité & les paffions, qui font les fources du menfonge. Un autre excès de critique eft de donner trop aux conjectures. Erafpar exemple, a rejetté témérairement quelques écrits de S. Auguftin, fur le ftyle qui lui a paru différent. D'autres ont corrigé des mots qu'ils n'entendoient pas, ou nié des faits écrits dans un auteur, parce qu'ils ne pouvoient les accorder à d'autres, d'une égale ou d'une moindre autorité; ou parce qu'ils ne pouvoient les concilier avec la chronologie dans laquelle ils fe trompoient, On a voulu tout fçavoir & tout Tome 1. b |