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meure ordinaire du Kan. Les Lettres & les beaux préfens de M. de Feriol nous firent avoir une audience fort prompte; qu'il accompagna de beaucoup de careffes. Le Kan, nommé Sultan Gazi Guiray, me parut un Prince d'environ quarante ans, fort bien fait de fa perfon ne, l'air noble, le regard per çant, les traits du vifage trèsréguliers; en cela bien différent des autres Tartares, qui ont prefque tous le vifage fort dif forme. Sa perfonne, & tout ce qui l'environnoit, avoit plus l'air guerrier que magnifique. Ce qui me charma, fut la bonté avec laquelle il me reçut. 11 me fir quantité de questions fur le Roi & fur les guerres de France, aufquelles il me paroiffoit s'intéreffer fort: il me parla auffi de M. l'Ambaffadeur

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avec de grandes démonftrations d'effime & d'amitié. Je pris ce moment-là pour lui demander la permiffion d'affifter les efclaves & les autres Chrétiens de fes Etats. Il me l'accorda fur le champ d'une maniere aussi étendue, & auffi favorable que je pouvois la défirer.

Le Kan de la petite Tartarie eft maître d'un fort grand pays. Il prend la qualité de Padicha ou d'Empereur, & il est regardé comme l'héritier préfomptif de l'Empire Turc, au défaut des enfans mâles des Of mans. Avec tous ces grands titres il ne laiffe pas d'être vaffal du Grand-Seigneur, qui le met & le dépofe à fa volonté, obfervant cependant de ne jamais faire mourir le dépofé, & de lui fubftituer toujours un des Princes de fon fang. Ces Prin

ces du fang de Tartarie, qu'on nomme Sultans, ne font pas éloignés des affaires, ni enfermés comme ceux de Turquie ; on leur donne les grands Emplois, & chacun a fa maison & fon appanage. Le droit de leur naiffance leur attache quantité de braves gens, qui fe dévouent à leurs intérêts & à leur fortune; ce qui caufe fouvent des mouvemens dans l'Etat, & en cauferoit de plus fréquens, fi ces Sultans étoient riches; mais ordinairement ils ne le font guères. Le Kan lui-même l'eft affez peu pour un Souverain. Quand les penfions de la Pologne & du Kzar lui manquent, ainfi qu'elles lui ont manqué depuis la paix de Carlowits, les rentes de fes Terres, une partie des Douanes, & quelques légers impôts font prefque tout fon

revenu. Il eft vrai qu'il n'a pas auffi de grandes dépenfes à faire. Sa Garde, de près de deux mille hommes, eft entretenue par le Grand-Seigneur. Les plus nombreuses armées ne lui coûtent rien ni à lever, ni à faire fubfifter. Les Tartares font tous foldats; le rendez-vous n'est pas plûtôt affigné, qu'ils y viennent au jour marqué avec leurs armes, leurs chevaux & toutes leurs provisions. L'efpérance du butin, & la licence de piller, leur tient lieu de folde.

Après les Sultans il y a les Cherembeys, qui font comme la haute Nobleffe & les dépofitaires des Loix du pays. Leur emploi eft de maintenir la liberté des peuples, autant contre les vexations des Kans, que contre les invafions de la Porte, toujours attentive à réduire

leurs par

'de plus en plus les Tartares; dont l'humeur remuante & bet liqueufe lui donne de conti nuelles inquiétudes. Ce Corps de Nobleffe, diftingué d'ailfes grands biens & par fes fréquentes alliances avec la Maifon Royale, a fon Chef, qu'on nomme Bey, ou Seigneur par excellence. Ce Bey a, comme le Kan, fon Kalga & fon Nouradin. Les Cherembeys entrent de droit dans toutes les délibérations de conféquence, & le Kan ne décide aucune affaire d'Etat fans leur participation. Après les Cherembeys viennent les Myrzas, qui font comme nos Gentilshommes titrés, & qui ont auffi part aux Confeils. Outre cela le Kan a fon Divan, compofé à peu-près des mêmes hauts Officiers que celui du Grand-Seigneur, fon

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