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permettoient cependant aux Mofcovites d'ufer de représailles, & de prendre autant de Nogais qu'ils en pourroient rencontrer. Le Kan ayant fçû leur refus, ordonna dans tous les lieux de fa dépendance qu'on ne laifsât paffer aucun de ces Efclaves, & qu'on fe gardât bien de les acheter, fous peine d'en perdre le prix, & de cinq cens coups de bâton pour l'acheteur. Les Nogais prirent bientôt leur parti. Ils menérent leurs Efclaves en Perfe, à plus de 300 lieues de-là, où ils les vendirent le double de ce qu'ils auroient pû faire en Turquie. On peut juger fi de tels voifins doivent être fort agréables aux Cirkaffes.

Le côté de la Cirkaffie par où nous entrâmes, eft plein de hautes montagnes & de pro

fondes vallées, ombragées de quantité de grands arbres. La Capitale de ce Canton eft Kabartha. C'eft de-là que le Kan de Krimée tire ses plus grandes richeffes en Efclaves. Tout le monde y eft d'une beauté enchantée. On n'y voit perfonne marqué de la petite vérole, par la maniere dont ces Peuples gouvernent leurs enfans dans leur jeuneffe.

Il y a un Bey qui commande dans cette Province fous l'autorité du Kan, & qui a plufieurs autres Gouverneurs fous lui. Ils font obligés de donner pour tribut au Kan 300 Efclaves; fçavoir, 200 jeunes filles & 100 garçons, qui ne paffent pas l'âge de vingt ans. Souvent les Beys donnent leurs propres enfans, pour encourager les peres & meres à ne pas fouftraire les leurs. Lorf

font

Lorfque les Beys Cirkaffes ne pas d'accord entre eux, ils envoyent demander au Kan un Aga, & quelquefois un Prince du fang pour décider leurs différends. Ces Commiffaires ne s'en retournent pas les mains vuides. On leur fait préfent de ce qu'il y a de plus beau & de mieux fait. Enfin, en Cirkaffie on fait un trafic d'hommes & de femmes, comme l'on fait ailleurs des autres marchandises.

Les Tartares Cirkaffes fe nourriffent mieux que les Nogais. Ils mangent tous les jours du bœuf, du mouton, & de la volaille, & prefque jamais du cheval. Leur pain eft peu différent de la nourriture des Nogais. Il eft de farine de millet pétrie à l'eau, dont ils font une pâte mollaffe, qu'ils cuifént à demi dans des moules de terre, & Tome 1.

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qu'ils mangent prefque brû lante.

Le pays eft beau & rempli d'arbres fruitiers, mais fans culture, & arrofé de bonnes eaux. L'air y eft auffi très-bon & trèsfain. Je crois que ces deux chofes, qui font particulieres à la Cirkaffie, peuvent beaucoup contribuer à donner aux Cirkaf fes cette fleur de beauté que les autres Tartares n'ont point.

Ces Peuples estiment fort les Chrétiens. Ils fe difent defcendus des Génois, qui ont longtemps poffédé la principale partie de ce grand Pays. Ils montrent encore en divers endroits les ruines des Villes qu'ils y avoient bâties.

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J'avois porté avec moi un habit françois & une perruque, fuivant les ordres du Kan. Quand je parus à Karbatha dans

cet équipage, tout le monde couroit après moi, me regardant comme un homme extraordinaire. La vénération qu'on avoit pour moi redoubla lorfqu'on fçût que j'étois le premier Médecin du Kan; & pour l'augmenter encore, je me dis Génois de naiffance. Les Cirkaffes venoient en troupes m'admirer. Je foûtenois cette bonne opinion par un air grave & férieux, quoique je n'euffe pas plus de trente-deux ans. Le Bey charmé de ma fageffe & de mon prétendu pays, me propofa de me faire époufer une de fes niéces à qui il donneroit pour dot trente Efclaves, à condition toutefois que je ne m'éloignerois pas de la Cirkaffie plus loin que la Krimée, & que je lui en donnerois ma parole en présence du Kan. Je me débar

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