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tions, & les troubles falutaires qui fe mirent tout-à-coup dans les confciences les plus endurcies. Je voyois des inconnus ve nir de fort loin, & m'avouer, en gens frappés, que depuis la nouvelle de mon arrivée, & fur les récits de leurs camarades, ils avoient l'efprit tourmenté de mille représentations terribles, qui ne leur laiffoient plus aucun repos. D'autres venoient fans prefque fçavoir euxmêmes ce qui les amenoit, étant, difoient-ils, comme entraînés malgré eux par une main invifible, à laquelle ils ne pouvoient réfifter. Quelques-uns moins finceres cherchoient à compofer avec moi, tombant d'accord qu'ils étoient en mauvais état, mais qu'ils attendoient dans peu leur liberté, & que je pouvois compter que dès qu'ils l'au

roient, rien ne les empêcheroit plus de changer de vie; qu'au refte ils n'en vouloient pas faire à deux fois; ne pouvant, ajoûtoient-ils, demeurer Efclaves & être fidéles à Dieu. Quelques autres déja fur le bord du dernier précipice, & prêts à franchir le terrible pas de l'apoftafie, fe mêloient de vouloir difputer, pour trouver, comme ils me l'ont avoué depuis, l'éclairciffement à quelques reftes de doutes qui les tourmentoient,& qui étoient comme des liens par où la miféricorde de Dieu les tenoit encore. J'eus la confolation de voir les confciences fe calmer, & les tentations d'incrédulité s'évanouir peu-à-peu dans ceux que je pus réduire à une vie chrétienne & réglée. Tous n'en vinrent pas là d'abord; il y en a eu qui fe font défendus long

temps, & j'en fçai qui résistent encore à Dieu avec obftination. Je les fuis toujours de l'œil & de la voix & je ne cef ferai de les fuivre que quand Dieu lui-même ne les fuivra plus.

J'ai eu moins de peine à remettre dans le bon chemin cette troupe de vieillards impotens & hors de fervice, dont j'ai parlé. L'extrême mifere & la caducité les rend plus dociles; mais ce n'eft pas une petite peine que de leur rappeller ce qu'ils doivent fçavoir pour approcher des Sacremens. Dès qu'ils me fçûrent à Bagchfaray, ils vinrent m'affiéger de toutes parts, demi-morts de faim, & prefque tout nuds. Je les reçûs comme de pauvres abandonnés que le monde rebutoit, mais que la miféricorde de

Dieu n'abandonnoit pas, & qu'elle m'envoyoit pour les fanAtifier fur la fin de leurs jours. Avec les fecours que je tâche de leur procurer le long de la femaine, chaque Dimanche je leur diftribue à l'Eglife une légere aumône, qui fera plus forte quand les charités de notre pieuse France m'en auront fourni les moyens. J'ai été obligé d'en ufer ainfi pour les rendre plus affidus au Service divin & aux Inftructions, dont ils ont entierement perdu l'habitude. Toutes leurs idées de Religion font fi effacées, qu'il a fallu leur apprendre à faire le Signe de la Croix, & les remettre avec les petits enfans aux premieres demandes du Catéchisme. Quelques perfonnes zélées, dont je bénirai à jamais la charité, me fournirent il y a trois ans de

quoi racheter des mains des Tartares quatre petits garçons qui alloient être pervertis. Deux ont été dépaysés, & j'ai gardé ici les deux qui ont le plus d'efprit, que je forme au Service de l'Eglife, & à l'office de Catéchifte, où ils réuffiffent à merveille. Quand j'étois fort occupé, je leur donnois ces vieux Efclaves à inftruire. Il y avoit de quoi être touché jusqu'aux larmes, de voir ces bonnes gens de quatre-vingt ans & plus, apprendre de deux enfans de douze ou treize ans à dire leur Pater, & à répéter les Commandemens de Dieu.

Vers ce temps-là la Miffion eut des contre-temps, dont quelques-uns l'auroient déconcertée, & les autres l'auroient entiérement fait tomber, fi Dieu ne l'avoit foutenue.

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