L'écuyer, consolé d'un accident qui venait d'une si belle cause, pria la suivante de luí continuer ses bons offices auprès de sa maitresse, et regagna son hôtel en s'applaudissant de plus en plus de sa bonne for tune. et Dans ce temps-là, don Côme reçut une lettre de change, et toucha mille écus d'or qu'on lui envoyait d'Andalousie pour sa part de la succession d'un de ses oncles mort à Séville. Il compta cette somme, la mit dans un coffre en présence de Domingo, qui fut fort attentif à cette action, et si violemment tenté de s'approprier ces beaux écus d'or, qu'il résolut de les emporter en Portugal. Il fit confidence de sa tentation à Floretta, et lui proposa même d'être du voyage. Quoique la proposition méritât bien d'être pesée, la soubrette, aussi friponne que le page, l'accepta sans balancer. Enfin une nuit, tandis que l'écuyer, enfermé dans un cabinet, s'occupait à composer une lettre emphatique pour sa maîtresse, Domingo trouva moyen d'ouvrir le coffre où étaient les écus d'or. Illes prit, gagna promptement la rue avec sa proie, et s'étant rendu sous le balcon de Luziana, il se mit à contrefaire un chat qui miaule. La suivante, à ce signal dont ils étaient convenus tous deux, ne le fit pas long-temps attendre; et, prête à le suivre partout, elle sortit, avec lui de Madrid. Ils comptaient bien qu'ils auraient le temps d'arriver en Portugal avant qu'on pût les atteindre, si on les poursuivait; mais, par malheur pour eux, don Côme, dès la nuit même, s'étant aperçu du larcin et de la fuite de son confident, eut aussitôt recours à la justice, qui dispersa de toutes parts ses limiers pour découvrir le voleur. On l'attrapa près de Zébréros avec sa nymphe. On les ramena l'un et l'autre; la soubrette a été enfermée aux Repenties, et Domingo dans cette prison. Apparemment, dit don Cléophas, que l'écuyer n'a pas perdu ses écus d'or; ils lui auront sans doute été rendus. Oh! que non, répondit le Diable; ce sont des pièces qui prouvent le vol; la justice ne s'en dessaisira point, et don Côme, dont l'histoire s'est répandue dans la ville, demeure volé et raillé de tout le monde. Domingo et cet autre prisonnier qui joue avec lui, continua le boiteux, ont pour voisin un jeune Castillan, qui a été arrêté pour avoir, en présence de bons témoins, donné un soufflet à son père. O ciel ! s'écria Léandro, que m'apprenez-vous ! Quelque mauvais que soit un fils, peut-il lever la main sur son père ? Oh ! que oui, dit le démon; cela n'est pas sans exemple, et je veux vous en citer un assez remarquable. Sous le règne de don Pèdre 1er, surnommé le juste et le cruel, huitième roi de Portugal, un garçon de vingt ans fut mis entre les mains de la justice pour le même fait. Don Pèdre, surpris comme vous de la nouveauté du cas, voulut interroger la mère du coupable, et il s'y prit si adroitement, qu'il lui fit avouer qu'elle avait eu cet enfant d'une discrète révérence. Si les juges du Castillan interrogeaient aussi sa mère avec la même adresse, ils pourraient en arracher un pareil aveu. Descendons de l'œil dans un grand cachot au-dessous de ces trois prisonniers que je viens de vous montrer, et considérons ce qui s'y passe. Y voyez-vous ces trois mal heureux? Ce sont des voleurs de grand chemin : les voilà qui vont se sauver; on leur a fait tenir une lime sourde dans un pain, et ils ont déjà limé un gros barreau d'une fenêtre par où ils peuvent se couler dans une cour qui les conduirá dans la rue. Il y a plus de dix mois qu'ils sont en prison, et il y en a plus de huit qu'ils devraient avoir reçu la récompense publique qui est due à leurs exploits; mais, grâce à la lenteur de la justice, ils vont encore massacrer des voyageurs. Suivez-moi dans cette salle basse où vous apercevez vingt ou trente hommes couchés sur la paille: ce sont des filoux, des gens de toutes sortes de mauvais commerce. En remarquez-vous cinq ou six qui houspillent une espèce de manoeuvre qui a été emprisonné aujourd'hui pour avoir blessé un archer d'un coup de pierre? Pourquoi ces prisonniers battent-ils ce manoeuvre? dit Zambullo. C'est, répondit Asmodée, parce qu'il n'a pas encore payé sa bienvenue. Mais, ajouta-t-il, laissons là tous ces misérables: éloignons-nous même de cet horrible lieu; allons ailleurs arrêter nosregards sur des objets plus réjouissans. CHAPITRE VIII. Asmodée montre à don Cléophas plusieurs personnes, et lui révèle les actions qu'elles ont faites dans la journée. ILs laissèrent là les prisonniers, et s'envolèrent dans un autre quartier. Ils firent une pause sur un grand hôtel, où le démon dit à l'écolier: il me prend envie de vous apprendre ce qu'ont fait aujourd'hui toutes ces personnes qui demeurent aux environs de cet hôtel; cela pourra vous divertir. Je n'en doute pas, répondit Léandro. Commencez, je vous prie, par ce capitaine qui se botte: il faut qu'il ait quelque affaire de conséquence qui l'appelle loin d'ici. C'est, repartit le boiteux, un capitaine prêt à sortir de Madrid. Ses chevaux l'attendent dans la rue; il va partir pour la Catalogne, où son régiment est commandé. Comme il n'avait point d'argent, il s'adressa hier à un usurier : seigneur Sanguisuela, lui dit-il, ne pourriez-vous pas me |