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ces retards par des lectures qu'il faisait dans de brillantes sociétés. Jaloux des richesses des parvenus, de grands seigneurs, de belles dames se déclarèrent ses protecteurs. La duchesse de Bouillon (1) était du nombre. Elle tenait un bureau d'esprit, et choisit elle-même un jour où la lecture aurait lieu chez elle. Lesage demanda que cette lecture se fît avant midi, parce qu'il ne lui était pas possible de lire après le dîner. Mais le jour choisi par la duchesse se trouva être celui où se jugeait un procès important, que Lesage perdit. Cette circonstance l'empêcha d'être exact au rendez-vous. En arrivant, il raconte la cause de son retard,

(1) Deux Bouillons tour-à-tour ont brillé dans ce monde,
Par la beauté, le caprice et l'esprit;
Mais la première cût crevé de dépit,
Si par malheur elle eût vu la seconde.

La seconde est Louise-Henrictte-Françoise de Lorraine, épouse d'Emmanuel-Théodore de La Tour, duc de Bouillon, morte le 31 mars 1737 à trente ans. La première était la protectrice de La Fontaine, Marie-Anne Mancini, nièce de Mazarin, mariée à Godefroi-Maurice, et morte le 20 juin 1714, à soixantequatre ans.

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se confond en excuses. On le reçoit avec

hauteur, on ne l'écoute pas, on lui reproche d'avoir fait attendre la compagnie. - Madame, dit Lesage à la duchesse, je vous ai fait perdre une heure; je veux vous la faire gagner. Je vous jure, avec tout le respect que je vous dois, que je n'aurai pas l'honneur de vous lire ma pièce. Et faisant une profonde révérence, il se retire. On court vainement après lui. Jamais il ne voulut rentrer. Enfin le 13 octobre, Monseigneur (1) ordonna aux comédiens français d'apprendre Turcaret, et de le jouer incessamment. Le froid excessif du mois de janvier 1709 en retarda encore la représentation, qui n'eut lieu que le 14 février; la pièce n'eut que sept représentations. Le grand froid, qui continuait toujours; les murmures de beaucoup de gens, qui trouvaient trop de ressemblance dans les portraits; le succès même que la pièce avait eu dans les sociétés, furent les causes du

(1) Le grand Dauphin, fils de Louis xiv, et père du duc de Bourgogne; né en 1661, mort en 1711.

peu de succès qu'elle eut alors au théâtre. Bourvalais et de Lanoue étaient surtout

ceux à qui l'on appliquait les traits satiriques. Les parvenus du jour étaient immolés sans pitié. Leurs ressources, leur manége, leurs folles dépenses, leurs amours insensées, leur vanité, leur bassesse, leur friponnerie, leur sottise, tout était bien peint. Si le tableau n'était pas celui de la bonne compagnie, il n'en était pas moins ressemblant. Il ne l'est plus aujourd'hui. Le ridicule versé par Lesage a corrigé, sinon le fond, du moins les formes de cette classe d'hommes, et peu d'auteurs comiques ont produit cet effet. « Les financiers, a-t-on < dit, se sont si considérablement éloignés << du caractère joué et bafoué par l'auteur, << qu'ils peuvent en rire aujourd'hui avec << le public, comme d'un ridicule entière<< ment étranger à leur état. >>> Lorsque Turcaret fut repris, le succès fut complet, et la pièce est dans tous les répertoires.

La Tontine, comédie en un acte, présentée et reçue en 1708, ne put être jouée

que vingt-quatre ans après. Les comédiens furent sans doute pour quelque chose dans ce retard. Lesage, mécontent, se brouilla avec eux, et renonça au théâtre, ou du moins au théâtre -français, et tourna ses regards d'un autre côté. Son ami François Petis de Lacroix ayant traduit de l'arabe les Mille et un jours, Lesage en revit le style, et l'ouvrage fut publié en 1710, 2 volumes in-12.

Outre les deux grands théâtres (l'Opéra et les Français), il y avait alors à Paris les spectacles temporaires des foires SaintGermain et Saint-Laurent, fondées, la première du moins, depuis le douzième siècle. On avait, en 1650, commencé à y dresser des théâtres. Il n'y parut d'abord que des marionnettes; mais en 1690, un nommé Bertrand augmenta son jeu de marionnettes d'une troupe de jeunes gens de l'un et de l'autre sexe. Tout était privilége : les comédiens français, ayant exclusivement celui de parler français sur des planches, firent démolir la loge de Bertrand. Les comédiens italiens, qui, après plusieurs tentatives, avaient enfin pris racine en France depuis 1653, devaient la permission de parler français dans leurs canevas à l'adresse et à la présence d'esprit du fameux Dominique. Lors de la contestation qui s'était élevée à ce sujet entre les comédiens français et les Italiens, Louis xiv désira entendre lui-même les raisons de part et d'autre: il fit venir devant lui Baron et Dominique. Baron parla le premier, au nom des comédiens français. Quand vint le tour de Dominique : « Sire, dit-il, << comment parlerai - je? Parle comme « tu voudras, répondit le roi. - Il ne m'en << faut pas davantage, ajouta Dominique, « j'ai gagné ma cause. » Baron voulut réclamer contre cette surprise, mais le roi dit en riant qu'il avait prononcé, et qu'il ne se dédirait pas. Les comédiens italiens ayant été congédiés en 1697 pour avoir annoncé la fausse Prude, comédie dans le titre de laquelle on vit une épigramme contre la veuve Scarron, devenue femme

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