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occupé de la vie préfente, tout rempli de prétentions humaines, & fi peu tou

ché des maux de l'ame? Comment l'accorder avec cette froideur, cette négligence, cette inapplication à ce qui regarde Dieu? Comment l'accorder avec ce partage fi inégal de notre temps & de nos occupations, par lequel nous donnons prefque tout au monde, & prefque rien à Dieu? Faut-il s'appliquer un quart d'heure à Dieu ? voilà les gens dans l'ennui. Faut-il s'appliquer aux créatures qui leur plaifent? les voili dans la joie. Il eft fouvent affez difficile de trouver des marques de l'amour de Dieu dans la vie même des perfonnes qui font profeffion de piété. La coutume, l'habitude, la crainte, l'amour propre, peuvent être le principe de la plupart de leurs actions. Mais je ne fais comment on pourroit s'imaginer que ceux qui vivent comme l'on vit dans le monde, c'est-à-dire, dans les paffions qui occupent ordinairement les gens du monde, font des gens délivrés par Jefus-Chrift de la fervitude des paffions. Rien ne donne cette idée. Tout y eft contraire, quand on regarde les chofes de près. Car il faudroit fuppofer que l'amour de Dieu eft une certaine paffion infenfible, qui demeure ftérile &

fans action dans le fond du cœur. Or c'est une idée toute oppofée à celle que l'Ecriture & les Peres nous en donnent. Ainfi cette préférence que faint Paul donne à l'état des Chrétiens fur celui des Juifs, bien loin d'être un fujet de confiance au commun du monde, est au contraire un étrange fujet de terreur; parce que n'ayant pas lieu de reconnoître en eux les marques de cet amour, fans lequel on n'eft point enfant de Dieu, ils ne peuvent fe mettre tout au plus qu'au rang des efclaves & des Juifs, qui ne font point délivrés de fervitude.

III. N'envisageons donc plus cette féparation que fait l'Apôtre, des Juifs & des Chrétiens, des efclaves & des libres, comme une chofe qui ne nous regarde point. Ces Juifs comprennent la plupart des Chrétiens. Ils ont quitté le nom de Juifs fans en avoir quitté l'efprit. Ils rempliffent nos Eglifes, & ils y occupent fouvent les places les plus éminentes. Ils font réellement efclaves, mais ils ne font pas reconnus pour tels, & ils ne fe reconnoiffent point pour tels. Ils font prêts, au contraire, de foutenir, comme les Juifs, qu'ils n'ont jamais été efclaves de perfonne. Joan. 8, NEMINI fervivimus unquam. Le commun des Chrétiens ne fait même en quoi confifte cet esclavage: cependant rien n'est

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plus important que d'en être bien inftruit. Il faut éviter d'être efclave; & tâcher d'être libre. Mais comment le peut-on faire, fi l'on ne fait en quoi confifte, ni l'une, ni l'autre de ces qualités ?

IV. Pour concevoir plus nettement l'efclavage dont parle l'Apôtre, il eft bon de remarquer qu'on en peut diftinguer trois différentes efpeces, dont il n'y a que la derniere qui foit marquée par l'Apôtre. La premiere convient à tous les hommes, la feconde à tous les méchans, la troisieme à un certain genre de mauvais Chrétiens. L'efclavage commun à tous les hommes, eft celui qui leur convient en qualité de pécheurs. Il y a un certain genre de fervitude inféparablement attaché au péché, qui ne fe détruit pas même par la liberté que Jefus-Chrift accorde à ceux à qui, par une nouvelle naissance, il donne le pouvoir d'être enfans de Dieu : Dedit eis poteftatem filios Joan. 1, Dei fieri. Un criminel enfermé dans une ". prifon, condamné à un travail pénible jufqu'à la mort, eft un esclave felon les loix humaines, qui l'appellent fervum pana, & qui ne le comptent plus entre les perfonnes libres. C'eft là la condition de tous les hommes ; ils font enfermés dans le monde comme dans une prifon, dont ils ne fortent que par la mort; &

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pendant tout le temps qu'ils y demeu rent, ils font affervis à mille travaux à mille fatigues, à mille néceffités incommodes. Ils font entraînés vers la mort par un torrent rapide, auquel ils ne fauroient réfifter. Ils font affujettis à la corruption de leur corps. Ils ne difpofent pas même de leur ame; & fort fouvent leur efprit eft occupé, malgré eux, de mille penfées fâcheufes, & leur volonté déchirée de mille défirs qu'elle ne fauroit empêcher. On ne peut nier que ce ne foit là un état de fervitude, & qu'il ne foit général & inévitable à tous les hommes. Il renferme les Rois auffi-bien que les moindres de leurs fujets ; & tout l'avantage qu'ils peuvent prétendre n'est pas d'être libre, puifqu'ils font, auffibien que les autres, des prifonniers que l'on entraîne à la mort, & qu'ils font fujets aux mêmes miferes de corps & d'efprit mais c'eft que, comme dans les prifons il y en a quelquefois qui commandent aux autres, Dieu les à choifis dans le nombre de ces efclaves, pour leur donner quelqu'autorité fur d'autres efclaves; & cette autorité n'eft qu'un ministere qui ne leur produit que de nouvelles peines & de nouvelles fervitu des. S'il y en a quelques-uns qu'on puiffe appeller libres dans cette fervitude gé

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nérale, ce font ceux qui reconnoiffant la juftice de cet état, s'y foumettent avec patience & avec amour, & méritent par-là pour l'autre vie, d'être délivrés de toutes les miferes de celle-ci. Et comme il n'y a que les vrais Chré tiens qui foient dans cette difpofition, il eft certain que dès cette vie même ils font les plus exempts de cet efclavage général, qui eft la peine du péché des hommes.

V. L'efclavage qui convient à tous les méchans, confifte en ce qu'ils font tous en la poffeffion du démon, qui les domine d'une maniere fi abfolue, que faint Auguftin les appelle les animaux du diable, animalia diaboli. 11 les remue, & il les conduit où il veut. Il agit fur leurs efprits & fur leurs corps par des impreffions tout autrement fortes & efficaces que celles par lefquelles il afflige les juftes qui ne lui font point affujettis. L'Écriture nous marque cet efclavage, lorfqu'elle dit du démon, qu'il exerce fon Ephese a pouvoir fur les incrédules: Qui operatur 29. in filios diffidentia. Et c'eft une fuite d'une juftice fecrete de Dieu, qui affujettit les natures inférieures, comme celle des hommes, à celle des purs Efprits, lorfqu'elles fe font laiffé furmonter par eux, & qu'elle les ont imités dans leur

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