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NERINE.

Nous difions que Damon auroit dû vous aimer :
Il a pourtant bien fait de ne pas s'enflammer.

LEONORE.

Tu n'es pas raifonnable.

NERINE.

Il feroit trop à plaindre.

LEONORE.

Va, ce malheur pour lui ne fut jamais à craindre.

Tu m'affûrois pourtant. .

NERINE.

Oui, je croyois d'abord

Que Damon vous aimoit ; Madame, j'avois tort.

LEONORE.

J'y prends peu d'intérêt. Mais fur quelle affûrance
Accufes-tu Damon de tant d'indifférence?

NERINE.

Si l'on aimoit encore, ainfi que

Céladon,

Peut-être je pourrois en foupçonner Damon.
Mais de pareils amans ne font plus qu'en idée.
A prefent une intrigue eft bientôt décidée.
On ne fe donne plus le tems d'être enchaîné :
L'amour prend fon effor auffitôt qu'il eft né.
Dès qu'on aime, on en fait un récit infidéle;
On exagere un feu qui n'eft qu'une étincelle;
Pour mieux en affûrer l'objet de fon amour
Un amant en inftruit & la ville & la cour.
La fotte vanité conduit tout le mystére;

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Et la fatuité l'empêche de se taire.

Si Damon vous aimoit, il en eût fait l'aveu.

Ainfi nous nous trompions....

pcu?

Cela vous fâche un

LEONORE.

Vous vous émancipez. M'avez-vous reconnuë
Pour être, en ma faveur, follement prévenue?
NERINE.

Ainfi vous croyez donc mon difcours conféquent.
Non, ma chere maîtreffe, il eft extravagant,

Infoutenable.

LEONORE.

En quoi?

NERINE.

C'est que Damon vous aime. LEONORE.

Mais accorde-toi donc, Nerine, avec toi-même.

NERINE.

Un tiers voit mieux que ceux qui font dans l'embarras.

LEONORE.

Tu viens de me prouver . . .

NERINE.

Que Damon n'avoit pas

Les défauts des amans qu'en ce fiécle on voit naître. Quoi? Parce que l'on n'eft ni fat, ni petit-maître, On ne peut vous aimer? L'obstacle est imprévû.

LEONORE.

Par où peux-tu juger..........

NERINE.

Par tout ce que j'ai vû.

LEONORE.

Mais encore, quoi donc ?

NERINE.

Premierement, vos charmes.

LEONORE.

Je n'ai jamais compté fur de fi foibles armes.

NERINE.

J'ai démêlé, vous dis-je, à travers ses respects,
Des foupirs étouffés, des regards indirects,
Un filence pénible,autant qu'involontaire,
Des défirs, des égards, du trouble, du mystere,
Un intérêt fecret, un foin particulier.

Un homme indifférent eft bien plus familier.

Ce font-là mes garants. Tout cela fait en fomme
De l'amour; &, de plus, un amant honnête-homme.
J'ai vû bien plus encore.

LEONORE.

Acheve; dis-moi tout.

NERINE.

Que cet amant feroit affez de votre goût.

LEONORE

Ah! C'eft trop voir. Finis; je ne veux plus t'entendre.
Je te défends..... Hélas! Qué puis-je lui défendre ?
Quoi? De foibles attraits flétris par les douleurs,
Des yeux accoutumés à pleurer mes malheurs,
Pourroient caufer encore une tendre foibleffe?

Et

NERINE,

Et fut tout à l'objet pour qui l'amour vous bleffe?

Car il faut vous aider.

LEONORE.

Nerine, tu me perds.

NERINE.

Dequoi m'accufez-vous ? Croyez que je vous fers.
Leonore & Damon font formés l'un pour l'autre.
C'est moi qui vous apprends fa défaite, & la vôtre.
L'hymen peut réparer les maux qu'il vous a faits.
Il forme quelquefois des liens pleins d'attraits.
Quand on dépend de foi, pour foi l'on le marie.
LEONORE.

Ne me rappelle plus le malheur de ma vie,
Ni les égaremens d'un âge fans raison.

A peine j'achevois ma premiere faifon,

On me tira du cloître ; & j'entrai dans le monde
Avec les préjugés dont la jeuneffe abonde.
Une mere abfolue, abufant de fes droits,
Avoit promis ma main, fans confulter mon choix.
Je me prévins d'abord. Mon dépit fut extrême.
Je croyois qu'on devoit m'obtenir de moi-même.
Je croyois mériter du moins quelques foupirs:
Mais, loin de s'abaiffer à flater mes défirs,
On ne m'honora pas d'une feule entrevûë.
Je fus au temple; & là, fans détourner la vûë,
Victime dévoüée au cruel intérêt,

On me fit malgré moi prononcer mon arrêt.

D

Quel hymen! Ou plûtôt quelle union fatale !
L'averfion, fans doute, entre nous fut égale.
En fortant de l'autel, Sainflore difparut.
Moi-même je m'en fuis ; & mon époux mourut.
"Mais j'ai connu l'erreur de mon antipathie.
Je crois, fi mon époux n'eût pas perdu la vie,
Que fans doute l'hymen, mon devoir, & le tems,
Auroient mis dans mon cœur de plus doux fentimens.
NERINE.

En tout cas, par bonheur, il eft en l'autre monde.
Pour vous montrer furquoi mon préjugé se fonde
Au fujet de Damon, il faut vous expliquer
Ce m'a dit Frontin. Il n'a fait remarquer
Que Damon s'accoutume à la maifon d'Orphise.

que

LEONORE.

Peut-être que fa fille....

NERINE.

Eh! Souffrez qu'on vous dise...

Mais on vient.

LEONORE.

C'eft, fans doute Orphife que j'attends !
NERINE, à part.

Le diable qui l'améne a bien mal pris fon tems.

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