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un moyen

dans leurs défordres ; fi cette connoiffance ne nous donne pas de ne point reffembler à ceux-ci, & d'imiter ceuxlà: & ce moyen ne peut être que d'étudier toutes les manieres dont on peut tomber dans ces vices, dont on y tombe ordinairement, & dont on fe releve en homme chrétien. Or, il n'y a que l'histoire eccléfiaftique qui puiffe nous fournir la matiere de cette étude. Ce n'eft que dans ce grand nombre d'actions différentes qu'elle repréfente, & qui viennent prefque toutes, ou de ces défauts, ou de la vraie vertu, qu'on doit s'exercer à reconnoître toutes les efpeces d'actions ou louables ou blâmables, qui font à imiter ou à fuir. C'eft-là qu'en considérant la qualité, l'âge & l'intérêt des perfonnes qui ont fait ces actions, ce qui les a précédées, & ce qui les a fuivies, la conjoncture du temps & du lieu; enfin, toutes les autres circonftances, même les plus légeres, que les bons hiftoriens rapportent fi foigneufement dans les occafions fingulieres; c'eft à la faveur de ces diverfes lumieres, qu'on peut, en réfléchiffant fur toutes ces cho fes avec ordre, pénétrer les fecrets des cœurs, reconnoître dans quel efprit on a agi en ces rencontres, & en former un jugement clair & certain. Ce font-là les premieres idées que M. l'abbé Fleury a eues en écrivant l'hiftoire des quatorze premiers fiecles de l'églife; & ce font auffi celles que je me propofe de fuivre en la continuant, quoique je ne fcache que trop l'extrême différence qui fe trouvera entre ce qu'il a fait, & ce que je puis faire. Avant que de rendre compte de mon travail, je dois à la mémoire de M. Fleury, rappeller aux yeux du public les principaux traits de fa vie.

M l'abbé Fleury étoit Parifien, fils d'un avocat originaire de Rouen, & vint au monde le fix Décembre 1640. Il fut d'abord deftiné au barreau, qu'il fréquenta pendant neuf ans donnant toute fon application à l'étude de la jurifprudence & des belles lettres: mais une inclination naturelle pour un genre de vie plus tranquille, lui fit quitter cette profeflion pour paffer à celle de l'état ecclefiaftique, dans lequel il reçut l'ordre de prêtrife. Dès-lors, fon devoir lui fit tourner fes principales études du côté de la théologie, de l'écriture fainte, de l'hiftoire ecclefiaftique, du droit canonique, & des faints peres. Il fe renferma dans ces feules fciences, perfuadé qu'une érudition plus partagée, en donnant plus d'étendue à l'efprit, le rend auffi moins profond. En 1672. il fut choisi pour être précepteur des princes de Conti, que le roi faifoit élever auprès de monfei

gneur le dauphin fon fils. La fidélité avec laquelle il remplit les devoirs, lui procura une autre éleve. En 1680. on lui confia la conduite du prince de Vermandois, amiral de France, après la mort duquel le roi le nomma en 1684. à l'abbaye de LocDieu, ordre de Citeaux diocèfe de Rhodez; & cinq ans après, c'eft-à-dire en 1689. Louis XIV. jetta les yeux fur lui pour le faire fous-précepteur des ducs de Bourgogne, d'Anjou, aujoud'hui, roi d'Espagne, & de Berry, fes petits fils. Enfin l'académie Françoise le choifit auffi en 1696. pour être un de fes membres. Un choix fi jufte étoit dû au mérite de M. l'abbé Fleury, & faifoit honneur à l'accadémie.

Les études des trois princes étant finies l'an 1706, le roi lui donna le prieuré d'Argenteuil, ordre de faint Benoit diocèfe de Paris. M. Fleury, exact obfervateur des cañons, dont il avoit fait une étude particuliere, donna alors un rare exemple de def intéreffement, en remettant à fa Majefté l'abbaye de Loc D eu, Dès-lors délivré des embarras de la cour, où il n'avoit pas laiffé de vivre comme dans une parfaite folitude, ne fe nê. nt que des devoirs de fon emploi, & donnant tout le refte de fon temps au travail, il ne penfa plus qu'à employer fes talens & ion repos au service de l'églife. Dès l'année 1674. il avoit fait imprimer, fans mettre fon nom, une Hiftoire du Droit Franço's, qu'on a depuis mife à la tête de l'inftitution au Droit Franç is,compoffe par feu M. Argou, avocat en parlement. L'an 1681. il compofa le traité des Mœurs des Ifraelites, qui eft comme une introduction à la lecture de l'Ancien Teftament; & il fit fuivre de pès celui des Mœurs des Chrétiens, qui donne une grande idée de la vie fainte des premiers difciples de Jefus Chrift, & de ceux qui ont vêcu après eux dans les premiers ficcles. Son Cateche Hiftorique avoit déja paru en 1679. pour donner une idée de l'hiftoire de la religion depuis la création jufqu'à Jesus Christ, & depuis Jefus-Chrift jufqu'à nous. Cet ouvrage fut depuis traduit en plufieurs langues. La Vie de la Mere d'Arbouze, Réfor matrice du Val-de-Grace, parut en 1684. & en 1686. le Traité du Choix & de la Méthode des Etudes, que M. Dupin regarde comme la clef de tous les ouvrages de M. Fleury. Après y avoir fait l'hiftoire des études de toutes les fciences, depuis le commencement de l'églife jufqu'à préfent, il y donne des confeils fur la methode d'étudier par rapport aux différentes perfonnes. L'année fuivante il publia l'Inflitution au Droit Ecclefiaftique, qui eft un abrégé de la pratique du Droit Canonique, & de la

raniere qu'elle eft en ufage; & dans l'année 1688. il donna les Devoirs des Maîtres & des Domeftiques, où les uns & les autres peuvent profiter des avis généraux qui y font folidement établis.

Enfin, il entreprit un corps d'Hiftoire Ecclefiaftique, dont on a vingt volumes, le premier ayant paru en 1690. & le dernier fur la fin de 1719. Il s'eft propofé dans cet ouvrage de rapporter les faits certains qui peuvent fervir à établir ou à éclaircir la doctrine de l'églife, fa difcipline & fes mœurs. Il omet les faits peu importans, qui n'ont point de liaison entr'eux, ni de rapport au but principal de l'hiftoire: il n'admet que le témoignage des auteurs contemporains, & encore faut-il qu'il foit perfuadé de leur bonne foi. Il n'a femé dans fon hiftoire que quelques réflexions très-courtes; mais bien sensées & bien judicieuses. Il en a retranché les differtations, les difcuffions & les notes de critique. Il ne s'y attache point fcrupuleufement aux questions de chronologie; il y fait des extraits exacts des ouvrages des peres touchant la doctrine, la difcipline & les mœurs. Il donne les actes des martirs qu'il a cru les plus véritables. Il marque la fuite des empereurs, & les événemens particuliers qui ont une connexion néceffaire avec l'hiftoire de la religion. Il expose dans le difcours qui eft à la tête du premier volume, les regles qu'il s'eft prefcrites & qu'il a fuivies exactement. On trouve plufieurs autres difcours au commencement de quelques volumes, qui montrent également le bon goût, l'érudition & le jugement de l'auteur. On voit dans celui qui eft au huitiéme tome, l'établiffement divin du chriftianifme & le gouvernementde l'églife: au treiziéme, l'inondation des barbares & la décadence des études : au feiziéme, le changement dans la difcipline & dans la pénitence, les tranflations, érections, appellations, &c. Au dix-feptiéme, les univerfités & les études : au dix-huitiéme, les croifades & les indulgences: au dix-neuviéme, la jurifdiction effentielle à l'églife, où il parle de l'inquisition: au vingtiéme enfin, qui finit en 1414. l'origine, l'état & le relachement des ordres religieux. Voilà tout ce que nous avons de cette hiftoire. Il fe préparoit à en donner la fuite lorf qu'il mourut le quatorze de Juillet 1723. dans fa quatre-vingtdeuxième année, après avoir été nommé confeffeur du roi Louis XV. en 1716. & s'être démis de cet important emploi dans le mois de Mars de l'année 1722. à caufe de fon grand âge.

Comme le public souhaitoit avec beaucoup d'empreffement

la continuation de l'hiftoire de ce fçavant abbé, j'ai ofè l'entreprendre, quoique je fente beaucoup mieux que je ne puis l'exprimer, combien je fuis éloigné de cette nobleffe d'expreffion, de ce ftyle aifé qui, fans être affecté, n'eft cependant que de cet auteur, de ces transitions heureuses, de ces traits vifs, de ces réflexions, courtes à la vérité, mais pleines de fens, répandues dans les vingt volumes de fon hiftoire. Enfin, j'avoue que je n'ai aucun de ces talens. Mais s'il m'eft permis de dire ici quel que chofe pour ma juftification, j'ofe affurer que mon deffein n'avoit jamais été de m'ériger en continuateur de l'ouvrage de M. l'abbé Fleury, & que ce que je commence à donner au public, n'eft que le fruit de quelques études que j'avois faites de l'hiftoire des trois derniers fiecles, afin d'avoir pour mon ufage particulier un corps d'hiftoire complet qui pût fuppléer à ce qui nous manquoit de ce fçavant abbé, que la mort a trop tôt enlevé pour le bien public, quoiqu'il eût fi dignement fourni fa carriere encore plus chargé de mérites que d'années. Je n'avois donc compofé cet ouvrage que pour ma propre inftruction, &, fi j'ose m'exprimer ainfi, par une espece de defefpoir légitime, de ce que nous ne pouvions pas avoir la fuite de cette hiftoire. Mais quelques amis m'ont déterminé à le rendre public, dans la vûe du fruit qu'on en pourra retirer ; & comme ils m'ont rendu auteur en quelque façon malgré moi, il eft jufte que je rende compte à mes lecteurs de mon deffein & de la maniere dont je l'ai executé.

Je me fuis propofé de recueillir fimplement, & de réunir tout ce qui peut donner une idée jufte, & fuffifamment étendue de ce qui s'eft paffé de plus confidérable, & dans l'églife, & dans les différens états de l'Europe pendant les trois cens dernieres années ; aufquelles j'ajouterai les vingt-cinq du dix-huitiéme fiecle qui fe font déja écoulées. J'avois dans la premiere édition divifé cette continuation par annales, afin que le lecteur fût plus aifément au fait de chaque point d'hiftoire, & que d'un coup d'œil il pût connoître ce qui s'eft fait dans chaque année. C'eft la méthode qui a été fuivie par Sponde, évêque de Pamiers, & avant lui par le cardinal Baronius, dont il a été l'abbreviateur & le continuateur; par M. Godeau, évêque de Vence; par Genebrard,& d'autres fçavans chronologiftes. Il m'a paru même que M. l'abbé Fleury auroit embraffé cette maniere d'écrire, s'il eut continué fon ouvrage, puifqu'il s'explique ainfi dans le difcours qui fert de préface au premier volume. » Quant premier.

M. Fleury difcours

» à l'ordre de temps, dit-il, je n'ai pas cru m'y devoir attacher trop fcrupuleufement. Il ne convient qu'à un hiftorien-con»temporain, comme Tacite, de faire des annales, écrivant des >> faits qu'il connoît dans un grand détail, & dont la proximité » rend les dates certaines. Ainfi, qui fe propoferoit l'hiftoire eccléfiaftique depuis le concile de Trente, ou même depuis celui de Conftance, auroit raifon de la ranger par annales : » mais il n'eft pas aifé de réduire ainfi les faits très-anciens, dont on ne fçait le temps que par conjectures; c'eft fe donner trop » de peine, & fe mettre au hafard de fe tromper & de tromper

∞ les autres «.

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Mais comme cette méthode d'écrire par annales ne laiffe pas d'avoir fes inconvéniens, ainsi que le même abbé l'a très-bien reconnu, lorsqu'il ajoute a que dans les faits mêmes les plus » certains, il n'eft pas toujours à propos de fuivre exactement l'ordre des années; autrement l'histoire tombera dans une ex»trême fechereffe, par les trop fréquentes interruptions. Il >> faudra paffer inceffamment d'Orient en Occident, d'Allemagne en France, ou en Efpagne, d'un confeil tenu en Italie à quelque diete des princes Allemands; parler de la mort d'un » pape, enfuite de celle d'un empereur ou d'un roi, & quelqueO fois fans liaisons, & par des tranfitions forcées. Ce qui fait juger qu'il vaudroit bien mieux anticiper quelques années, ou y remontrer pour reprendre un fait important des fon origine, » & de le continuer fans interruption jufqu'à la fin, afin de »> ne plus détourner l'attention du lecteur «. J'ai fuivi l'ordre de M. l'abbé Fleury; j'ai, comme lui, divifé par livres cette hiftoi re, qui n'ayant plus le défaut d être coupee par des interruptions défagréables, eft en même-temps plus conforme à ce qui a été obfervé dans les vingt premiers volumes dont eile eft la con

tinuation.

Si cet ouvrage n'eft pas une hiftoire complette, s'il n'a pas toute l'étendue qu'on auroit pu lui donner, ce n'eft pas non plus une fimple chronologie des faits qu'on rapporte: on s'eft attaché à prendre un jufte milieu, n'ayant rien omis de ce qu'on a jugé nécessaire, retranchant ce qui a paru le moins effentiel, évitant enfin tout ce qui approche de la dispute & de la controverfe. Le propre de l'hiftoire et d'expofer l'ordre & le détail des faits fans trop rechercher de preuves de raifons & de témoins, pour faire connoître précisément en quel temps les chofes font arrivées, La chronologie au contraire ne s'attache qu'à étudier

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