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unc profondeur étonnante d'érudition dans toutes les belles Lettres. Mais fa modeftie eft fi grande, qu'il femble qu'il cache fon favoir. A peine fouffre-t'il que l'on mette les premieres Lettres de fon nom à tant d'excellens ouvrages, qui fore tent tous les jours de fes mains. Je ne connois point d'homme plus officieux ni qui faffe moins valoir fes bons offices. J'ai eu quelquefois besoin de faire copier ou conferer des Manufcrits d'Angleterre. Je n'aurois jamais pris la liberté de lui demander qu'il y employât un quart d'heure d'un tems, dont il fait un fi bon. usage pour l'utilité publique. Sie tôt qu'il a connu mon befoin par le le rap port de quelqu'un de nos amis communs, il a quitté toutes les occupations pour fatisfaire mes defirs ; & je recevois ce que javois defiré, fans favoir de quelle part cette grace me venoit. Cette humeur bienfaisante eft fans exemple..

V.

Des deux Scaligers, pere & fils.

Les deux Scaligers, pere & fils, ont été deux prodiges de favoir, & deux prodiges de vanité. Schoppius a levé le

miafque de Principauté, dont le pere s'éroit couvert, & a fait voir qu'il s'appelloit Jules Bourdon, qu'il étoit né dans une boutique d'Enlumineur, qu'il fut Frater fous un Chirurgien, fon oncle paternel, & qu'il fut enfuite Cordelier; mais que l'élévation de fon efprit & de fon courage lui fit afpirer à de plus grandes chofes, qu'il quitta le froc, & prit le degré de Docteur en Medecine, qu'il obtint à Padoue; qu'il exerça la Medecine dans les Etats de Venife & en Piémont, & s'attacha en cet emploi à un Prélat de la Maifon de la Rovere, & le fuivit à Agen, dont l'Evêché lui avoit été conferé. Il s'y maria à une jeune fille, que quelquesuns ont dit avoir été fille d'un Apothiquaire: c'eft de-là qu'eft forti Jofeph Scaliger, qui trouvant cette chimere de Principauté dans fa famille, pour ne donner pas le démenti à fon pere, & pour fatisfaire à la propre ambition, fe porta pour Prince, & foûtint toutes les fourberies que fon pete avoit controuvées & pour les rendre plus vrai-femblables il y mit beaucoup du fien. Sur de tels fondemens il bâtit ce beau Roman de fa généalogie, adreffe à Doufa, qui eft à la tête de fes Epitres, & qui donna fi beau

jeu à Schoppius pour le refuter. Ge Schoppius avoit été un de fes plus zelez courtifans, comme on le reconnoît dans fes premiers livres de Critique. Mais étant depuis allé à Rome, & s'étant fait Catholique, Scaliger qui avoit une langue dangereufe, dit qu'il étoit alle lé-cher les plats des Cardinaux, lingere patinas cardinalitias. Cela étant rapporté à Schoppius, qui outre le zele d'un nouveau Converti, & le defir de faire fa cour au Sacré College, étoit plus mé- difant encore que Scaliger, il alluma toute fa bile contre lui, & alla exprès à t Vérone, à Padouë, & à Venise, chercher des moyens de faux contre fa prétendue Principauté, & le dégrada fans reffource par fon Scaliger Hypobolimaus. Mais avec tout cela, je dirois volontiers comme Lipfe, que fi les deux Scaligers n'étoient pas Princes, ils méritoient de: l'être , par la beauté de leur genie & l'excellence.de leur favoir. Et c'étoit une autre caufe de leur orgueil. Scaliger le pere fut prié par un de fes amis de lui mander de quelle maniere il vouloit être dépeint dans un ouvrage qu'il préparoit. On voit la réponse qu'il lui fit dans le Recueil de fes. Lettres; & on ne peut

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pas la voir fans être indigné de fon ambition, qui va au-delà de toutes bornes. Tâchez, lui dit-il, de ramaffer enfemble les figures de Maffiniffe, de Xenophon, & de Platon, & vous ferez un portrait qui me représentera imparfaitement, & approchera de moi. Cependant avec tout le mérite qu'il avoit,. & tour celui qu'il croyoit avoir, il a bien montré dans fon Hypercritique qu'il n'avoir nulle délicatelle de goût, par les juge mens faux qu'il a faits d'Homere, & de: Mufée, & de la plupart des autres Poëtes. Il l'a encore nieux montré par les Poëfies brutes & informes, dont il a desho noré le Parnaffe. Mais c'eft qu'il eût cru faire tort à la pofterité, que de lui rien dérober de ce qui partoit de lui. Il faut confeffer cépendant qu'il répare bien par fa profe le déchet de fes vers. Rien n'eft plus noble, plus poli,&mieux tourné. La lecture en eft délicieufe, quand on ne la liroit que pour elle-même, fans avoir égard aux matieres. Je la trouve feule-ment un peu trop oratoire, & trop foûténuë dans le ftile didactique. Son fils avoit le goût bien plus fin que lui. Son file étoit plus naturel & plus aife, & n'était pas moins noble. Il avoit hérité de

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l'effrenée outre-cuidance de fon peres Tous les écrits font un tiffu de plaintes de l'injustice que lui fait fon fiecle de ce qu'on ne l'adore pas. Il en affaffine fes Lecteurs. Il n'avance pas un trait d'érudition qui ne foit fuivi, ou de remerci mens qu'il fe fait à lui-même de fon rare mérite ou de reproches à ceux qui lui ont épargné l'encens qu'il croit lui être dû, ou d'infultes & de médifances noi res contre tous ceux qu'il rencontre en fon chemin. If ne faut que lire fes Sca Igerana pour reconnoître la malignité de fon efprit, incapable de dire ou de pen. fer du bien de perfonne. J'ai l'exemplaire du livre de la Milice Romaine; dont Lipfe lui fit prefent, lorfqu'il pu blia cet ouvrage. Les marges font plei-nes des remarques que Scaliger y fit de fa main & ces remarques font autant d'injures atroces qu'il répand contre Lip fe fon ami, fort bon homme, & qui ne perdoit aucune occafion de dire du bien de lui. Quoiqu'on ne puiffe pas defa-vouer qu'il n'ait été un très-grand perfonnage, qui a porté le flambeau dans les tenebres de plufieurs parties de la Literature, & qui a honoré fon fiecle: par l'éminence de fon favoir; il eft vra

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