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néanmoins qu'il est tombé dans une infinité d'erreurs groffieres, même fur les matieres qu'il avoit le plus cultivées. Le Pere Petau a fait voir incontestablement combien lourdement il s'eft abuse dans Ja Chronologie qui étoit fon étude favorite, & à laquelle il avoit rapporté les autres études. Je dirai bien davantage Il croyoit tenit l'empire fouverain dans la Critique, & j'ole affurer que de tous ceux qui ont pratiqué cette partie de la Litérature, il n'y en a prefque aucun qui l'ait fait moins heureufement que lui tant on remarque de précipitation, de prévention, & de témerité dans fes jugemens. Je n'ai écrit fur Manile, que pour faire voir que dans les trois éditions de ce Poëte, il a entaffé fautes fur fautes, & ignorances fur ignorances. Il a très-fuperficiellement entendu la matiere qui y eft traitée, il a prefque toûjours pris de travers le fens du Poëte, & la plupart de fes reftitutions dont il s'applaudit, & fe fçait fi bon gré, font des corruptions plûtôt que des corrections. Il en avance plufieurs dans fa premiere édition, comme des oracles, & avec une pleine confiance; & après en avoir reconnu l'abfurdité, il les retracte dans la feconde,

pour en propofer d'autres plus imperti nentes. Je n'en parle pas ainfi fans fondément ; j'ai prouvé ce que je dis. Ce fut la Réformation du Calendrier, à la quelle on travailloit à Rome, qui l'engagea à l'étude de la Chronologie. Il voulut faire voir qu'il étoit bien plus capable de cette entreprife, que tous ceux qu'on y avoit employez :: & véritablement fi le fuccès de ce travail avoit dépendu de l'étendue & de la variété de P'érudition, il auroit furpaffé de bien loin tous ceux qui s'y appliquérent; mais il leur étoit beaucoup inférieur dans la folidité de l'efprit, dans l'exactitude du raifonnement, & dans la profondeur des fpéculations. Quand il crut avoir trouvé la Quadrature du cercle, il fut redreffe & tourné en ridicule par un Maître d'E cole, qui mit en évidence le paralogifme qui l'avoit abufé, & coula à fonds Les Cyclométriques.

VI.

Eßais de Montagne...

Les Effais de Montagne font de ve ritables Montaniana, c'est-à-dire una Recueil des pensées de Montagne, fans

ordre & fans liaison. Ce n'eft pas peutêtre ce qui a le moins contribué à le rendre fi agréable à notre Nation, enne mie de l'affujettiffement que demandent les longues differtations; & à notre fiecle, ennemi de l'application que deman dent les Traitez fuivis & méthodiques. Son efprit libre, fon ftile varié, & fes expreffions métaphoriques, lui ont principalement mérité cette grande vogue, dans laquelle if a été pendant plus d'un fiecle, & où il eft encore aujourd'hui:car c'eft,pour ainsi dire,le Breviaire des hon nêtes pareffeux,& des ignorans studieux, qui veulent s'enfariner de quelque connoiffance du monde, & de quelque tein ture des Lettres. A peine trouverez-vous un Gentilhomme de campagne qui veuille fe diftinguer des preneurs de liévres, fans un Montagne fur fa cheminée. Mais cette liberté, qui-a fon utilité, quand elle a fes bornes, devient dangereufe, quand elle dégénére en licence. Telle eft celle de Montagne, qui s'eft cru permis de fe mettre au-deffus des loix, de la modeftie, & de la pudeur. Il faut refpe ter le public, quand on fe mêle de lub parler, comme on fait quand on s'érige en Auteur. La fource de ce défaut dans

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Montagne, a été fa vanité & fon amour propre. Il a cru que fon mérite l'affran chiffoit des regles; qu'il devoit donner Texemple, & non pas le fuivre. Ses par tifans ont beau excufer cette vanité,qu'on lui a rant reprochée. Tous ces tours & eet air de franchife qu'il prend, n'empê chent pas qu'on n'entrevoie une affecta-· tion fecrete de fe faire honneur de fes emplois, du nombre de fes domeftiques, & de la réputation qu'il s'étoit acquife. Qu'on ramaffe tout cela, qu'il a femé par-ci par-là adroitement dans fes écrits, on trouvera qu'il s'eft rendu fon propre Panegyrifte. Scaliger avoir grande raifon de dire,J'ai bien affaire de favoir si Mon tagne aime le vin blanc, ou le vin clai ret. En effet, n'eft-ce pas abufer de l'audiance de fon Lecteur, que de l'entretenir de fes goûts, & de toutes les autres fadaifes domeftiques? Scaliger pourtant ne parloit pas ainfi fans interêt de fon compatriote: Montagne avoit donné dans fes écrits à Jufte-Lipfe la premiere place dans l'empire des Lettres : quoiqu'en cela d'un mauvais goût, comme en bien d'autres chofes. Quand il avance quelque fentiment hardi, & fujet à conradiction, Je ne le donne pas pour bon 3.

dít-il, mais pour mien : & c'eft de quoi le Lecteur n'a que faire; car il lui importe peu de ce qu'a penfé Michel de Montagne, mais de ce qu'il falloit penfer pour bien penfer. Il déclare dans tout fon ouvrage, qu'il a voulu s'y peindre aur naturel, & fe repréfenter aux yeux du Public. Pour fe propofer un tel deffein, ne faut-il pas être perfuadé que cet original mérite d'être regardé, étudié, & imité de tout le monde ? Et cette idée a-t-elle pû naître ailleurs que dans un grand fonds d'amour propre ?

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Pour fon ftile, il eft d'un tour vérita blement fingulier, & d'un caractére original. Son imagination vive lui fournit fur toutes fortes de fujets une grande varieté d'images, dont il compofe cette abondance d'agréables métaphores, dans lefquelles aucun écrivain ne l'a jamais égalé. C'eft la figure favorite, figure qui felon Ariftote eft la marque d'un bon efprit,eas; parcequ'elle vient de la fécondité du fonds qui produit ces images, de la vivacité qui les découvre fa. cilement & à propos, & du difcernement qui fçait choifir les plus convenables.

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