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Ation des fyllabes longues & brèves : diftinction néanmoins qui n'eft point une invention de l'efprit humain, mais de la nature même, & qui a fà caufe dans la conformation de nos organes, & dans le mouvement de nos paffions. C'est ce que je lui répondis alors, en lui demandant s'il tiroit de nos rimes un argu ment de préférence de la poësie moderne au-deffus de l'ancienne; de nos rimes, dis-je, qui font un jeu badin & pue tile en lui-même, & jugé tel par les Anciens, qui l'évitoient foigneufement; groffiérement inventé par les Arabes, nation brutale & féroce, & qui n'a de politeffe & de culture que ce qu'elle en a pû puifer dans les ouvrages des Grecs Ils porterent dans l'Europe l'art de ris mer avec leur barbarie. Que fi ces génies fublimes de. l'antiquité avoient pû prévoir que cette confonance de fyllabes & de mots, occuperoit un jour les plus beaux efprits des nations les plus polies, ils auroient déploré le fort de l'efprit humain, capable de s'abaiffer & de fe plaire à une fi grande niaiferie.

Si nous entreprenons maintenant la com paraifon de l'art militaire, rien ne pourra mieux nous en faire juger que la grandeur

des conquêtes. Pouvons-nous feulement penfer fans étonnement à celles de ces mê mes Arabes, qui ont porté leurs armes depuis le Tigre jufqu'à la Loire ; à· celles de Nabuchodonofor, de Sefoftris d'Alexandre, & de Céfar?

Pour conclure enfin ce long difcours,je regarde ce mépris de l'antiquité, comme une marque de la décadence de notre âge. On peut obferver que les fiécles qui ont commencé à dégénérer, ont été ceux qui fe font foûlevez contre l'antiquité. Tel fut le fiécle de l'Empereur Hadrien, homme d'un goût dépravé dans les lettres, d'un efprit bouché, & dont on ne peut rapporter les fentimens fans indignation, ou fans rifée.

XIII.

Difference effentielle entre les vers & la profe.

Entre les différences., qui diftinguent les vers de la profe, j'en vois une que l'on n'a pas coûtume de remarquer affez nettement & en détail, mais-feulement en gros & confufément, & qu'on obmet fouvent & prefque toûjours, & qui me paroît pourtant effentielle. C'eft que

les vers font affujettis à des régles fort étroites, pour la mesure, pour le nombre, pour la quantité, où pour la rime ; mais ils font fort libres, pour les penfées, pour les expreffions, & pour les figures. On leur permet une, infinité de licences, qu'on appelle poëtiques, & de tours hardis ; & même on les ordonne comme un ornement néceffaire. Las profe au contraire a une entiere liberté pour l'arrangement des mots, pour la rencontre des lettres & des fyllabes, & pour la mesure des paroles, & elle n'est point fervilement affujettie au jugement de l'oreille; mais fes penfées, fes figu res font foumises à la régle : & fi fon ftile n'eft pas mefuré, il doit être mo deré & châtié, & porter des marques de l'ordre & de l'arrangement de left prit d'où elle part.

XIV.

Monde foûterrain.

Il y a fujet de s'étonner que la van té des hommes les ait portez à s'élever au-deffus de la terre avec tant de travail, & de dépenfe ; & que leur curio fité ne leur ait pas fait naître le défig

de creufer la terre pour connoître par leurs yeux ce qu'elle contient dans fes entrailles. Si l'on avoit employé à ce deffein, ce que la tour de Babel, & les pyramides d'Egypte ont coûté, l'on auroit acquis des connoiffances très-utiles, & l'on auroit épargné au Pere Kircher bien des réflexions creufes fur le Monde foûterrain. Nous ne favons point que Fon ait jamais effleuré la terre à la fondeur perpendiculaire d'une demihieuë. Quand on l'auroit fait, ce n'auroit été que l'égratigner. De même que les plus hautes montagnes ne font pas à proportion de cette vafte maffe, ce que les porreaux & les verruës font àproportion de nos corps.

X V.,

Sepulture de Cujas:

pro

Me trouvant à Bourges en l'année 1687. je fus vifité par quelques Docteurs de l'Univerfité. Je les félicitai fur la réputation que le célébre Cujas avoir acquife à leur compagnie, & je leur fis plufieurs demandes fur fon fujet. J'appris d'eux le lieu de fa fépulture, & je m'y tranfportai aufli-tôt. Je la trouvai

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dans une petite Paroiffe écartée. A peine pus-je rencontrer quelqu'un dans cette Eglife, qui connût le nom de Cujas. On me mena enfin dans une Chapelle des aîles, où je ne vis aucune Epitaphe, ni aucune Infcription, qui pût apprendre à la poftérité que les cen dres de ce grand perfonnage repofoient en ce lieu. J'y vis feulement fon portrait peint en huile, affez récent, & qui a été placé là depuis fort peu de tems. Il eft répréfenté de toute la hau teur avec fa robe rouge de Profeffeur, & il reffemble affez aux portraits que j'ai vûs de lui. Il paroît gros & court, & porte fur fon vifage ce même cara &ére de probité, qui lui eft attribué par ceux qui ont écrit fa vie. Je me plaignis à fes fucceffeurs du peu de foin qu'ils avoient pris de faire honneur à la mémoire d'un homme qui leur en avoit tant fait, & je 'les exhortai d'ériger quelque monument public, qui fît connoître & fon mérite, & leur reconnoiffance. J'ajoûtai même que je me croyois obligé de m'y intereffer en qualité de Docteur aux Droits, & j'offris de contribuer à la dépense.

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