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DIALOGUE VIII.

DORCAS, PANNIQUE, PHILOSTRATE,

DORCAS.

POLÉMON.

Nous fommes perdues,

ma chere maîtresse; c'est fait de nous. Polémon eft de retour de l'armée, & il revient, dit-on, fort riche. Je l'ai vu moi-même avec une chlamyde bordée de pourpre, & retenue par une belle agraffe; il étoit d'ailleurs fuivi d'une foule d'efclaves. Ses amis, en le voyant, s'empreffoient de courir vers lui pour le faluer; je reconnus, parmi les efclaves qui marchoient à fa fuite, celui qu'il avoit déjà avant fon départ. Je l'abordai poliment, & après les premiers complimens: Parménon, lui dis-je, peut-on vous demander fi vous avez quelquefois pensé & fi vous nous rapportez

à nous,

quelque

quelque chofe qui foit digne d'illuftres guerriers,

PANNIQUE. Il n'auroit pas fallu dé

buter par

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là; il auroit mieux valu lui dire: Nous rendons mille actions de graces aux Dieux de votre heureux retour, fur-tout à Jupiter Hofpitalier, & à Pallas qui préfide aux combats. Ma maîtreffe s'écrioit à tous les inftans Que font-ils? où font-ils ? Tu aurois beaucoup mieux fait encore, fi tu avois ajouté: Elle pleuroit fans ceffe, & fans ceffe elle prononçoit le nom de Polémon.

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DORC. Eh! mais cela va fans dire; croyez-vous que j'aye manqué à rien de tout cela? Je ne voulois ici vous informer que de ce qu'il m'a répondu. Voici donc comment j'ai débuté avec lui Parménon, l'oreille ne vous at-elle pas tinté bien des fois ? Ma maftreffe avoit toujours la larme à l'oeil, lorfqu'elle penfoit à vous. Arrivoit-il de l'armée quelqu'un qui annonçoit Tome VI

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que l'on avoit perdu beaucoup de monde? elle déchiroit fes vêtemens, se frappoit la poitrine, & se défoloit à chaque nouvelle.

PANN. Très-bien, Dorcas; on nẹ peut pas mieux.

DORC. Je lui fis enfuite la question que je vous ai rapportée : Nous revenons, me répondit-il, dans l'état le plus brillant,

PANN, Quoi! fans autre préambule? fans dire que Polémon avoit pensé à moi? qu'il avoit foupiré après moi, & fouhaité de me retrouver pleine de vie?

DORC. Pardonnez-moi; il m'a dit beaucoup de jolies chofes de ce genre; mais il m'a beaucoup plus entretenue des immenfes richeffes de fon maître, de fon or, de fes fuperbes habits, de fes nombreux esclaves, de l'ivoire qu'il rapportoit. Il ne compte point fon argent, m'a-t-il ajouté; il le mesure au boiffeau, & il en a un très-grand

nombre de boiffeaux. Parménon luimême portoit à fon petit doigt un grand anneau à plusieurs facettes, enrichi d'un rubis de trois couleurs, qui jette à la surface un feu éclatant; il a fallu me prêter avec complaifance à l'envie qu'il avoit de me raconter les proueffes de fon maître & les fiennes; il m'a dit comment ils ont passé le fleuve Halys (*), & défait un cer

(*) Le fleuve Halys est le plus grand de l'Afie-Mineure; il prend fa fource fort au loin, vers ce qu'on appeloit l'Arménie-Mineure, & après avoir traversé d'Orient en Occident tout le nord de la Cappadoce, il est joint par une riviere qui fort du mont Taurus, & à laquelle le nom d'Halys a été également attribué. De grands circuits, qui fuccedent dans fon cours en tournant au nord, vont fe terminer dans le Pont-Euxin, & il porte aujourd'hui chez les Turcs le nom de Kizil-Ermak, ou de fleuve Rouge. M. Danville, Géographie ancienne, tome II, p. 7. Ce paffage du fleuve Halys, ce Téridate & fa défaite, ce combat contre les Pifidiens, font cités & appliqués ici proverbiale

tain Téridate, & comment Polémo s'eft conduit dans un combat contre les Pifidiens (*). Je fuis accourue vous informer de tout cela, pour que vous priffiez vos précautions; car s'il vient ici, comme je préfume qu'il va faire. dès qu'il fera débarrassé de ses amis, qu'on lui ait parlé de Philoftrate & qu'il le trouve chez vous, que ne fera t-il pas ?

PANN. Voyons, Dorcas, à nous ti rer de ce mauvais pas. D'abord, il ne feroit pas honnête de congédier Philoftrate, qui derniérement m'a donné un talent, qui d'ailleurs eft très-riche Commerçant & m'a fait de grandes promeffes. D'un autre côté, auroit du danger à ne pas rece

il y

ment, pour exprimer de ridicules proueffes & des forfanteries militaires.

(*) Les Pifidiens & les Odryfiens, dont il eft parlé plus bas, font des Nations de l'ancienne Thrace,

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