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MÉMOIRES

DE

L'ACADÉMIE DE DIJON;

ANNÉE 1782.

PREMIER SEMESTRE

RECHERCHES

POUR perfectionner la préparation des couleurs employées dans la peinture.

R

PAR M. DE MOR VE A Ú.

IEN n'eft plus décourageant pour l'homme de génie qui afpre à laiffer fur la toile les monumens durables de fes fublimes conceptions, que l'inftabilité des couleurs dont il eft

A

obligé d'emprunter l'expreffion : tel eft cependant encore aujourd'hui le fort de la Peinture, de cet Art si anciennement cultivé, fi juftement honoré, & malgré les efforts de tant d'Artistes jaloux de leur gloire, qui n'ont confié leurs penfées qu'aux matieres qu'ils avoient eux-mêmes préparées (1). Ce n'eft donc pas feulement parce que le Peintre a négligé d'acquérir les connoiffances chymiques qui devoient le guider en ce travail, c'est bien plus parce que la chymie à ellemême ignoré, jufques dans ces derniers temps, la plus grande partie de fes reffources. Mais j'ai cru qu'elle pouvoit enfin puifer dans le tréfor de fes nombreufes découvertes, des procédés pour créer, pour affurer les nuances que defire la Peinture; j'ai entrepris de les déterminer par l'expérience, je m'empreffe d'annoncer le réfultat de ces premieres recherches. On a dit bien fouvent que les Arts fe devoient mutuellement des fecours; mais où l'a-t-on mieux fenti que dans cette Province Le Chef de notre Ecole naif

(1) Il est certain que plufieurs Peintres célèbres ont eux-mêmes préparé leurs couleurs ; quelques-uns ont probablement été affez heureux pour parvenir à les rendre plus belles & plus fixes, ou à les tirer de matieres moins fujettes à s'altérer. Ceux qui ont le plus comparé de tableaux anciens & modernes, m'ont affuré qu'il n'étoit pas poffible d'en douter: mais ces procédés ont été tenus fecrets; la tradition en eft peut-être per due; c'eft à la Chymie à les retrouver ou à les remplacer.

fante (1), dont les Eleves ont déjà remporté la palme des Concours, jufques dans cette Ville fameufe où l'on ne marche pour ainfi dire que fur des modèles du goût; de digne Profeffeur vient encore de nous prêter fon crayon élégant & fidele, pour animer les types d'un nouveau fyftême botanique (2) Vous ne me demandez pas, Meffieurs, qu'eftce qui a produit, qui eft ce qui entretient cette union des Sciences & des Arts: croif fant ensemble fous les aufpices d'un Prince qui leur partage une protection éclairé e,fous une administration paternelle qui mefure fes bienfaits à leur utilité, il eft bien naturel qu'ils aient l'émulation de fe fervir en freres; puifqu'ils ne compofent qu'une même famille.

Le blanc eft de toutes les couleurs de la Peinture la plus importante: ce feroit peut de dire qu'elle fert à adoucir les nuances de toutes les autres, qu'elle leur communique ainfi les altérations qu'elle reçoit ; le blanc eft fur la palette du Peintre, comme la matiere de la lumiere qu'il diftribue avec intelligence pour rapprocher les objets, pour leur donner

(1) M. de Vofge, Directeur de l'Ecole gratuite de Deffin, &c.

(2) Carte botanique dreffée par M. Durande, Profeffeur de Botanique au Jardin de Plantes de l'Académie; elle a été gravée par M. Monnier, fur les deffins de M. de Volge.

du relief, & qui fait la magie de fes tableaux: à mesure que cette lumiere s'affoiblit ou s'éteint, les apparences changent, le preftige ceffe, & la toile ne préfente enfin que des plans chargés de couleurs ternes & fans expreffion. C'eft fur lui que j'ai en conféquence porté principalement mon attention; c'est la feule couleur dont je m'occuperai aujourd'hui, réfervant à un autre temps les vues que j'ai recueillies de mes expériences, pour fournir aux Artistes les autres couleurs qu'ils font dans le cas de defirer.

§. i. Examen des Blancs connus.

Le premier blane qui ait été connu, le feul dont on faffe encore ufage, eft celui que donne la chaux de plomb; la fimple théorie chymique auroit dû la faire profcrire, parce que c'eft, après les métaux parfaits, ia fubftance métallique qui reprend le plus aisément le feu fixe ou phlogistique ; & la maladie terrible connue fous le nom de colique des Peintres, ou colique de Poitou, à laquelle font exposés ceux qui manient habituellement la terre du plomb, auroit bien dû, ce me femble, engager à la recherche d'une matiere moins dangereufe (1). Mais on n'a pas feulement

(1) On peut voir ce que dit à ce fujet le célèbre Auteur du Dictionnaire de Chymie, article Plomb, & l'extrait du Prima menfis de la Faculté de Médecine de

imaginé qu'il fût poffible de la remplacer ; & moins occupé du péril de l'Artiste que de la perfection de l'Art, on s'eft borné à en varier les préparations pour effayer de la rendre moins fujette à s'altérer. Delà la diftinction de blanc de Crems en Autriche, de blanc de plomb en écailles, de blanc de cérufe, que l'on trouve dans le commerce.

On fait que le fond de toutes ces couleurs eft la chaux de plomb, plus ou moins pure, plus ou moins chargée de craie; ainfi, elles participent toutes des qualités effentielles à cette terre métallique ceux qui en pourroient douter, en verront la preuve par l'expérience fuivante.

Expérience pour déterminer & démontrer l'altérabilité des couleurs par la vapeur phlogistique.

Je verfe dans un grand bocal de verre, du foie de foufre (à bafe d'alkali fixe ou volatil,

Paris, dans le Journal de Médecine, du mois de Juin 1782. On y fait mention, d'après le rapport de M. Desbois, d'un Peintre qui avoit effuyé cinq fois en douze ans la colique de Poitou ; & M. Doublet y donna l'obfervation d'un jeune homme, qui étant entré bien portant dans la boutique d'un Peintre, & s'y étant arrêté pour déjaûner, fut faifi, une heure après, de convulfions. qui auroient fait penfer qu'il étoit épileptique, & qui n'avoient d'autre caufe que la colique des Peintres, Malgré tous les fecours qu'on lui adminiftra, il ne reprit connoiffance que dix-huit heures après. Note ajoutée lors de l'impreffion.

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