AN. 1253 nent,

de tels commandemens de quelque part qu'ils viennent, fut-ce du fouverain ordre des anges: mais il eft obligé d'y refifter de toute la force. C'est pourquoi, mes venerables feigneurs, je vous déclare, que loin d'y obéir je m'y oppofe; & vous ne devez pour cela rien ordonner de fâcheux contre moi : puisque ce que j'en fais tourne à l'honneur du pape & au vôtre.

Quelque raifon que ce prélat pût avoir dans le fonds, on ne peut excufer la dureté des expreffions dont cette lettre eft remplie, & fur tout l'ironie ou plûtôt la dérifion groffiere qui y regne du commencement à la fin : car il ne pouvoit douter que le mandement dont il s'agiffoit ne vint en effet du pape. -Auffi le pape fut-il fort irrité de cette lettre quand elle vint à faconnoiffance, & il vouloit faire châtier l'évêque de Lincoln par le roi d'Angleterre. Mais les cardinaux lui reprefenterent, que ce prélat étoit en grande réputation en France & en Angleterre. Il paffe, difoient-ils, pour grand philofophe, il fçait bien le Latin & le Grec : il eft docteur en théologie & prédicateur, zelé pour la juftice & la pureté perfecuteur des fimoniaques. Ainfi parloit entre autres Gilles Espagnol un des plus anciens cardinaux. Ils confeillerent donc au pape de diffimuler la chofe, pour ne point exciter de tumulte. D'autant plus, Matth. Paris. ajoûte Matthien Paris, qu'on fçait que la revolte doit venir un jour. Il femble qu'ils previffent dèslors ce qui eft arrivé trois cens ans après en Angle

7520

terre.

4

Sur la fin de l'été l'évêque de Lincoln temba griévement malade dans une de fes terres, & ap

AN. 1253.

pella près de lui Jean de S. Gilles de l'ordre des fre-
res Prêcheurs, fçavant en medecine & docteur en
théologie, pour recevoir de lui le fecours corporel
& fpirituel. Un jour l'évêque s'entretenant avec ce
religieux & parlant de la conduite du pape, lui dit :
Vous autres freres mendians, Prêcheurs & Mineurs
avez embraffé cette pauvreté pour reprendre les
grands avec plus de liberté, & par confequent p. 7534
vous vous rendez complices de leurs crimes quand
vous ne vous y oppofez pas. Et comme les nuits
étoient déja longues, car c'étoit au commencement
d'octobre, il fit venir quelques-uns de fes clercs
pour avoir quelque converfation, & leur difoit en
parlant de la perte des ames caufée par l'avarice de
la cour de Rome. J. C. eft venu au monde pour ga-
gner des ames, donc celui qui ne craint point de les
perdre merite le nom d'Antechrift.

Et encore: Le pape n'a point de honte d'annuller
les conftitutions de fes prédeceffeurs par le Nonob-
ftant en quoi il témoigne un trop grand mépris
pour eux, & donne l'exemple de caffer auffi les fien-
nes. Et encore:
encore: Quoique plufieurs papes aïent déja
affligé l'églife, celui-ci l'a réduite à une plus grande
fervitude; principalement par les ufuriers qu'il a in-
troduits en Angleterre & qui font pires que les
Juifs. De plus il a ordonné aux freres Prêcheurs & aux
freres Mincurs qu'en affiftant les mourans ils leur
perfuadent de donner par teftament pour le fecours
de la terre fainte & de fe croifer eux-mêmes : afin
de fruftrer les heritiers de leur bien, foit qu'ils vi-
vent, foit qu'ils meurent. Il vend les croifez à des
Jaïques, comme on vendoit autrefois des bœufs &

p. 754.

A N. 1253.

des moutons dans le temple; & mefure l'indulgence felon l'argent que l'on donne pour la croifade. De plus, le pape ordonne aux prélats par ses lettres de pourvoir un tel d'un benefice felon qu'il voudra l'accepter; quoiqu'il foit étranger, abfent & enticrement indigne, fans lettres, ignorant la langue du païs, enforte qu'il ne peut ni prêcher ni entendre les confeffions, ni même affifter les pauvres & recevoir les paffans parce qu'il ne refide pas.

Je vois ce qui m'eft nouveau, que le pape pour s'attirer la faveur des grands, permet d'être évêque fans jamais fe faire facrer: feulement pour avoir le revenu, en gardant ceux dont on joüiffoit déja. Il vouloit parler fans doute de Philippe de Savoye archevêque de Lion. Il s'étendoit fur les vices de la cour de Rome, particulierement l'avarice & l'impureté ; & ajoûtoit, que pour tout engloutir ello s'attribuoit les biens de ceux qui mouroient fans teftament; & qu'afin de piller plus librement elle faifoit part au roi de fes rapines. L'évêque se plaignoit encore que le pape emploïoit au recouvrement de fes exactions les freres mandians lettrez & vertueux, abusant ainfi de leur obéiffance, pour les faire rentrer dans le monde qu'ils avoient quitté. Qu'il les envoïoit en Angleterre avec de grands pouvoirs comme des légats traveftis : ne pouvant y envoïer des légats en forme & à découvert, si le roi ne lẹ demandoit,

Telles étoient les plaintes de l'évêque de Lincoln : tropaigres à la verité, mais trop bien fondées, comme il paroît par les écrits du temps, même par les lettres des papes. Il mourut la nuit de la S. Denis,

c'est-à-dire, le neuviéme d'Octobre 1253. en opinion de fainteté ; & on prétendit qu'il s'étoit fait AN. 1253. des miracles à fa mort : il refte de lui quelques écrits imprimez peu confiderables & quelques autres manufcrits.

Nous voïons en France dans le même temps quelques-uns des abus dont on fe plaignoit en Angleterre, mais qui venoient des évêques. Ils coupoient les prebendes pour augmenter le nombre des chanoines, & en inftituoient pour la premiere prebende vacante. Ils demandoient à leur clergé des subfides fans neceffité : ils chargeoient les cures de pensions, enforte qu'il reftoit à peine au titulaire de quoi fubfifter. Ils les donnoient en commande à des clercs qui en avoient déja d'autres en titre : ils en uniffoient à leur menfe, quoiqu'elle cût un reveAu fuffifant. C'est ce qui paroît par les reglemens du concile tenu cette année à S. Florent de Saumur le mardi d'après la S. André, c'est-à-dire, le second jour de Decembre par Pierre de Lamballe archevêque de Tours & fes fuffragans.

Dès l'année 12 51. Mendog ou Mind of prince de Lituanie aïant donné quelques terres aux chevaliers de Prusse, ils lui confeillerent de prendre le titre de roi, & pour cet effet de s'adreffer au pape & fe mettre fous fa protection. Mendog envoïa donc une ambaffade folemnelle au pape Innocent, qui lui écrivit en ces termes : Nous avons appris avec bien de la joïe, que Dieu vous aïant fait la grace de vous éclairer, vous avez reçû le baptême avec une grande multitude de païens; & que vous avez entierement foumis votre perfonne, votre roïaume & tous vos

Cave. Sac. Schol.

p. 497.

to. XF. concil. p. 707. 10. 12.13.28.

29.

nie.

XLIV..

Eglife de LituaRainald, 1258. n.

44:45. c.

biens fous la protection du S. fiege. C'eft pourquoi AN. 1253. condefcendant à vos defirs nous recevons au droit & à la proprieté de faint Pierre le roïaume de Lituanie & toutes les terres que vous avez déja retirées d'entre les mains des infideles, ou que vous en pourrez retirer à l'avenir ; & nous vous prenons fous la protection du saint fiege avec votre femme, vos enfans & votre famille. La lettre eft dattée de Milan le feiziéme de Juillet 1251. La Luthavie ou LiBaudrand. to. 1. teuvic, comme on la nomme dans le païs, est la même que la Lituanie.

p. 582.

Le pape écrivit en même temps à Henri évêque

Rain. n. 46. 47. de Culm,lui donnant commiffion de couronner roi Mindof, & d'ordonner un évêque pour la Lituanie, après que le roi y auroit fondé & dotté fuffisamment une église cathédrale, A condition que le nouvel évêque ne feroit foûmis qu'au pape, & lui feroit ferment auffi-tôt après fon ordination. Le pape 48. écrivit auffi à l'évêque de Riga & à deux autres du voifinage, d'aider le nouveau roi pour la converfion des Lituaniens. Deux ans se pafferent fans que l'érection de l'évêché fut executée, & en 1259. le Rain.n. 1253.7.26. pape en donna de nouveau la commiffion à l'archevêque de Livonic & de Pruffe, qui avant que de recevoir la lettre du pape ordonna évêque de Lituanie un prêtre de l'ordre Teutonique nommé Chriftien, & reçut de lui le ferment de fidelité en fon nom & de fon églife: ce que le pape trouva fort mauvais. Il déclara nul ce ferment, & prétendit que la Lituanic appartenant à S. Pierre en proprieté, fon évêque ne devoit dépendre que du faint fiege. C'est ce qu'il déclara par une lettre du troifiéme de Septembre 1254.

Id. 1254. n. 27.

S. Louis