Imágenes de páginas
PDF
EPUB

que les Bulgares nomment la grande mer ; & nous abordâmes à Soldaïa dans la petite Tartarie, le vingt- uniéme du même mois. Nous dîmes que nous allions trouver Sartach, parce qu'on nous avoit dit qu'il étoit chrétien, & que nous lui portions des lettres du roi de France: fur quoi nous fûmes reçus agréablement, & l'évêque du lieu nous dit beaucoup de bien de Sartach, que nous ne trouvâmes pas depuis conforme à la verité, Nous étions cinq perfonnes, moi, frere Barthelemi de Cremone mon compagnon, notre clerc nommé Goset, porteur des prefentes, Homodei notre truchement, & un jeune esclave nommé Nicolas, que j'avois acheté à C. P. Nous partîmes H.p.79. de Soldaïa vers le premier de Juin. Le troiTyp. fiéme jour après nous trouvâmes les Tartares, & étant entré parmi eux je m'imaginois être venų

dans un autre monde.

A l'octave de l'Afcenfion qui étoit le cinquième de Juin, j'eus audience de Scacataï parent de Baatou, & lui rendis une lettre de l'empereur de C. P, pour obtenir la liberté de paffer outre. Scacatar nous demanda fi nous voulions boire du cofmós, certain breuvage fait avec du lait de jument, & je m'en excufai pour lors. Or les chrétiens du païs, Ruffes, Grecs & Alains, font confcience d'en boire, & leurs prêtres mettent en penitence ceux qui en boivent comme s'ils avoient apoftafié. Scacataï me demanda ce que nous dirions à Sartach. Je répondis, que nous lui parlerions de la foi chrétienne. Il demanda ce que c'étoit, difant, qu'il l'entendroit volontiers. Alors je lui expliquai

pliquai le simbole, comme je pûs, par mon interprete, qui n'avoit point d'efprit, & ne fçavoit pas s'exprimer. Après l'avoir oui, il fecotia la tête fans

dire mot.

La veille de la Pentecôte, des Alains qui font Chrétiens du rit Grec vinrent à nous. Ils ne font pas fchifmatiques comme les Grecs : mais ils honorent tous les Chrétiens fans diftinction. Ils nous apporterent de la viande cuite, nous priant d'en manger, & de prier Dieu pour un d'entr'eux qui étoit mort. Je leur dis qu'il ne nous étoit pas permis de manger de la viande ce jour-là, qui étoit la vigile d'une fi grande fête, fur laquelle je les inftruifis; & ils en furent extrémement réjouis; car ils ignoroient tout ce qui regarde la religion, hors le feul nom de JESUS-CHRIST. Ils nous demanderent, & plufieurs autres Chrétiens auffi Ruffes & Hongrois, s'ils pouvoient faire leur falut, étant obligez à boire du cofmos, & à manger des bêtes mortes d'elles-mêmes, ou tuées par des Sarrafins, ou d'autres infidéles; qu'ils ignoroient les jours de jeûne, & ne pourroient les observer, quand même ils les connoîtroient. Je les redreffai comme je pûs, les inftruifant & les fortifiant dans la foi.

Le jour de la Pentecôte huitiéme de Juin, vint à nous un Sarrafin, avec lequel entrant en conversation, nous commençâmes à lui expliquer la foi. Aïant entendu les biens que Dieu avoit faits au genre humain par l'incarnation de Jefus Chrift, la refurrection des morts, & le jugement futur, & que les pechez font lavez par le baptême : il dir

[blocks in formation]

qu'il vouloit le recevoir. Mais comme nous nous préparions à le baptifer, il monta tout d'un coup à cheval, & dit qu'il vouloit aller chez lui, & confulter avec fa femme. Le lendemain il nous dit qu'il n'ofoit recevoir le baptême, parce qu'enfuite il ne boiroit plus de cofmos. Car les Chrétiens. du lieu difoient, qu'aucun vrai Chrétien ne devoit ufer de cette boiffon, & il ne pouvoit s'en paffer: dans ce défert. Je ne pûs jamais le tirer de cette opinion, qui les éloigne beaucoup de la foi, étant foutenus par les Rufles qui font en très-grand nombre parmi eux..

Nous partîmes le lendemain de la Pentecôte, marchant premierement droit au Nord, puis au Levant, aïant à droit la mer Cafpienne. Les Tartares qui nous accompagnoient étoient fort incommodes ; mais ce qui me faisoit le plus de peine, c'est que quand je voulois leur dire quelque parole d'édification, mon interprete difoit: Ne me faites point prêcher, je ne fçai point tenir de tels dif cours. Il difoit vrai,car je m'apperçus depuis, quand je commençai à entendre un peu la langue, que lorsque je disois une chose, il disoit tout autrement, felon ce qui lui venoit à la bouche. Voïant donc le danger de le faire parler, j'aimai mieux me taire. Peu de jours avant la Magdelaine nous arrivâmes au grand fleuve Tanaïs, & le dernier jour de Juillet au logement de Sartach, à trois journées du : fleuve Etilia ou Volga, le plus grand que j'aïe jamais vû. Quand nous fûmes arrivez à cette cour, notre guide s'adreffa à un Neftorien nommé Coïac, qui nous envoïa à l'introducteur des ambaffadeurs...

Notre guide demanda ce que nous lui portions, & fut fort fcandalifé de ce que nous n'avions rien à lui donner. Etant devant l'introducteur, je lui en fis mes excuses, difant que j'étois moine, & ne touchois ni or ni argent. Il répondit qu'étant moine je faifois bien de garder mon vou, qu'il n'avoit pas befoin du nôtre, & nous donneroit plûtôt du fien. Il demanda quel étoit le plus grand feigneur entre les Francs. Je répondis, c'eft l'empereur, s'il avoit fon état paifible. Non, dit-il, c'est le roi de France. C'est qu'il avoit oui parler de vous à Baudouin de Hainaut, & à un chevalier du Temple qui s'étoit trouvé en Chipre.

XVII. Audience de Sar

Deux jours après il me manda de venir à la cour, & d'apporter la lettre du roi, la chapelle & les livres tach. avec moi, parce que fon maître les vouloit voir. Il fit tout déplier en préfence de plusieurs Tartares, Chrétiens & Sarrafins qui étoient autour de nous à cheval, puis il me demanda fi je voulois donner tout cela à fon maître. Je fus effraïé de cette propofition; mais fans le témoigner je dis que c'étoit des habits facrez, & qu'il n'étoit permis qu'aux prêtres de les toucher. Il nous ordonna de nous en revêtir pour aller devant fon maître, ce que nous fimes. Je pris les habits les plus précieux, avec un fort beau couffin devant ma poitrine, & deffus la bible que vous m'aviez donnée, & le pfeautier que m'avoit donné la reine, où étoient de belles enluminures. Mon compagnon prit le miffel & la croix, & le clerc revêtu d'un furplis prit l'encenfoir. Nous vinmes ainfi devant Sartach, on leva une piece de feutre suspendue devant la porte, afin

qu'il nous pût voir. On fit faire trois genuflexions; au clerc & à l'interprete; & on nous avertit de bien prendre garde à ne pas toucher au feuil de la porte en entrant ni en fortant, & de chanter quelque bénédiction pour le prince. Nous entrâmes en chantant Salve Regina..

Coïac-lui porta l'encenfoir avec l'encens, il le prit à fa main & le regarda attentivement. Il confidera curieufement le pfeautier, auffi-bien que fa femme, qui étoit affife auprès de lui. Il prit la bible & demanda fi l'évangile y étoit, je lui dis que c'étoit toute l'écriture fainte. Il prit auffi la croix à. fa main, & demanda fi l'image qui étoit deffus, étoit celle de J. C. Je répondis qu'oüi. C'est que les Neftoriens & les Arméniens ne mettent point de figure fur leur croix, ce qui fait penfer qu'ils ne croïent pas bien touchant la paffion de J. C. ou qu'ils en ont honte. Je lui prefentai votre lettre avec les copies en Arabe & en Syriaque, car j'avois eu foin de la faire traduire à Acre. Quand nous fû-. mes fortis & deshabillez, il vint des fecretaires avec: Coïaç, & ils firent traduire la lettre. C'étoit le jour de faint Pierre aux liens, c'cft-à-dire le pre-. mier d'Août 1-2, 5·3 ́`·.

Le lendemain vint un prêtre frere de Coïac, qui nous demanda le vafe où étoit le faint chrême parce que Sartach le vouloit voir; & nous le lui donnâmes. Le foir Coïac nous appella, & nous dit:le roi votre maître a écrit de bonnes paroles au mien, mais il y a des chofes difficiles, dont il n'ofe rien faire fans le confeil de fon pere. C'est pourquoi il faut que vous alliez le trouver. Puis il nous

« AnteriorContinuar »