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fois par de grands intérêts ou des fantaifies frivoles, leurs idées ne font ja mais fuivies, elles le trouvent en contradiction, & leur paroiffent fuccellivement d'une égale évidence. Les ocu pations font diférentes à Paris & dans la Province; l'oifiveté même ne s'y reffemble pas l'une eft une langueur, un engourdiffement une existence matérièle; l'autre eft une activité fans deffein, un mouvement fans objet. On fent plus à Paris qu'on ne penfe, on agit plus qu'on ne projète, on projète plus qu'on ne réfout. On n'eftime que les talens & les arts de goût; à peine a-t-on l'idée des arts néceffaires, on en jouit fans les conoître.

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Les liens du fang n'y décident de rien pour l'amitié ; ils n'impofent que des devoirs de décence; dans la Province ils exigent des fervices: ce n'eft pas qu'on s'y aime plus qu'à Paris, on

s'y hait fouvent davantage, mais on y eft plus parent: au-lieu que dans Paris, les intérêts croifés, les événemens multipliés, les afaires, les plaisirs, la variété des fociétés, la facilité d'en changer; toutes ces caufes réunies empêchent l'amitié, l'amour ou la haine d'y prendre beaucoup de confif

tance.

Il règne à Paris une certaine indiférence générale qui multiplie les goûts paffagers, qui tient lieu de liaifon, qui fait que perfone n'eft de trop dans la fociété, que perfone n'y eft néceffaire: tout le monde fe convient, perfone ne se manque. L'extrême diffipation où l'on vit, fait qu'on ne prend pas affez d'intérêt les uns aux autres, pour être dificile ou conftant dans les liai fons.

On fe recherche peu, on fe rencon tre avec plaifir ;. on s'acueille avec plus

de vivacité que de chaleur; on fe perd fans regret, ou même fans y faire aten

tion.

Les mœurs font à Paris ce que l'efprit du gouvernement fait à Londres; elles confondent & égalent dans la fociété les rangs qui font diftingués & fubordonés dans l'Etat. Tous les Ordres vivent à Londres dans la familiarité, parce que tous les Citoyens ont befoin les uns des autres; l'intérêt comun les raproche.

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Les plaifirs produifent le même èfet à Paris; tous ceux qui fe plaifent fe conviènent, avec cète diférence que l'éga lité qui eft un bien, quand elle part d'un principe du gouvernement, est un trèsgrand mal, quand elle ne vient que des mœurs, parce que cela n'arive jamais que par leur corruption.

Le grand défaut du François eft d'a voir toujours le caractère jeune; par là

il eft fouvent aimable; & rarement sûr? il n'a prefque point d'âge mûr, & paffe de la jeuneffe à la caducité. Nos talens dans tous les genres s'anoncent de bone heure: on les néglige long-tems par diffipation, & à peine comencet-on à vouloir en faire ufage, que leur tems eft paffé. Il y a peu d'homes parmi nous qui puiffent s'apuyer de l'expérience.

Oferai-je faire une remarque, qui peut-être n'est pas auffi sûre qu'elle me le paroît; mais il me femble que ceux de nos talens qui demandent de l'exécution, ne vont pas ordinairement jufqu'à foixante ans dans toute leur force. Nous ne réuffiffons jamais mieux dans quelque carrière que ce puiffe être, que dans l'âge mitoyen, qui eft trèscourt, & plutôt encore dans la jeuneffe que dans un âge trop avancé. Si nous formions de bone heure notre efprit à

la réflexion, & je crois cette éducation poffible, nous ferions fans contredit la première des Nations, puifque, malgré nos défauts, il n'y en a point qu'on puiffe nous préférer: peut-être même pourrions nous tirer avantage de la jaloufie de plufieurs Peuples: on ne jaloufe que fes fupérieurs. A l'égard de ceux qui fe préfèrent naïvement à nous, c'eft parce qu'ils n'ont pas encore de droit à la jaloufie.

leur

D'un autre côté, le comun des François croit que c'eft un mérite que de l'être avec un tel fentiment, que manque-t-il pour être patriotes? Je ne parle point de ceux qui n'eftiment que les Etrangers. On n'afecte de mé prifer fa Nation que pour ne pas reco noître fes fupérieurs ou fes rivaux trop près de foi.

N

Les homes de mérite, de quelque Nation qu'ils foient, n'en forment qu'une

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