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que trop qui cèdent naïvement à cète perfuafion. Je n'ai prefque jamais vu d'home en place contredit, même par fes amis, dans fes propos les plus ab. furdes. Come il n'eft pas poffible qu'il ne s'aperçoive quelquefois de cet excès de fadeur, je ne conçois pas que quelqu'un n'ait jamais imaginé d'avoir auprès de foi un home uniquement chargé de lui rendre, fans délation particulière, compte du jugement pu blic à fon égard. Les fous que les Princes avoient autrefois à leur Cour fu pléoient à cète fonction; c'eft fans doute ce qui fait regarder aujourd'hui come fous ceux qui s'y hafardent. C'eft pourtant bien domage qu'on ait fuprimé une charge qui pouroit être exercée par un honête home, & qui empêcheroit les gens en place de s'aveugler, ou de croire que le Public eft aveugle, Faute de ce Moniteur qui leur

feròit fi utile, je ne fais s'il y en a à qui la tête n'ait plus ou moins tourné en montant; cet accident pouroit être auffi comun au moral qu'au phyfique. Je crois cependant qu'il y en a d'affez fenfés pour regarder les fadeurs qu'on leur jète en face, come un des inconvéniens de leur état; car ils ont l'expérience que dans la difgrâce, ils font délivrés de ce fléau, & c'est une confolation, fur-tout pour ceux qui étoient dignes d'éloges; car ils en font ordinairement les moins flatés. Les homes véritablement louables font fenfibles à l'eftime, & déconcertés par les louanges. Le mérite a fa pudeur come la chafteté. Tel fe done naïvement un éloge, qui ne le recevroit pas d'un autre, fans rougir, ou fans embaras.

Un home en dignité à qui la Nature auroit refufé la fenfibilité aux louanges, feroit bien à plaindre; car il en a

terriblement à effuyer, & la forme en eft ordinairement auffi dégoûtante que le fonds; c'est la même matière jètée dans le même moule. Il n'y a guère d'éloge dont on pût deviner le héros fi le nom n'étoit en tête. On n'y re marque rien de diftinctif; on rifqueroit en ne voyant que l'ouvrage, d'atribuer à un Prince ce qui étoit adressé à un Particulier obfcur. On pouroit, en changeant le nom, transporter le même panégyrique à cent perfonages diférens, parce qu'il convient aufli peu à l'un qu'à l'autre.

C'étoit ainfi qu'en ufoient les Anciens à l'égard des Statues qu'ils avoient érigées à un Empereur. S'ils venoient à le précipiter du Trône, ils enlevoient la tête de fes Statues, & y plaçoient auffi tôt cèle de fon fucceffeur, en

V. Suétone & Lampridius.

atendant qu'il eût le même fort. Mais tant qu'il régnoit, on le louoit exclufivement à tous; on fe gardoit bien de rapeler la mémoire d'aucun mérite qui eût pu lui déplaire Augufte même infpiroit cète crainte à fes Panégyriftes. On eft fâché, pour l'honeur de Virgile, d'Horace, d'Ovide, & autres, que lè nom de Cicéron ne fe trouve pas une feule fois dans leurs Ouvrages. Ils n'ignoroient pas qu'ils auroient pu ofenfer l'Empereur c'eût été lui rapeler avec quèle ingratitude il avoit abandoné à la profcription le plus vertueux Citoyen de fon parti.

Quoique ce Prince, le plus habile des tyrans, fe fût affocié au Confulat le fils de Cicéron, on voyoit qu'il cherchoit à couvrir fes fureurs paffées du mafque des vertus. Sa feinte modération étoit toujours fufpecte. Plutarque nous a confervé un trait qui prou

ve à quel point on craignoit de réveiller le fouvenir d'un nom cher aux vrais Romains. Augufte étant entré inopinément dans la chambre d'un de fes neveux s'aperçut que le jeune Prince cachoit un livre dans fa robe ; il e;

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voulut le voir, & trouvant un Ouvrage de Cicéron, il en lut une partie; puis rendant le Livre : C'étoit, dit il, un favant home, & qui aimoit fort la patrie. Perfonne n'eût ofé en dire autant devant Augufte.

Nous voyons des Ouvrages célèbres dont les dédicaces enflées d'éloges s'adreffent à de prétendus Mécènes, qui n'étoient conus que de l'Auteur, du moins font-ils abfolument ignorés, aujourd'hui, leur nom eft enfeveli avec

eux.

Que d'homes, je ne dirai pas nuls, mais pervers, j'ai vu loués par ceux qui les regardoient come tèls Il eft

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