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fans le refroidir. D'ailleurs, on ne doit pas craindre l'excès en cète matière ; la probité a fes limites, & pour le comun des homes, c'eft beaucoup que de les ateindre; mais la vertu & l'honeur peuvent s'étendre & s'élever à l'infini; on peut toujours en reculer les bornes, on ne les paffe jamais.

Il faut avouer que, fi d'un côté l'honeur a perdu, on a auffi fur certains articles des délicateffes ignorées dans le fiècle paffé. En voici un trait,

Lorsque le Surintendant Fouquet dona à Louis XIV. cète fête si superbe dans le Château de Vaux, le Surin tendant porta l'atention jufqu'à faire mètre dans la chambre de chaque Courtifan de la fuite du Roi une bourse remplie d'or, pour fournir au jeu de ceux qui pouvoient manquer d'argent, ou n'en avoir pas affez. Aucun ne s'en trouva ofenfé; tous admirèrent

la magnificence de ce procédé. Ils tâ chèrent peut-être de croire que c'étoit au nom du Roi, ou du moins à ses dépens, & ne fe trompoient pas fur ce dernier article. Quoi qu'il en foit, ils en usèrent fans plus d'information. Si un Miniftre des Finances s'avifoit aujourd'hui d'en faire autant, la délicateffe de fes hôtes en feroit blessée avec raison; tous refuseroient avec hauteur & dignité. Jufque-là il n'y a rien à dire. Mais je craindrois fort que quel ques-uns de ceux qui rejèteroient avec le plus d'éclat le préfent du Miniftre ne lui empruntaffent une fome pareille ou plus forte, avec un très ferme def fein de ne la jamais rendre. Il peut y avoir là de la délicateffe; mais je ne crois pas que ce foit de l'honeur.

Le Surintendant de Bullion avoit déja doné un exemple de ce magnifique fcandale, Ayant fait fraper en 1640

les

les premiers louis qui aient paru en France, il imagina de doner un dîner à cinq Seigneurs de fes courtisans, fit fervir au deffert trois baffins pleins des nouvèles efpèces, & leur dit d'en prendre autant qu'ils voudroient. Chacun fe jèta avidement fur ce fruit nouveau, en emplit fes poches, & senfuit avec fa proie fans atendre fon caroffe ; de forte que le Surintendant rioit beaucoup de la peine qu'ils avoient à marcher. Le payement de quelques dètes de l'Etat eût également pu doner cours à ces premières espèces ; mais ce moyen n'eût pas été fi noble au jugement de Bullion & de fes convives, que je ne crois pas devoir nomer par égard pour leurs petits-fils, qui peutêtre, loin de me favoir gré de ma dif crétion, en riroient eux-mêmes, fi je nomois leurs pères.

E

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Sur la Reputation, la Célébrité, la Renomée, & la Confideration.

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L ES homes font destinés à vivre en fociété; & de plus, ils y font obligés par le befoin qu'ils ont les uns des autres: ils font tous, à cet égard, dans une dépendance mutuele. Mais ce ne font pas uniquement les befoins matériels qui les lient; ils ont une exiftence mo rale qui dépend de leur opinion réci proque.

Il y a peu d'homes affez fûrs & affez fatisfaits de l'opinion qu'ils ont d'euxmêmes, pour être indiférens fur cèle des autres ; & il y en a qui en font plus tour mentés que des befoins de la vie.

Le defir d'ocuper une place dans l'opinion des homes, a doné naissance à

la réputation, la célebrité & la reno mée, refforts puiflans de la fociété qui partent du même principe, mais dont les moyens & les èfets ne font pas tota lement les mêmes.

Plufieurs moyens fervent également à la réputation & à la renomée, & né difèrent que par les dégrés ; d'autres font exclufivement propres à l'une ou à l'autre.

Une réputation honête eft à la portée du comun des homes: on l'obtient par les vertus fociales, & la pratique conftante de fes devoirs. Cète espèce de réputation n'eft à la vérité ni étendue, ni brillante; mais elle eft fouvent la plus utile pour le bonheur.

L'efprit, les talens, le génie procurent la célébrité; c'eft le premier pas vers la renomée, qui n'en difère que par plus d'étendue; mais les avantages en font peut-être moins réels que ceux

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