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« votre conservation et votre union, le sénat vous aime tous avec l'affection raisonnable « d'un père, mais sans s'abaisser aux caresses in« fidèles d'un flatteur. Vous demandez l'aboli«tion des dettes, il vous l'accorde; mais il ne << vous l'accorde que parcequ'il la croit juste et <<< utile au bien de la patrie. Revenez donc avec «< confiance dans le sein de cette mère commune qui nous a tous nourris dans des sentiments «< également généreux et libres. Recevez nos << embrassements pour prémices de la paix ; ren<«<< trons tous ensemble dans Rome; allons de << concert y porter les premières nouvelles de << notre réunion; et fassent les dieux protecteurs << de cet empire qu'elle soit célébrée dans la suite << par de nouvelles victoires contre nos enne、 ་ mis! >>

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Le peuple ne put entendre un discours si touchant sans répandre des larmes; tous ces plébéiens, comme de concert, s'adressant à Ménénius, s'écrièrent qu'ils étoient contents, et qu'il les ramenât dans Rome. Mais ce faux Brutus qui venoit de parler si vivement contre le sénat arrêta cette saillie. Il dit au peuple qu'à la vérité il devoit être satisfait pour le présent par l'abolition des dettes; mais qu'il ne pouvoit dissimuler que l'avenir lui faisoit peur, et qu'il craignoit que le sénat ne se vengeât un jour de la justice

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qu'il avoit été forcé de leur rendre, à moins, ajouta-t-il, qu'on ne trouve les moyens d'assurer l'état et la liberté du peuple contre les entreprises d'un corps si ambitieux.

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Quelle sûreté pouvez-vous exiger, répartit Ménénius, autre que celle que vous donnent <<< nos lois et la constitution de la république? Accordez-nous, lui répondit Brutus, des of<<ficiers qui ne puissent être tirés que de l'ordre

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des plébéiens. Nous ne demandons point qu'ils «< soient distingués par les marques honorables

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de la magistrature, ni qu'ils en aient la robe «< bordée de pourpre, ni la chaise curule, ni les «licteurs. Nous laissons volontiers toute cette << pompe à des patriciens fiers de leur naissance << ou de leurs dignités; il nous suffit que nous puissions élire tous les ans quelques plébéiens qui soient seulement autorisés pour empêcher <«<les injustices qu'on pourroit faire au peuple," «<et qui défendent ses intérêts publics et parti«< culiers. Si vous êtes venus ici avec une volonté << sincère de nous donner la paix, vous ne « pouvez rejeter une proposition si équita<< ble. »

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Le peuple, qui est toujours de l'avis du dernier qui parle, applaudit aussitôt au discours de Brutus. Les députés furent extrêmement surpris d'une pareille demande; ils s'éloignèrent un peu

de l'assemblée pour conférer ensemble; et, après

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être retournés, Ménénius leur dit qu'ils demandoient une chose bien extraordinaire, qui même dans la suite pourroit être la source de nouvelles dissensions, et qui passoit absolument leurs instructions et leurs pouvoirs; que cependant M. Valerius et quelques-uns des commissaires en alloient faire leur rapport au sénat, et qu'ils ne seroient pas long-temps sans en rapporter la réponse.

Ces commissaires se rendirent en diligence à Rome; on convoqua aussitôt l'assemblée du sénat, où ils exposèrent les nouvelles prétentions du peuple. M. Valerius s'en rendit le protecteur: il représenta qu'il ne falloit pas espérer de pouvoir gouverner un peuple guerrier, soldat et citoyen tout ensemble, comme on pourroit faire de paisibles bourgeois qui n'auroient jamais. quitté leurs foyers domestiques; que la guerre et l'exercice continuel des armes inspiroient une sorte de courage peu compatible avec cette servile dépendance qu'on vouloit exiger de ces braves soldats; qu'il y avoit même de la justice à traiter avec de grands égards un peuple géné reux, qui, aux dépens de son sang, avoit éteint la tyrannie; qu'il étoit d'avis de leur accorder les officiers particuliers qu'ils demandoient; et que peut-être de pareils inspecteurs ne seroient

pas inutiles dans un état libre pour veiller sur ceux qui parmi les grands seroient tentés de porter leur autorité trop loin.

Appius ne put entendre ce discours sans frémir d'indignation. Il prit les dieux et les hommes à témoin de tous les maux que causeroit à la république une pareille innovation dans le gouvernement; et, comme si son zèle et sa colère lui eussent tenu lieu d'inspiration, il prédit au sénat que par un excès de facilité il alloit laisser établir un tribunal qui s'élèveroit insensiblement contre son autorité, et qui la détruiroit à la fin. Mais ce généreux sénateur fut peu écouté, et on ne regarda ses remontrances que comme le discours d'un homme attaché avec opiniâtreté à son sentiment, et chagrin de ce qu'on ne le suivoit pas. Le parti contraire prévalut; la plupart des sénateurs, las de ces divisions, vouloient la paix à quelque prix que ce fût; ainsi presque d'un commun accord on consentit à la création de ces nouveaux magistrats, qui furent appelés tribuns du peuple.

Il en fut fait un sénatus-consulte qui renfermoit en même temps l'abolition des dettes. Les envoyés du sénat le portèrent au camp, comme le sceau de la paix. Il sembloit que le peuple n'eût plus rien qui le retînt hors de Rome; mais les chefs de la sédition ne souffrirent point

qu'on se séparat avant qu'on eût procédé à l'élection des nouveaux magistrats du peuple. L'assemblée se tint dans le camp même; on prit les auspices; les voix et les suffrages furent recueillis par curies, et on élut pour les premiers tribuns du peuple, selon Denis d'Halicarnasse', L. Junius Brutus, et C. Sicinius Bellutus, les chefs de la révolte, qui associèrent en même temps à leur dignité C. et P. Licinius, et Sp. Icilius Ruga. Tite-Live prétend que C. Licinius et Lucinius Albinus furent les premiers tribuns qui se donnèrent trois collègues, parmi lesquels on compte Sicinius Bellutus; et cet historien ajoute qu'il y avoit des auteurs qui prétendoient qu'il n'y eut d'abord que deux tribuns élus dans cette assemblée.

Quoi qu'il en soit, ces premiers tribuns et ces. chefs de la sédition, pour prévenir le ressentiment du sénat, eurent l'adresse d'intéresser tout le corps de la nation dans leur conservation. Le peuple, avant que de quitter le camp, déclara, par leur conseil, la personne de ses tribuns sacrée. Il en fut fait une loi par laquelle il étoit défendu, sous peine de la vie, de faire aucune violence à un tribun, et tous les Romains furent obligés de jurer par les serments les plus solennels l'observation de cette loi. Le peuple sacri

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