Imágenes de páginas
PDF
EPUB

2

devoit son établissement qu'à l'ignorance de ces premiers siècles, devint depuis un des mystères du gouvernement, comme nous aurons lieu de le faire observer dans la suite: et on prétend que Romulus même voulut être le premier augure de Rome, de peur qu'un autre, à la faveur de ces superstitions, ne s'emparât de la confiance de la multitude'. Il défendit par une loi expresse, qu'on ne fit aucune élection, soit pour la dignité royale, le sacerdoce ou les magistratures publiques, et qu'on n'entreprît même aucune guerre, qu'on n'eût pris auparavant les auspices. Ce fut par le même esprit de religion et par une sage politique, qu'il interdit tout culte des divinités étrangères, comme capable d'introduire de la division entre ses nouveaux sujets. Le sacerdoce, par la même loi, devoit être à vie : les prêtres ne pouvoient être élus avant l'âge de cinquante ans. Romulus leur défendit de mêler des fables aux mystères de la religion, et d'y répandre un faux merveilleux sous prétexte de les rendre plus vénérables au peuple. Ils devoient être instruits des lois et des coutumes du pays, et ils étoient obligés d'écrire les principaux événements qui arrivoient dans l'état; ainsi ils en furent les premiers historiens et les premiers jurisconsultes.

1

Cicer. 1. III, c. 3, de Legibus. Idem, lib. III, de Natura deorum.' D. H. 1. II, p. 91.

Il nous reste dans l'histoire quelques fragments des lois civiles qu'établit Romulus. ' La première regarde les femmes mariées: elle leur défend de se séparer de leurs maris sous quelque prétexte que ce soit, en même temps qu'elle permet aux hommes de les répudier, et même de les faire mourir en y appelant leurs parents, si elles sont convaincues d'adultère, de poison, d'avoir fait fabriquer de fausses clefs, ou seulement d'avoir bu du vin. Romulus crut devoir établir une loi si sévère pour prévenir l'adultère, qu'il regarda comme une seconde ivresse, et comme le premier effet de cette dangereuse liqueur. Mais rien n'approche de la dureté des lois qu'il établit à l'égard des enfants. Il donna à leurs pères un empire absolu sur leurs biens et sur leurs vies: ils pouvoient de leur autorité privée les enfermer, et même les vendre pour esclaves jusqu'à trois fois, quelque âge qu'ils eussent, et à quelque dignité qu'ils fussent parvenus. Un père étoit le premier magistrat de ses enfants; on pouvoit se défaire de ceux qui étoient nés avec des difformités monstrueuses; mais le père étoit obligé, avant que de les exposer, de prendre l'avis de cinq de ses plus proches voisins: la loi lui laissoit plus de liberté à l'égard de ses filles, pourvu que ce ne fût pas l'aî

2

'Gellius, 1. X, c. 23. Dionys. Hal. lib. II, pag. 97. Plutarq. Justiniani Instit. lib. I, tit. 9, 12

née; et s'il violait ces réglements, la moitié de son bien étoit confisquée au profit du trésor public. Romulus, qui n'ignorait pas que la puissance d'un état consiste moins dans son étendue, que dans le nombre de ses habitants, défendit par la même loi de tuer un ennemi qui se rendroit, ou même de le vendre. Il ne fit la guerre que pour conquérir des hommes, sûr de ne pas manquer de terre quand il auroit des troupes suffisantes pour s'en

emparer.

Ce fut pour reconnoître ses forces, qu'il fit faire un dénombrement de tous les citoyens de Rome. Il ne s'y trouva que trois mille hommes de pied, et environ trois cents cavaliers, Romulus les divisa tous en trois tribus égales, et il assigna à chacune un quartier de la ville pour habiter. Chaque tribu fut ensuite subdivisée en dix curies ou compagnies de cent hommes qui avaient chacune un centurion pour les commander. Un prêtre, sous le nom de curion, étoit chargé du soin des sacrifices; et deux des principaux habitants, appelés Duumvirs, rendoient la justice à tous les particuliers.

Romulus, occupé d'un aussi grand dessein que celui de fonder un état, songea à assurer la subsistance de ce nouveau peuple. Rome, bâtie sur un fond étranger, et qui dépendoit originairement de la ville d'Albe, n'avoit qu'un terri

toire fort borné: on prétend qu'il ne comprenoit au plus que cinq ou six milles d'étendue. Cependant le prince en fit trois parts', quoique inégales. La première fut consacrée au culte des dieux; on en réserva une autre pour le domaine du roi et les besoins de l'état; la plus considérable partie fut divisée en trente portions par rapport aux trente curies, et chaque particulier n'en eut pas plus de deux arpents pour sa subsistance.

2

L'établissement du sénat succéda à ce partage; Romulus le composa de cent des principaux citoyens: on en augmenta le nombre depuis, comme nous le dirons dans la suite. Le roi nomma le premier sénateur, et il ordonna qu'en son absence il auroit le gouvernement de la ville; chaque tribu en élut trois, et les trente curies en fournirent chacune trois autres, ce qui composa le nombre de cent sénateurs, qui devoient tenir lieu en même temps de ministres pour le roi, et de protecteurs à l'égard du peuple; fonctions aussi nobles que délicates à bien remplir.

Les affaires les plus importantes devoient être portées au sénat; le prince, comme le chef, y présidoit à la vérité; mais cependant tout s'y décidoit à la pluralité des voix, et il n'y avoit que

'Strab. I. V. - 'D. H. l. II, p. 82.

Id. ib.

[ocr errors]

«<

[ocr errors]

2

son suffrage comme un sénateur particulier '. Rome, après son roi, ne voyoit rien de si grand et de si respectable que ses sénateurs; on les nomma Pères, et leurs descendants Patriciens : origine de la première noblesse parmi les Romains. On donna aux sénateurs ce nom de Pères par rapport à leur âge, ou à cause des soins qu'ils prenoient de leurs concitoyens. << ' Ceux qui composoient anciennement le conseil de la république, dit Salluste, avoient le corps affoi<< bli par les années, mais leur esprit étoit fortifié << par la sagesse et par l'expérience. » Les dignités civiles et militaires, même celles du sacerdoce, appartenoient aux patriciens, à l'exclusion des plébéiens. Le peuple obéissoit à des magistrats particuliers qui lui rendoient justice; mais ces magistrats recevoient les ordres du sénat, qui étoit regardé comme la loi suprême et vivante de l'état, le gardien et le défenseur de la liberté.

Les Romains, après l'établissement du sénat, tirèrent de nouveau de chaque curie dix hommes de cheval; on les nomma Celeres, soit du nom de leur chef appelé Celer, ou par rapport à leur vitesse, et parce qu'ils sembloient voler pour exécuter les ordres qu'on leur don

3

'Tit. Liv. Dec. I, l. I. c. 8. —2 Conjurat. de Catil. Dionys. Halicar. 1. II, p. 86.

« AnteriorContinuar »