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après avoir répandu son sang pour étendre les frontières de la république, se trouvoit privé de la portion de terre qui lui devoit servir en même temps de solde et de récompense.

L'avidité de certains patriciens ne se bornoit pas à ces sortes d'usurpations. Mais quand la récolte manquoit dans des années stériles, ou par les irruptions des ennemis, il savoient, par des secours intéressés, se faire un droit sur le champ de leurs voisins. Le soldat, alors sans paie et sans aucune ressource, étoit contraint pour subsister d'avoir recours aux plus riches. On ne lui donnoit point d'argent qu'à de grosses usures, et ces usures étoient même en ce temps-là arbitraires, si nous en croyons Tacite. Il falloit que le débiteur engageât son petit héritage, et souvent même ce cruel secours lui coûtoit la liberté. Les lois de ces temps-là permettoient au créancier, faute de paiement, d'arrêter son débiteur, et de le retenir dans sa maison, où il étoit traité comme un esclave. On exigeoit souvent le principal et les intérêts à coups de fouet et à force de tourments; on lui enlevoit sa terre par des usures accumulées; et sous prétexte de l'observation des lois et d'une justice exacte, le peuple éprouvoit tous les jours une injustice extrême.

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Un gouvernement si dur dans une république

Tacit. Ann. lib. VI, ad an. 786, cap. 16, 17.

naissante excita bientôt un murmure général. Les plébéiens qui étoient chargés de dettes, et qui craignoient d'être arrêtés par leurs créanciers, s'adressoient à leurs patrons et aux sénateurs les plus désintéressés. Ils leur représentoient leur misère, la peine qu'ils avoient à élever leurs enfants, et ils ajoutoient qu'après avoir combattu contre les Tarquins pour la défense de la liberté publique, ils se trouvoient exposés à devenir les esclaves de leurs propres concitoyens.

Des menaces secrètes succédèrent à ces plaintes, et les plébéiens, ne voyant point d'adoucissement à leurs peines, éclatèrent à la fin sous le consulat de T. Largius et de Q. Clélius.

Rome, comme nous l'avons dit, étoit environnée de quantité de petits peuples inquiets et jaloux de son agrandissement. Les Latins, les Èques, les Sabins, les Volsques, les Herniques, et les Véiens, tantôt séparés, et souvent réunis, lui faisoient une guerre presque continuelle. Ce fut peut-être à l'animosité de ces voisins que les Romains furent redevables de cette valeur et de cette discipline militaire qui dans la suite les rendirent les maîtres de l'univers.

Tarquin vivoit encore; il avoit ménagé secrè→ tement une ligue puissante contre les Romains : trente villes du pays latin s'intéressèrent à son rétablissement. Les Herniques et les Volsques fa

vorisèrent cette entreprise : il n'y eut que les peuples d'Étrurie qui voulurent voir l'affaire plus engagée avant que de se déclarer; et ils restèrent neutres, dans la vue de prendre parti suivant les événements.

Les consuls et le sénat ne virent pas sans inquiétude une conspiration si générale contre la république; on songea aussitôt à se mettre en défense. Comme Rome n'avoit point d'autres soldats que ses citoyens, il fallut faire prendre les armes au peuple; mais les plus pauvres, et ceux surtout qui étoient chargés de dettes, déclarèrent que c'étoit à ceux qui jouissoient des dignités et des biens de la république à la défendre; que pour eux, ils étoient las d'exposer tous les jours leurs vies pour des maîtres si avares et si cruels. Ils refusèrent de donner leurs noms, suivant l'usage, pour se faire enrôler dans les légions; les plus emportés disoient même qu'ils n'étoient pas plus attachés à leur patrie, où on ne leur laissoit pas un pouce de terre en propriété, qu'à tout autre climat, quelque étranger qu'il fût; que du moins ils n'y trouveroient point de créanciers, que ce n'étoit qu'en sortant de Rome qu'ils s'affranchiroient de leur tyrannie, et ils menacèrent hautement d'abandonner la ville, si

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par un sénatus-consulte on n'abolissoit toutes les dettes.

Le sénat, inquiet d'une désobéissance peu différente d'une révolte déclarée, s'assembla aussitôt on ouvrit différents avis. Les sénateurs les plus modérés opinèrent en faveur du soulagement du peuple. M. Valerius, frère de Publicola, et qui à son exemple affectoit d'être populaire, représenta que la plupart des pauvres plébéiens n'avoient été contraints de contracter des dettes que par les malheurs de la guerre; que si, dans la conjoncture où une partie de l'Italie s'étoit déclarée en faveur de Tarquin, on n'adoucissoit pas les peines du peuple, il étoit à craindre que le désespoir ne le jetât dans le parti du tyran, et que le sénat, pour vouloir porter trop loin son autorité, ne la perdît entièrement par le rétablissement de la royauté.

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Plusieurs sénateurs, et ceux surtout qui n'avoient point de débiteurs se rangèrent de son sentiment; mais il fut rejeté avec indignation par les plus riches. Appius Claudius s'y opposa aussi, mais par des vues différentes. Ce sénateur, austère dans ses mœurs et sévère observateur des lois, soutenoit qu'on n'y pouvoit faire aucun changement sans péril pour la république. Quoique sensible à la misère des particuliers,

Dionys. Halicarn. lib. V. p. 330.

qu'il assistoit tous les jours de son bien, il ne laissa pas cependant de déclarer en plein sénat qu'on ne pouvoit pas avec justice refuser le secours des lois aux créanciers qui voudroient poursuivre avec rigueur les débiteurs..

pas

Mais avant que d'entrer dans un plus grand détail de cette affaire, peut-être ne sera-t-il inutile de faire connoître particulièrement un patricien qui eut tant de part, aussi-bien que ses descendants, aux différentes révolutions qui agitèrent depuis la république.

Appius Clausus ou Claudius, étoit Sabin de naissance, et des principaux de la ville de Régille. Des dissensions civiles, dans lesquelles son parti se trouva le plus foible, dans l'année 250, l'obligèrent d'en sortir. Il se retira à Rome, qui ouvroit un asile à tous les étrangers. Il fut suivi de sa famille et de ses partisans, que Velleïus Paterculus fait monter jusqu'au nombre de cinq mille.

On leur accorda le droit de bourgeoisie, avec des terres pour habiter, situées sur la rivière de Téveron; telle fut l'origine de la tribu Clau dienne. Appius, qui en étoit le chef, fut reçu dans le sénat; il s'y fit bientôt distinguer par la sagesse de ses conseils, et surtout par sa fermeté. Il s'opposa hautement à l'avis de Valerius) comme nous venons de le dire, et il représenta en plein sénat que la justice étant le plus ferme

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