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vengeance. Sans égard pour la fidélité de nos malheureux habitants envers leur Souverain, ce Prince fit mettre le feu à leurs maifons & à leurs navires, fit détruire leurs paliffades, combler leurs foffes, & ne laiffa que la place où Dieppe avoit été.

Philippe ne mit aucunes bornes à fa vengeance: il fit tranfporter dans le milieu de fes Etats, les citoyens des deux fexes qu'il trouva encore dans Dieppe. La grandeur d'ame de ce Roi eft trop connue, pour ne pas penfer qu'il ne fe détermina à cette deftruction totale, que par raifon de politique. En effet, notre port étoit le plus fréquenté de la province par les Anglois, qui y faifoient paffer leurs troupes fur les navires que nous leur fourniffions.

On obferve qu'il y a lieu de croire que ce Prince fit camper fon armée à l'endroit fitué à une demi- lieue de Dieppe, qu'on nomme Camp de Céfar: erreur de dénomination, qui a pu venir du furnom d'Augufte, donné à ce Prince; car il ne paroît aucune indication que Céfar foit venu en ce lieu : à moins que Charlemagne, lors de la vifite de nos côtes, pour les prémunic contre les premières incurfions des

Normands, n'eût fait camper en cet endroit les troupes qu'il deftina pour conftruire le Fort de Bertheville; car, à titre d'Empereur, il jouiffoit de la dignité de Céfar, ce qui en auroit pu donner la dénomination à cet ancien Camp.

L'amour naturel pour le lieu de fa naiffance, que les Rois, tout puiffants qu'ils foient, ne peuvent pas éteindre; la fituation heureufe de notre port; le fouvenir des richeffes qu'on y avoit amaffées, furent des motifs victorieux de la volonté de Philippe-Augufte. A peine ce Prince fe fut-il retiré de notre pays, que le petit nombre de nos citoyens qui s'étoient fauvés de l'efclavage & de fes armes, vinrent pleurer fur les débris de leurs habitations; chacun s'encouragea à y élever des cabanes; enfin, l'année fuivante, la paix s'étant conclue entre ces deux Princes, près de Gaillon, nos malheureux prifonniers, mis en liberté, vinrent fe réunir au refte de leurs citoyens, & rebâtirent de nouvelles maisons.

Par ce traité, Dieppe & Arques furent rendus à Richard. Senfible au malheur qu'il avoit attiré fur cette Ville, ce Prince encouragea & aida les

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Dieppois pour la reconftruction de leurs maifons & pour celle de nouveaux navires: mais il ne coopéra point à la réédification des fortifications, & les habitants épuifés, ne purent les remettre en état. Cela n'empêcha pas la reprise de leur pêche, ainfi que de leur navigation; &, comme le commerce a de grandes reffources, ils ne s'apperçurent plus de leur perte quelques années après. Il eft vrai que la paix entre ces deux Princes ne fut pas de longue durée ; mais tant qu'on n'attaquoit pas la ville, ces guerres ne caufoient point de préjudice : les deux nations n'avoient point de marine militaire, par conféquent nul obftacle pour la pêche & la navigation.

à

Le vrai motif qui occafionna la guerre en 1196, a trop de rapport 1196. Phiftoire de notre Ville, pour n'en pas dire quelque chofe.

Richard fit travailler à la conftruction d'un Fort aux Andelis. Tous fes fujets applaudiffoient à ce travail, parce que ce Fort devoit couvrir la haute Normandie, & mettre Rouen à couvert des Troupes Françoifes, qui, en temps de guerre, faifoient des incurfions jufqu'aux portes de cette capitale de la

province: mais, malheureufement, la 1196. terre des Andelis faifoit partie du domaine de l'Archevêché de Rouen, & Gaultier, fon Archevêque, traita cette entreprise d'attentatoire aux immunités de l'Eglife.

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De fon côté, Philippe-Augufte ne vit pas l'établiffement de cette Fortereffe, fans fentir l'avantage qu'elle alloit lui ôter; & il y a lieu de penfer que fa politique fomentoit fous main, les prétentions de Gaultier, puifque ce Prélat, voyant qu'on continuoit les travaux, malgré fon oppofition, fut affez téméraire pour interdire non-feulement fon églife, mais encore celles de fes Suffragants. On ne put fléchir fon opiniâtreté: ni l'offre que Richard lui fit d'un échange en terres d'une valeur fix fois plus confidérable que celle des Andelis; ni la vue de la défolation des fidèles de la province, privés de tous fecours fpirituels; ni le plus grand bien de l'Etat, ne lui firent aucune impreffion.

Richard, plus effrayé de ces armes eccléfiaftiques, qu'il ne l'avoit jamais été de celles des plus vaillants guer riers ne vit point d'autre parti à prendre, pour faire ceffer le scandale,

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que

celui de s'en rapporter au jugement du Chef de l'Eglife. Ce Prince mit aux pieds du Saint-Siége les raisons qui l'avoient engagé à conftruire ce Château fur la terre des Andelis, & réitéra l'offre de l'échange avantageux qu'il avoit fait avec Gaultier. Celui-ci de fon côté, fit valoir l'injuftice & la témérité prétendues de la conduite de Richard.

Le Pape Céleftin III, trouva ce Prince moins injufte & moins téméraire que l'Archevêque de Rouen ne le penfoit ; & il connut mieux que ce dernier, les vrais intérêts de fon Eglife; car il accepta pour elle, l'indemnité offerte, & leva l'interdiction des Eglifes de la province.

Au moyen de ce jugement, l'Archevêché de Rouen, par cet échange, eft devenu propriétaire des moulins à bled de cette capitale, de la ville de Dieppe, de la forêt d'Alihermont qui étoit très-étendue, & de la ville de Louviers.

La guerre recommença entre les deux Rois. Après des avantages & des pertes réciproques, ces deux rivaux de gloire s'en rapportèrent à la médiation du Pape Innocent III, qui pro

cura

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