Imágenes de páginas
PDF
EPUB

1659. embarquèrent, & furent fe promener fur la mer. A peine avoient-ils fait une lieue, qu'ils virent venir de loin un brigantin, qui s'approcha de leur frégate pour la reconnoître. Celle-ci lui lâcha fa bordée, ce qui obligea le petit navire, portant pavillon Turc de fe replier fur cinq gros vaiffeaux arborant le même pavillon, qui arrivoient à toutes voiles.

Cette apparition furprit beaucoup les jeunes Princes, qui n'en avoient pas été prévenus: ils difoient au capitaine de leur frégate, qu'il étoit de la prudence de rentrer dans le port, lorfqu'ils en virent fortir cinq gros vailfeaux, qui vinrent couvrir leur petite frégate, & livrer combat à l'Escadre Ottomane: il dura deux heures, pendant lefquelles on fit toutes les manœuvres d'un véritable combat, qui ne finit que par la prife à l'abordage des vaiffeaux Turcs. Les deux jeunes Princes marquèrent aux habitants, la plus grande fatisfaction du fpectacle qu'ils venoient de leur donner.

Les Miniftres de la province avoient pris une grande part à la difgrace de leur confrère Fouguebergue, dont nous avons parlé: ils crurent que pour

ranimer le zèle des Proteftants de 1660, Dieppe, il falloit effacer, par la folemnité d'un Synode, les impreffions mortifiantes qu'avoient laiffé dans les efprits, l'exécution flétriffante du livre de ce Miniftre, & de la rétractation qu'il en avoit été obligé de faire en l'audience du Bailliage. Ils arrêtèrent à cet effet, que cette année 1660, leur Synode feroit tenu dans Dieppe, le 26 de Mai.

Prévoyant le trouble que cette affemblée pourroit occafionner dans la ville, où il y avoit alors au moins dix fois plus de Catholiques que de Proteftants, les Echevins firent tous leurs efforts pour engager les Miniftres, de la tenir dans un autre lieu. Ceux-ci crurent que ces représenta→ tions, faites par des Catholiques, n'étoient que la fuite de leur indifpofition contre tout confiftoire, & non l'effet de la conviction où ils étoient, que ce Synode ne pourroit être vi fans émeute 'ni infulte de la part des habitants Catholiques: ces Miniftres perfiftèrent donc à l'indication de la tenue de leur Synode dans Dieppe.

Plus de cinquante Miniftres arrivèrent dans cette ville, la veille du jour

660. fixé pour en faire l'ouverture. Les écoliers du Collége, qui étoient alors au nombre de onze à douze-cents, furpris de leur venue, s'affemblèrent par bandes dans les rues, & infultèrent ces graves perfonnages par des huées & des farcafmes; de forte que tous ces Meffieurs furent obligés de rentrer au plus vite, dans les maifons où ils étoient logés, fans ofer en fortir pour faire leurs vifites.

Cette jeuneffe mutine, fachée de ce que la difcrétion qui tenoit ces Miniftres renfermés, la privoit de fe divertir à leurs dépens, prit le parti, pour s'en dédommager, d'afficher des adreffes injurieufes aux portes des maifons où ils logeoient, ainfi qu'à celles de leur temple. Indignés, avec raison, d'un fi mauvais procédé, les principaux Proteftants de la ville, en portèrent des plaintes au Gouverneur & aux Officiers municipaux, & réclamèrent l'exécution des loix, qui ordonnoient la maintenue de la paix.

Le fieur de Montigny defcendit du Château avec un détachement de fa garnifon, & diffipa cette jeunesse indifcrète, L'Hôtel-de-Ville rendit, de fon côté, une Ordonnance qui enjoi

&

gnoit à chaque écolier, de fe retirer,
de refter chacun chez foi; ainfi qu'à
tous les habitants, d'obferver l'ordre
public, & de maintenir la paix, fous
telles peines qu'il appartiendroit con-
tre les contrevenants.

Le calme étoit rendu, les écoliers fuivoient les exercices de leurs claffes, & les Miniftres avoient ouvert leur Synode, lorfque quelques jeunes Calviniftes, foutenus par plufieurs étourdis de leur religion, qui fe prévaloient de la protection que M. de Montigny & l'Hôtel-de-Ville leur avoient accordée, s'attroupèrent & furent dans une des rues qui menoit au College, afin d'y attendre les écoliers à l'heure qu'ils devoient s'y rendre : ils les y infultèrent & les menacèrent de les faire fouetter par leurs Profeffeurs, s'ils n'apprenoient pas à mieux vivre. Piqués de ces injures, ceux-ci le rendirent à leur Collége, non pour y entrer en claffe, mais pour s'y plaindre à leurs camarades, des infultes de ces Proteftants. Tous y prirent part, & tous ensemble marchèrent jufqu'à l'endroit du fauxbourg de la Barre, où l'on enterroit les corps des CalviRiftes.

1660.

1660.

Rien de fi dangereux que d'infulter une jeuneffe qui fait corps, puisque chaque individu prend fur fon propre compte, l'injure qui n'eft faite qu'à quelques-uns: l'effervefcence de leur âge groffit les objets, & leur raison, encore foible, ne met point de bornes à leur vengeance.

Il y avoit au-dessus de la porte de ce cimetière Proteftant, une grande pierre-de-taille fur laquelle les armes du Roi étoient gravées: dès que les écoliers l'eurent démolie & culbutée ils la posèrent fur un brancard, qu'ils placèrent au milieu d'eux. Ceux qui en étoient chargés, la portèrent de cette manière depuis cet endroit jufques devant l'Hôtel - de- Ville. Cette pierre étoit pefante, il falloit, par conféquent, rélayer les porteurs ; alors toute la troupe s'arrêtoit, &, contente de ce triomphe, elle faifoit retentir les rues du cri de joie, vive le Roi.

Quand ces écoliers eurent déposé cette pierre devant l'Hôtel-de-Ville, voyant que loin d'avoir été réprimés, ils avoient été applaudis par le peuple, dans les rues où ils avoient paffé, ils fe transportèrent encore au même cimetière, avec une potence; & ces jeunes

« AnteriorContinuar »