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1686. fit au Royaume, un préjudice que le temps peut à peine réparer. Quantité de fujets Calviniftes, portèrent leur induftrie, leurs richeffes & leurs perfonnes, au fervice de nos ennemis; & on a bien raifon de dire, que Louis XIV, au moyen de cet Edit, a fait le plus grand facrifice, qu'un Roi Très-Chrétien puiffe faire à l'Eglife & à fa Religion.

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Les Proteftants de Dieppe ne penfent encore, qu'en frémiffant, à la défolation que cet Edit fit à leurs pères. Une révocation fi fubite de la liberté de confcience, dont ils jouiffoient en vertu de l'Edit de Nantes, leur parut, non pas comme on l'avoit dit à Louis XIV, une fainte violence, qu'ils béniroient eux-mêmes, quand ils feroient rentrés dans le fein de l'Eglife leur ancienne mère, mais une vraie perfécution: auffi une partie des Proteftants qui étoient encore dans Dieppe, s'enfuirentils en Angleterre & en Hollande, préférant la liberté de confcience, à toutes affections de pays, de biens, d'habitudes & de parents.

Soit que le Confeil prévît une guerre prochaine avec les Puiffances maritimes, & qu'il craignît les intelligences

que les Calviniftes mécontents pour- 1686. roient lier avec elles; foit qu'il voulût marquer à ces Hérétiques opiniâtres, fon mécontentement, & leur retirer toute poffibilité de foutenir les révoltes qu'ils voudroient faire, il fut arrêté que les fortifications de Dieppe, où il y avoit eu un temple, feroient démolies, ainfi que celles de plufieurs

autres.

Il y avoit eu malheureufement un temple dans cette Ville; mais, ainfi que nous l'avons dit, il n'y avoit plus alors qu'un très-petit nombre de Calviniftes; ce que vraisemblablement le Confeil ne favoit pas. Le Roi y envoya un Officier général, fous le pré'texte d'examiner les fortifications, afin que leur mauvais état pût adoucir le chagrin qu'on auroit de leur deftruction. Ce Commiffaire n'eut pas affez de mauvaife foi pour nier leur validité & leur excellent état; mais il foutint aux Officiers municipaux, qui affuroient le contraire, que la Ville n'avoit point affez d'habitants propres à porter les armes pour défendre la place, qui pourroit être attaquée dans la prochaine guerre, & que le Roiauroit trop befoin de la totalité de fes troupes ailleurs, pour

1686. que Sa Majefté pûty en envoyer en garnifon. Les Officiers municipaux qui infiftoient à foutenir que les bourgeois étoient feuls fuffifants pour défendre leurs murailles, firent paffer en revue, devant ce Commiffaire, les citoyens en état de porter les armes, depuis l'âge de vingt ans, jufqu'à cinquante, fans. y comprendre les mariniers, ni ceux qui travailloient à la conftruction & au grément des navires: il en fut compté fix mille cinq à fix-cents. Cet Officier jugea que ce nombre étoit infuffifant; en conféquence, il fut ordonné que les

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fortifications feroient démolies. Les citoyens pleurèrent fur leurs débris fur-tout fur ceux de la citadelle, qui étoit une des plus récentes & des plus régulières du Royaume: elle avoit été conftruite par leurs pères, en 1563. A la vérité, cet ouvrage devoit fon exiftence aux Calviniftes, & il y avoit dans l'Edit de Nantes, un article de faveur pour les Proteftants de Dieppe: mais le Ministère François eût dû avoir égard à la grande fidélité & aux fervices paffés des Dieppois; & que s'ils avoient été fi portés pour leurs Rois, dans le temps des guerres civiles, quoiqu'ils euffent parmi eux un

grand nombre de Calviniftes, ils ne 1686. les ferviroient pas avec moins de zèle, dans le temps où il en reftoit fi pen dans leur Ville.

M. de Médavi, Archevêque de Rouen, & M. de Colbert fon coadjuteur, ayant été informés que les Proteftants de Dieppe ne fe foumettoient point à changer de Religion, fuivant l'Edit de 1685, & qu'aucun d'eux ne fe rendoit aux Eglifes, nonobftant l'invitation des Curés; ces deux Prélats, pour les gagner par la perfuafion, leur envoyèrent quatre habiles Prédicateurs. Les Proteftants voulurent bien les entendre mais il n'y en eut que cinq ou fix qui reconnurent leur erreur; le cœur des autres étoit trop ulcéré, pour que leur efprit pût s'ouvrir aux vérités qu'on leur prêchoit.

Inftruit du mauvais fuccès de cette miffion, le Gouvernement fit venir ́à Dieppe, un régiment de cuiraffiers, qui furent logés à difcrétion, dans les mailons des bourgeois Calviniftes, la plupart négociants, marchands & orfevres. Ces hôtes incommodes, furent relevés, quinze jours après, par un régiment de dragons. Les Protef tants, qui fe difoient tous dévoués à

1686. perdre leurs biens & leur vie pour la Foi Calvinifte, fentirent néanmoins, peu-à-peu, la pefanteur du fardeau dont on les chargeoit ; & il étoit pour eux, d'autant plus onéreux, qu'une partie des plus riches s'étoit réfugiée en pays étrangers, & que la fortune de ceux qui étoient reftés, fe confommoit, par les libéralités qu'ils étoient obligés de faire aux dragons, pour qu'ils misfent des bornes à leurs vexations de tout genre, d'autant plus exceffives, que ces foldats croyoient, par l'extenfion qu'ils y donnoient, mieux remplir les vues du Gouvernement.

Les moins zèlés des Calviniftes furent les premiers à fe rendre à l'Eglife: ils y firent & fignèrent leur abjuration. Alors on leur retira les dragons qui y logeoient, pour en charger, par doublement, ceux qui perfiftoient dans leur opiniâtreté. Ils n'eurent point le courage de foutenir cette furcharge; tous, fans aucune exception, fe rendirent à l'Eglife, y firent & fignèrent publiquement l'abjuration du Calvinifme. Alors le régiment de dragons, qui avoit rempli fa deftination, eut ordre de quitter la Ville.

Ce fut pendant le féjour de ce ré

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