Anges paroiffoient n'y pas confentir en fe tournant avec vivacité de côté & d'autre, pour l'empêcher; de forte qu'il falloit employer la plus adroite précifion pour y parvenir. On entretenoit un machinifte pour la perfection & la conduite des ref forts de toutes ces figures, qui étoient un chef-d'œuvre de ce temps, & la curiofité d'en voir l'effet, amenoit beaucoup d'étrangers dans Dieppe.. Quand on commençoit la meffe, deux des quatre Anges qui étoient aux côtés du Père-Eternel, defcendoient majeftueusement de leurs places jufqu'au pied de l'Autel, où fe trouvoit le tombeau de la Sainte Vierge, contre lequel on avoit placé, pour la repréfenter, une figure de grandeur naturelle, dans laquelle il y avoit également des refforts. Dès que les deux Anges étoient descendus jufqu'à ce te figure, chacun de fon côté l'élevoit, très-lentement jufqu'aux pieds du Père-Eternel. Pendant cette Affomption, cette figure de la Vierge levoit fes bras & fa tête de temps à autre, pour témoigner fon defir d'être au Ciel, A peine étoit-elle parvenue aux pieds de 'Eternel, qu'il lui donnoit fa béné 1443. 1443. diction & auffitôt un des autres Anges pofoit une couronne fur la tête de Marie, & cette Reine des Anges difparoiffoit peu-à-peu, cachée dans un nuage. Pendant cette représentation, qui duroit plus d'une heure & demie, l'on voyoit un perfonnage bouffon: dans in moment il paroiffoit d'un côté de la tribune, & celui d'après, il étoit de l'autre, & faifoit des fingeries; dans un temps il ouvroit les bras du côté de la Sainte Vierge qui montoit au Ciel, pour exprimer fa furprife; & celui d'après il marquoit fa fatisfaction,en applaudiffant des mains; enfin, il fe couchoit de toute fa longueur pour faire le mort, & fe relevoit enfuite, couroit avec rapidité fe cacher fous les pieds du Père-Eternel, où il ne montroit que fa tête. & Les lazzis & niaiferies de ce perfonnage, que le peuple nommoit Grimpe= fur-l'Ais, faifoient rire une partie des affiftants, & fur-tout les enfants, qui l'appelloient à haute voix dès qu'il paroiffoit. D'une autre part, ceux qui étoient plus affectés des mouvements de la Vierge, s'écrioient: Ah! qu'elle aime Dieu! Ah! qu'elle a envie de le voir de manière qu'au lieu de prier 1443. en filence, la plupart des affiftants confondoient leurs exclamations différentes avec le chant de la meffe; ce qui formoit un bruit prodigieux, auffi difcordant qu'indécent. Dès que la meffe étoit finie, ainfi que les offices, le peuple fe preffoit pour être à portée de voir les deux Anges, qui tenoient un grand chandelier, témoigner, par la vivacité de leurs mouvements, ne vouloir pas laiffer éteindre leurs cierges. Lorfque le tumulte étoit un peu ceffé, le Chapelain de la Confrairie montoit à la tribune des Apôtres, entonnoit Affumpta eft Maria in Cœlum, gaudent Angeli, laudantes benedicunt Dominum; après quoi il récitoit quarante vers françois, pour engager les Apôtres à publier par toute la terre, l'Affomption de la Sainte Vierge dont ils venoient d'être les témoins. Ceux-ci répondoient chacun par une vingtaine de vers, & affuroient qu'ils alloient avec joie s'acquitter de ce devoir. Le récit fait, l'Apôtre Saint Jean entonnoit le verfet Ave Maria, gratiâ Dei plena per fecula, &c. que les autres 1443. Apôtres continuoient de chanter en chœur, accompagnés du carillon des trois petits Anges, & de deux trompettes, dont nous avons ci-devant parlé. Ces cérémonies achevées, le Clergé, la Sainte Vierge dans fon tombeau, fuivie des Filles de Sion, les Apôtres, fuivis des Maîtres & Echevins, fortoient de l'Eglife en proceffion, & alloient, en chantant des hymnes, à la maison du Maître en exercice, qui régaloit ce jour-là & le lendemain. Devant la porte de ce Maître, on avoit fufpendu une grande voile de navire, qui couvroit la largeur de la rue, pour mettre à l'abri du foleil ou de la pluie, la table fur laquelle on fervoit à dîner aux Apôtres, qui n'entroient point avec les autres dans la maifon vraisemblablement pour défigner que Saint Pierre avoit pleuré fa faute à la porte de Caiphe, & que les autres Apôtres avoient abandonné leur divin Maître & ne l'avoient point fuivi dans la maifon de ce Pontife. : Le Saint Pierre s'affeyoit fur un fauteuil pofé au haut de la table, ses deux acolytes à fes côtés, & les autres. Apôtres fe plaçoient de chaque côté de la table. Tant que le repas duroit, il leur étoit défendu, fous peine d'amende, de parler ni de rire avec les fpectateurs. Quand leur table étoit fervie, le Saint Pierre béniffoit les mets, & on leur apportoit vers le milieu du repas, un plat diftingué, avec plufieurs feptiers d'excellent vin; le tout fe préfentoit au Saint Pierre, en lui difant: Voici le préfent que vous fait le Maître; il vous prie de faire bonne chère. Le Saint Pierre béniffoit le préfent, & le partageoit avec fes acolytes & les autres Apôtres. Le diner fini, le Saint Pierre fe levoit de table & entonnoit le verfet Ave Maria, gratiá Dei plena, &c., que les Apôtres auffi debout, continuoient à chanter; après quoi le Saint Pierre récitoit quatre-vingt vers en l'honneur de Marie & du Maître en exercice, & chaque Apôtre à fon tour, en récitoit quarante fur les mêmes fujets. Enfin ils finiffoient par faire à haute voix des prières pour la prof périté temporelle & fpirituelle des Maîtres de la Confrairie qui avoient contribué & contribuoient à la folemnité de cette Fête. Quant à la Vierge Marie, elle étoit entrée dans la maifon du Maître, 1443. |