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au-dessous de cette femme, un bourgeois qui a de la peine à vivre honnêtement du peu de bien qu'il possède. Il rêve qu'il ramasse des pièces d'or et d'argent, et que plus il en ramasse, plus il en trouve à ramasser; il en a déjà rempli un grand coffre. Le pauvre garçon! dit Leandro; il ne jouira pas long-temps de son trésor. A son réveil, reprit le boiteux, il sera comme un vrai riche qui se meurt; il verra disparaître ses richesses.

Si vous êtes curieux de savoir les songes de deux comédiennes qui sont voisines, je vais vous les dire. L'une rêve qu'elle prend des oiseaux à la pipée, qu'elle les plume à mesure qu'elle les prend; mais qu'elle les donne à dévorer à un beau matou dont elle est folle, et qui en a tout le profit. L'autre songe qu'elle chasse de sa maison des lévriers et des chiens danois dont elle a fait longtemps ses délices, et qu'elle ne veut plus avoir qu'un petit roquet des plus gentils qu'elle a pris en amitié.

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Voilà deux songes bien fous, s'écria l'écolier : je crois que s'il y avait à Madrid, comme autrefois à Rome, des interprètes des songes, ils seraient fort embarrassés à expliquer ceux-là. Pas trop, répondit le Diable: pour peu qu'ils fussent au fait de ce qui se passe aujourd'hui chez la gent

comique, ils y trouveraient bientôt un sens clair

et net.

Pour moi je n'y comprends rien, répliqua don Cleophas, et je ne m'en soucie guère; j'aime mieux apprendre qui est cette dame endormie dans un superbe lit de velours jaune, garni de franges d'argent, et auprès de laquelle il y a, sur un guéridon, un livre et un flambeau. C'est une femme titrée, repartit le démon; une dame qui a un équipage très galant, et qui se plaît à faire porter sa livrée par des jeunes hommes de bonne

mine. Une de ses habitudes est de lire en se couchant; sans cela elle ne pourrait fermer l'œil de toute la nuit. Hier au soir elle lisait les métamorphoses d'Ovide, et cette lecture est cause qu'elle fait en cet instant un songe où il y a bien de l'extravagance: elle rêve que Jupiter est devenu amoureux d'elle, et qu'il se met à son service sous la forme d'un grand page des mieux bâtis.

Α propos de cette métamorphose, en voici une autre qui me paraît plus plaisante. J'aperçois un histrion qui goûte,dans un profond sommeil, la douceur d'un songe qui le flatte agréablement. Cet acteur est si vieux, qu'il n'y a tête d'homme à Madrid qui puisse dire l'avoir vu débuter. Il y a si long-temps qu'il paraît sur le théâtre, qu'il est

ainsi dire théâtrifié. Il a du talent, et il en pour est si fier et si vain, qu'il s'imagine qu'un personnage tel que lui est au-dessus d'un homme. Savez-vous le songe que fait ce superbe héros de coulisse? Il rêve qu'il se meurt, et qu'il voit toutes les divinités de l'Olympe assemblées pour décider de ce qu'elles doivent faire d'un mortel de son importance. Il entend Mercure qui expose au conseil des dieux, que ce fameux comédien, après avoir eu l'honneur de représenter si souvent sur la scène Jupiter et les autres principaux immortels, ne doit pas être assujetti au sort commun à tous les humains, et qu'il mérite d'être reçu dans la troupe céleste. Momus applaudit au sentiment de Mercure; mais quelques autres dieux et quelques déesses se révoltent contre la proposition d'une apothéose si nouvelle; et Jupiter, pour les mettre d'accord, change le vieux comédien en une figure de décoration.

Le Diable allait continuer; mais Zambullo l'interrompit en lui disant : Halte-là, seigneur Asmodée, vous ne prenez pas garde qu'il est jour; j'ai peur qu'on ne nous aperçoive sur le haut de cette maison. Si la populace vient une fois à remarquer votre seigneurie, nous entendrons des huées qui ne finiront pas sitôt.

On ne nous verra point, lui répondit le démon; j'ai le même pouvoir que ces divinités fabuleuses dont je viens de parler; et, tout ainsi que sur le mont Ida l'amoureux fils de Saturne se couvrit d'un nuage pour cacher à l'univers les caresses qu'il voulait faire à Junon, je vais former autour de nous une épaisse vapeur que la vue des hommes ne pourra percer, et qui ne vous empêchera pas de voir les choses que je voudrai vous faire observer. En effet, ils furent tout à coup environnés d'une fumée, qui bien que des plus opaques, ne dérobait rien aux yeux de

l'écolier.

Retournons aux songes, poursuivit le boiteux... Mais je ne fais pas réflexion, ajouta-t-il, que la manière dont je vous ai fait passer la nuit doit vous avoir fatigué. Je suis d'avis de vous transporter chez vous, et de vous y laisser reposer quelques heures : pendant ce temps-là je vais parcourir les quatre parties du monde, et faire quelque tour de mon métier; après cela je vous rejoindrai pour m'égayer avec vous sur de nouveaux frais. Je n'ai nulle envie de dormir, et je ne suis point las, répondit don Cleophas; au lieu de me quitter, faites-moi le plaisir de m'apprendre les divers desseins qu'ont ces personnes que

je vois déjà levées, et qui se disposent, ce me semble, à sortir. Que vont-elles faire de si grand matin? Ce que vous souhaitez de savoir, reprit le démon, est une chose digne d'être observée. Vous allez voir un tableau des soins, des mou

vements, des peines que les pauvres mortels se donnent pendant cette vie, pour remplir le plus agréablement qu'il leur est possible ce petit espace qui est entre leur naissance et leur mort.

CHAPITRE XVII.

Où l'on verra plusieurs originaux qui ne sont pas sans copie.

OBSERVONS d'abord cette troupe de gueux que vous voyez déjà dans la rue. Ce sont des libertins, la plupart de bonne famille, qui vivent en communauté comme des moines, et passent presque toutes les nuits à faire la débauche dans leur maison, où il y a toujours une ample provision de pain, de viande et de vin. Les voilà qui vont se séparer pour aller jouer leurs rôles dans les églises, et ce soir ils se rassembleront pour boire à la santé des personnes charitables

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