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chofes fpirituelles en elles-mêmes. Dieu ayant formé le deffein de le retirer après fa chute, & de le rappeler à cette verité dont il étoit déchu, ne l'a pas voulu fai re par la même voie qu'il avoit tenue en le créant: c'eft à dire que ce n'eft pas en lui redonnant tout d'un coup cette contem plation fimple de la verité dont Adam jouifioit, mais en fe fervant de l'état mê me auquel il étoit tombé pour l'en relever. Il aimoit les corps & les objets fenfibles; il lui a donné un corps & des objets fenfibles à aimer,il aimoit la multiplicité, & il lui a donné une fainte multiplicité à laquelle il peut s'appliquer légitimement. Ceft-là, Monfieur. felon la plupart des Peres ce qui a porté Dieu à s'incarner. Il a voulu guérir les hommes amoureux des corps, en leur préfentant un Dieu revêtu d'un corps, & les élevant ainfi par l'amour de fon Humanité divinifee juf qu'à l'amour de fa Divinité; l'Humanité eft le moyen,la Divinité eft la fin & le terme. Il n'éleve pas tout d'un coup les hommes groffiers à l'amour tout pur de sa Divinité, il les porte à aimer l'Homme, Dieu. Il ne les attache pas à un feul attribut, mais il leur préfente la verité de fes Myfteres par lefquels il veut qu'ils remedient à l'amour de la multiplicité que le peché leur a infpiré. Voilà propreme

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ce qu'on peut appeler la voie de la Foi. La contemplation par laquelle l'ame fe porte à Dieu connu fans image, n'est pas proprement un état de foi; car il eft de l'état de la foi de voir per fpeciem & in 13.12. anigmate. La voie d'unité par laquelle il demeure attaché à un même objet, n'eft donc pas la voie ordinaire de la réparation des hommes. Ce n'eft point là le fecret de l'Incarnation, ce n'eft point le chemin dans lequel il eft venu les engager. Ce chemin qu'il a tracé par fon Incarnation & par fes Myfteres, c'eft comme nous avons dit, la voie d'une fainte multiplicité dans laquelle on paffe par la confideration de divers Myfteres, & l'on fe foutient pat le changeinent & la variété des objets.

Auffi voit-on que tous les Saints qui ont réglé des exercices pour plufieurs personnes vivant en commun, & que tous ceux qui ont donné des loix au commun des Fideles, ont prétendu les engager dans cette voie d'une fainte multiplicité. Car cette voie de differens exercices & de differentes prieres diftribuées en diverses heures, eft ce qui s'appele multiplicité. Or il n'y a point de Fondateur d'Ordre qui n'ait choifi ce chemin. Enfin c'eft la voie que l'Eglife univerfelle nous enfeigne. Ceft pour cela qu'en

toutes les parties du monde, elle a diftribué l'année felon les Myfteres de Jefus Chuift, qu'elle nous propofe chaque jour de differens Saints à honorer, qu'elle a pour tout inftitué des Pfalmodies qui partagent le jour par des prieres differentes. Voilà proprement ce qu'on peut appeler la vie de la Foi, l'état de la Foi, la voye de la Foi, c'est le moyen par lequel il a plu à l'Esprit de Dieu de rappeler les hommes à l'état dont ils font déchus. Il ne faut pas vous imaginer, Monfieur, que je vous débite ici mes pensées, ce font celles des anciens Maîtres de la vie fpirituelle ; & vous les pouvez voir toutes renfermées dans ce paffage de Hugues de faint Victor, que je croi devoir vous rapporter ici : Bonum quidem hominis, dit-il, unum erat, & quamdiù illi per dilectionem adhæfit, non eguit hac ́ multiplicitate. Poftquam autem mentem per concupifcentiam ad multiplicia hæc & tranfitoria dividi permifit,ftabilis effe non potuit; quia ergo vita hominis hic fine mutabilitate effe non poteft, contrà illam quæ defectum generat mutabilitatem, alia ei mutabilitas qua profectum parit opponitur. Ut quia ftare non poteft, moneatur & pramoneatur femper ut melior fiat. Primum ergo bonum erat in fummo ftare, fecundum eft bonum að· fuperiora afcendere. Idcircò vita mutabilis in

fua mutabilitate diffoluta ad deter'ora femper deficiens ftudiis nutrienda fuerat in quivus &rerum varietate foris excitata & amulatione virtutum intùs accenfa proficiendi occafionem inveniret. Divija Junt tempora & diftincta loca, propofita funt fpecies corporales, injuncta ftudia & opera exercenda,ut medicinam interioris hominis exterior home præpararet, & ei prodeffe & fubeffe addifceret. In his virtutum ftudiis mirabili difpenfatione & multiplicitatem providit & varietatem & intermiffionem: ut humana mens, in multiplicitate exercitationem, in varietate delectationem, & in intermiffione recreationem inveniret.

Or encore que cet Auteur parle de toute la fuite de la vie chrétienne, il eft clair qu'on peut bien rapporter ce qu'il dit à l'Oraifon qui eft conforme à l'état ordinaire par lequel on doit remonter à Dieu; puifque c'est par cette Oraifon qu'on goûte ces differens objets corporels dont l'ame fe doit fervir pour remon ter par là aux objets fpirituels

Je ne conclus pas feulement de-là, Monfieur, que l'Oraifon commune dans laquelle l'ame n'étant point réunie & renfern ée dans un même objet, fe foutient par differentes penfées & differentes pa roles de l'Ecriture, par differens objets de dévotion, & fur-tout par les idées cor

porelles des actions & des Myfteres de Jefus Chrift, eft mieux nommée Oraison de Foi, que cette contemplation où l'ame demeure toute recueillie à un feul objet. Mais j'en conclus auffi que la voie commune de la réparation & de la guérifon des hommes ne confifte point dans cette contemplation, qu'elle doit passer all-contraire pour une voie extraordinaire à laquelle Dieu peut porter certaines ames,mais qui ne doit point être proposée au commun des ames chrétiennes. Car la conduite ordinaire des Palteurs & des Directeurs doit avoir pour modele celle de Jefus-Chrift, celle de l'Eglife, celle des Fondateurs d'Or Ires, & des Maîtres de la vie Monaftique, qui eft la voie commune de retourner à Dieu, & qui confifte toute néanmoins dans cette multitude d'exercices. Si le commun des aines étoit appelé à la voie de cette Oraifon de fimple regard, on n'auroit jamais inftitué d'Henres Canoniales,& de récitation de Pleaumes. On ne fe feroit jamais avifé de faire apprendre par cœur tout le Pleautier. On n'auroit jamais inftitué tant de céremonies myfterieufes, tant de chan gemens de lieu, tant de prieres & de lec tutes. Tout cela ne fait qu'embarraffer ceux qui font dans cette voie, & n'est point du tout fait pour eux; Or il eft fait

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