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ment fans examen, que je fuis perfuadé qu'il faut qu'il y ait quelques raifons fpécieufes qui vous ayent furpris, & que ces raifons doivent être examinées de bonne foi, pour voir fi elles ne font point réelles & folides, & telles qu'elles méritent qu'on change de fentiment.

Pour vos intentions je n'ai pas eu de peine à me défendre d'en juger; car il . ne m'eft venu aucune penfée qui vous foit defavantageufe. Il eft vrai que j'au rois peine à ne pas croire qu'il y auroit un peu trop d'attachement à l'autorité de ceux qui vous ont perfuadé cette fignature, fielle vous faifoit fuppofer que Vous ne vous pouviez tromper, & fi vous vouliez, fans autre examen, qu'on s'arrêtât à leur fentiment. Mais ce défaut même feroit d'une nature qui ne m'empêchera jamais de vous honorer, & d'être très fincerement, Madame.

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Réflexions fur les conteftations qui arrivent entre les amis.

A MONSIEUR DE S. M.

1.ON peut remarquer, Monfieur, prefque dans tous les differens, les conteftations & les querelles qui arrivent parmi les hommes, que lorfqu'on s'est emporté de part & d'autre en des paroles de chaleur & de paffion, chacun s'occupe enfuite à se justifier soi-même, à chercher des raifons pour montrer qu'il a eu raison de parler comme il a fait, & à trouver au-contraire que ceux avec qui il a eu ce different avoient grand tort. La cause en eft évidente, quoique peu de perfonnes s'en apperçoivent; c'est que les refforts qui font agir notre efprit, & qui l'appliquent aux objets, font l'orgueil & l'amour propre, & non pas la raifon, la verité, & nos interêts réels.

2. Qui ne confidereroit les chofes qui nous arrivent que par la raison, découvriroit fans peine qu'il nous eft fort peu important de favoir que ceux avec qui nous avons eu quelque conteftation ont grand tort, qu'ils font injuftes & déraisonna

bles, qu'ils nous ont parlé avec impatience, avec dureté, avec hauteur, que ce qu'ils nous ont dit étoit faux & offençant, qui font néanmoins les objets dont notre efprit fe repaît & s'occupe prefque toujours. Quand tout cela feroit vrai, quel interêt véritable y avons-nous? Ce font des maux pour ceux qui fonr tombés dans ces fautes, des bleffures qu'ils ont faites à leurs ames, des dettes qu'ils ont contractées,& pour lefquelles ils ont à fatisfaire à la justice de Dieu, mais cela ne fait pas le moindre mal réel à notre ame. Nous fommes tels que Dieu juge que nous fommes, & les difcours injuites des hommes ne changent en rien ce jugement qu'il porte de nous. Rien ne nous peut ôrer ce que Dieu nous donnne & qu'il voit en nous; rien ne nous peut donner ce qu'il ne voit pas. Et comme ce jugement de Dieu & non celui des hommes fera l'arrêt de notre état éternel, c'eft auffi la regle de notre mérite ou de notre démerite dans le tems.

3. Mais ce qui ne nous a ôté aucun bien réel, ne laiffe pas de bieffer notre ameur prore. Il veut avoir une place honorable dans l'efprit des autres, & ces jugemens de favantageux qui paroiflent dans ces difcours de paffion lui faifant voir qu'il n'a pas cette place, le rabaiffent &

Gy

Pincommodent. Il voudroit jouir tranquilement de l'estime qu'il croit rériter. Or ces jugemens troublent ce repos, en lui montrant que les autres ne jugent pas auffi favorablement de lui qu'il en juge. Il craint que ces jugemens ne fe répandent, que ceux qui lui ont parlé durement ne parlent de même aux autres, & ne détruifent ainfi l'eftime & la répu tation à laquelle il prétend. Ceft ce qui le porte à s'appliquer avec tant de foin à ce qui le peut perfuader de la fauffeté & de l'injustice de ces jugemens, parceque ces vûes qui ne font rien à notre raifon,font confolantes pour notre orgueil, qui fe fatisfait merveilleufement par cette penfée, que nous ne pouvons être blåmés que par des perfonnes injuftes & déraifonnables. Plus il diminue du poids de l'autorité qui l'incommode, plus il fe fent foulagé, & c'eft ce qui le rend fi actif à découvrir lesdéfauts de ceux qui le bleffent en quelque maniere que ce puiffe être. 4. Mais fi c'eft la route ordinaire de Famour-propre, ce nous devroit être une raifon de nous en éloigner. Car que pouvons-nous esperer en la fuivant qu'un accroiffement d'égarement & d'illufion? Si la charité eft notre bien, fi c'eft la vie & la fanté de nos ames, n'eft-il pas vif ble que tout ce qui tend à la diminuer &

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à l'alterer, tend à nous rendre malades, & nous achemine à la mort? La haine,du prochain eft la mortde l'ame; or la forte perfuafion de fes défauts& de fon peu de justice à notre égard, font des acheminemens à la haine, & par consequent à la

morr.

5. Mais fi la raifon nous éloigne dans ces occafions, d'appliquer ainfi notre efprit aux défauts du prochain : elle ne nous porte pas moins fortement à nous appliquer à découvrir les fautes que nous avons pu faire dans ces conteftations animées. Car ces fautes font des bleffures de nos ames qu'il faut guérir, ce font des dettes aufquelles il faut fatisfaire : fi nous ne le faifons en ce monde, Dieu nous le fera faire en l'autre, & d'une mai iere bien terrible.

6. Il ne faut pas s'imaginer que Dieu se serve de certaines compenfations, & que parcequ'on nous aura dit des paroles dures & offençantes, nous foiyons quittes de celles que nous pourrions avoit dites. Les devoirs de chacun des hommes font indépendans de ceux des autres hommes, parcequ'ils regardent plus Dieu que les hommes. Si l'on bleffe la vérité, la charité, la douceur en nous parlant, il ne nous eft pas permis de les blefler en répondant. Si on nous parle

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