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occafions, & à quoi nous oblige la fidelité que nous lui devons. Quand il fau droit changer quelque chofe dans votre conduite, il faudroit que ce fût fur la lumiere de la Foi, & non fur des révelations. Mais je fuis bien trompé, file trouble où l'on dit que cette nouvelle vous a jettée, n'eft un certain trouble va gue qui ne vous préfente rien de particulier & de diftinct à réformer dans votre vie, qui ne vous donne aucune lumiere fur vos devoirs, & qui marque par fon inutilité même, que c'eft une tentation de l'ennemi, & non une impreffion de Dieu.

Quand on eft perfuadé de ces maximes, & réfolu de les fuivre, on eft en quelque façon délivré du trouble lors même qu'on le fent, & qu'on en eft encore agité; parceque s'il afflige l'ame, il ne la domine pas. Car on ne doit pas prétendre, calmer fi facilement l'agitation que des objets triftes caufent dans notre imagi

nation.

Il fuffit de ne s'y pas abandonner, & de faire ce qu'on peut pour s'en délivrer, & un trouble réduit à ces termes, n'eft plus qu'une épreuve qu'il faut fouffrir avec patience, comme toutes les auttes miferes dont Dieu permet que nous foisons travaillés dans cette vie. Si je

per

'avois crainte de faire moi-même le Prophete, je vous dirois que lorfque j'ai appris les nouvelles du trouble que vous a caufé cette prétendue révelation, j'en ai conclu en moi-même que vous n'êtes pas prête de mourir, puifque vous craignez fi vivement la mort; & que je commencerai de la craindre davantage pour vous, lorsque vous ne la craindrez plus du tout. Et cette pensée, Mademoiselle, eft fondée fur la raifon & fur l'experience. Car comme Dien voit qu'il n'est pas utile aux ames de connoître leurs forces hors de l'occafion, il met fouvent qu'elles foient ainfi êbranlées, afin de les tenir dans l'humilité, mais il les fortifie & les affermit, quand elles ont effectivement befoin de force & de fermeté. Et c'eft pourquoi il arrive souvent aux ames pienfes qui ont été fort agitées durant leur vie de la crainte de la mort, d'en être entierement délivrées dans la maladie dont elles meurents parceque c'eft alors que Dieu fait paroître la force de fa grace, & que les prieres & les bonnes œuvres qu'elles ont faites pendant leur vie pour être delivrées des terreurs de la mort, commencent d'avoir leurs effets.

Vous avez tout fujet, Mademoiselle, d'efperer cette grace de la bonté de Dieu,

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59.

&de regarder même comme un gage qu'il vous en donne, ces fentimens fi tendres que vous avez pour la fainte Communion. Car c'eft ce Corps dont il est écrit: O mort je ferai ta mort! O Enfer je ferai ta ruine! C'eft ce Pain du ciel qui préserve de la mort ceux qui le mangent; c'est Joan. 6. ce Pain dont il eft dit, que celui qui le mange vivra éternellement. Quel fujet auroit de craindre la mort celle à qui Dieu donne fi fouvent un Corps vainqueur de la mort & fource de vie, avec des marques fi particulieres de fa bonté ? N'avez-vous pas fujet au-contraire de la fouhaiter, & de dire à Dieu que vous poffedez fi fouvent, ou plutôt que vous poffedez toujours: Seigneur, vous laissen Luc. 2. maintenant aller en paix votre Servante felon votre parole: puifque celui qui poffede & qui aime Dieu, n'a plus rien à craindre dans ce monde.

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Pf. 118. 159.

Je fuis comme affuré, Mademoifelle, que vous le dites en effet, & que votre vie eft toujours entre vos mains pour la lui offrir, felon ce qu'il eft dit: Anima mea in manibus meis femper. Et ce trouble que vous avez éprouvé n'eft pas une marque que vous ne foiyez pas fincerement dans cette difpofition; car fans doute c'étoit celle de faint Pierre & cependant il n'a pas laiffé d'éprouver la ré

fistance de la nature, lorfqu'il fallut aller à la mort; puifque c'eft ce que JesusChrift lui a prédit. Il fuffit que le cœur le dife, & que Dieu l'éleve au-deffus de la nature, comme il y éleve le vôtre & l'y élévera lorfque cette force vous sera plus néceffaire.

LETTRE LXIII.

Le peu de cas qu'on doit faire des divers jugemens des hommes, & de leurs préventions fur notre conduite.

A M. DE SACY.

Ai tant éprouvé, Monfieur, depuis JA près de trois ans de jugemens de toutes fortes, que je penfe en avoir tiré l'avantage d'y être un peu moins fenfible, & d'être moins porté à les deviner. Je compte pour affez peu de chofe maintenant les préventions qui ne me font pas expreffement déclarées. Ainfi comme il ne m'eft rien revem de fort exprès fur le fujet dont vous avez eu la bonté de m'écrire, ce que j'aurois pu foupçonner de la difpofition de quelques amis, par certain procedé, a fait peu d'imprefhon fur moi. Mais pour vous, Monfieur, je vous puis bien aflurer qu'il ne m'eit pas venu dans l'efprit le moindre foup

çon fur votre fujet, & que quand même il m'en feroit venu; il ne m'auroit point été pénible. Quand on connoît affez la bonté & l'équité d'une perfonne, pour se tenir affure, que quand même elle auroit été prévenue, elle fouhaite néanmoins d'avoir lieu de quitter fes impreffions, & qu'elle eft toujours prête d'écouter favorablement ce qu'on lui veut dire pour l'en éclaircir, on a beaucoup moins de peine des foupçons qu'on

lui

peut avoir donné de notre conduite. Or c'eft là, Monfieur, proprement l'idée que j'ai toujours eue de vous, & je ne vois pas qu'on puifle juftement demander rien davantage de perfonne, que ce que je fuis affuré d'obtenir de vous. Car il feroit trop injufte de prétendre que nous fommes tellement exemts de défauts, que ce fût nous faire grand tortde nous croire capables de fautes humaines. Lors même que nous croyons avoir le plus de raifon, nous devons toujours craindre de nous tromper dans ce que nous nous imaginons voir avec le plus d'évidence. Et ainfi nous devons être bien aifes d'avoir lieu de rendre compte de notre conduite à des perfonnes fages & éclairées. Le monde eft plein de gens qui fe trompent de bonne foi, & qui ne voyent point en eux-mêmes ce que les

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