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autres y voyent. Et cela nous doit fuffire pour craindre pour nous, ce que nous voyons que tant de gens ne craignent pas affez pour eux-mêmes, & pour avoir de la défiance des choles-mêmes dont nous croyons être les plus aflurés.

Je vous puis dire, Monfieur, que fi je me fuis trompé en quelque point dans tout ce qui s'eft paffé, ce n'a pu être qu'en cette maniere, & que j'ai eu cette forte perfualion qui n'exclut pas néanmoins une défiance génerale. Quoique je fois vacilant & irrefolu dans beaucoup de chofes par la diverfité des vûes qui me viennent, je n'ai point eu dans tout ceci cette agitation de penfées. Je n'ai vu qu'un chemin, & j'y ai marché, tous les autres me paroiffant fermés par des raisons de confcience, qui me persuadoient pleinement. Vous jugez affez, Monfieur, que je n'entens parler que des chofes principales & eflencielles: car il y a toujours quelque chofe dans les manieres à l'égard defquelles je prendrois d'autres tours,fi j'avois à recommencer. Je ne puis pas même dire qu'à l'égard de ces chofes que j'appelle effencielles, je n'aye pas prévu ce qui eft arrivé. Car dès le coinmencement de cette affaire,toutes les fuites s'en peignirent fi nettement dans mon imagination, que je n'ai été furpris de~ ́

rien. Chacun a agi comme je m'atten dois qu'il agiroit. Mais tout cela étoit tellement emporté par des ralfons vieilles & nouvelles que j'avois dans l'efprit, que je n'ai pu jamais avoir aucun doute. Ainfi parmi ces agitations qui ont été grandes, ayant été obligé de changer feize fois de demeure, fans m'être porté de moi-même à aucun changement, j'ai toujours été dans une espece de paix, parceque ne voyant pas autre chofe à faire que ce que je faifois, la néceffité me paroifloit une marque de la volonté de Dieu.

Il eft difficile, Monfieur, que vous entendiez tout ce que je vous dis ici, mais tout ce que je prétens que vous en tiriez, eft qu'il y a beaucoup de choses en tout ceci qui font fort peu entendues de ceux qui fe font mêlés d'en ju ger & d'en parler. J'ai toujours defiré d'avoir occafion de vous en éclaircir de vive voix. Car quoique j'aye écrit diverfes chofes fur ce fujet que je vous pourrois envoyer, tout cela néanmoins quoique fincere & vrai, eft fort peu de chofe, & n'eft fondé que fur certaines raisons extérieures, n'étant deftiné qu'à arrêter les jugemens précipités de ceux à qui on ne peut pas parler plus ouver

tement.

Pour ce qui eft de ce qu'on appelle

vu

mon accommodement, je n'ai pas vi où on y a pu trouver à redire, n'y ayant eu prefque aucune part, & n'ayant été obligé ni d'écrire, ni de parler. Ca été l'effet d'un difcours que le hazard fit naître, & je n'ai eu de ma part qu'à accepter ce qu'on m'offroit fans rien exiger de moi. Je n'ai donc eu qu'à déliberer fur le choix de ces deux partis, ou d'accepter ce qui m'a été offert en cette maniere, ou d'être toujours errant, inutile, incommode à tout le monde, & un objet de terreur pour la plupart de mes amis qui apprehendoient mes vifites & mes Lettres, comme on apprehende les apparitions des fpectres & des efprits; le monde étant rempli de gens qui aiment la génerofité pour les autres, & la fureté pour eux.

La réfolution où je fuis de m'appliquer plutôt à certaines études qu'à d'autres, n'eft nullement un effet de inon état préfent, ni du defir du repos ni des craintes que le monde a pris plaifir à s'imaginer; mais d'un grand nombre de raisons & de réfolutions fort anciennes. Il eft vrai que je n'ai pas été fâché qu'on le fût, parceque l'impreffion contraire m'auroit été dangereufe, & que j'ai vu que c'eft une forte de charité & de précaution qu'on n'a jamais manqué de pratiquer envers ceux

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à l'égard de qui on l'a pu faire,en publiant par exemple, de M. de Tillemont, qu'il ne s'applique qu'à l'Hiftoire de l'Eglife, & ainfi des autres. Mais pour le choix de ces occupations en foi, il eft plus ancien de fix années que tout ce qui eft arrivé, & je ne m'y fuis porté qu'avec beaucoup de réflexion. Ainfi je vous avoue, Monfieur, que les difcours de plufieurs de nos amis ont fait peu d'impreffion fur moi, parcequ'ils ne me paroiffent fondés que fur des devinations témeraires. Mais auffi je vous puis dire, qu'ils n'ont nullement détruit l'eftime & l'affection fincere que j'ai toujours eue pour eux. Je les ai regardé comme des miferes humaines & comme des avertiffemens que Dieu me donnoit d'éviter à leur égard ce qu'ils n'avoient pas évité au mien.

Au refte, j'ai encore très-peu joui du repos qu'il femble que le féjour de cette ville me devroit donner, parceque j'y ai trouvé des affaires de famille fort embarraffantes, qu'il a fallu accommoder par la voie la plus courte, qui eft de prendre fur foi la perte, & d'acheter fon repos. J'en ai eu encore d'autres d'une autre nature qui ne m'ont pas moins occupé. On ne laiffe pas néanmoins parmi tout cela de faire quelque peu de chofe,autant qu'une mauvaife tête & de mauvais yeux le peuvent

permettre. Mais je ne m'y propofe nullement d'y rendre de grans fervices à l'Eglife. Je n'ai ni les talens, ni la vocation pour cela. Ainfi la premiere vue que j'ai dans tout ce que je fais, eft de confiderer s'il feroit bon de m'y occuper, au cas que je fuffe feul au monde. Quand j'y trouve cette condition, il me femble que cela me doit fuffire pour toute vocation, parceque chacun eft appelé à s'y édifier foi-même. Que s'il le trouve avec cela que ce que je fais puiffe être utile à d'autres, à la bonne heure. Il eft vrai que je ferois affez porté même à quitter cette forte de travail, fi j'avois trouvé un lieu où je puffe partager ma vie par un of-fice, & quelques lectures, & quelques an tres petites occupations qui fuflent fuffifantes pour la remplir, & je ne defefpere pas de trouver quelque jour une retraite de cette nature. Ce fera quand il plaira à Dieu. Cependant il faut tâcher d'ufer le mieux que je pourrai du loifir que je trouverai ici. C'est ce que je vous prie de demander à Dieu pour moi, car il n'eft pas fouvent moins difficile de bien ufer du repos que de l'agitation. Mais pour ma difpofition à votre égard vous pouvez vous aflurer, Monfieur, que mon respect & mon affection pour vous, font plutôt augmentés que diminués par

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