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LETTRE LIX

Réflexions fur le myftere de l'Incarnation.
Obligation qu'il nous impofe d'adorer
&de faire adorer Jejus-Chrift.

A MADEMOISELLE....

E fuis bien aife de prendre
pour vous entretenir un peu,
ce jour fi faint où l'Eglife
honore le premier & le plus jour de

* Le

ciation.

grand des Mysteres de Jefus-Chrift. Ceft Annou
ce jour que Dieu, comme parle l'A-
Tome 111.

en

A

6.

Hebr. 1. pêtre, a introduit fon Fils dans le monde, & que cette entrée fut fuivie à l'inftant mê me de l'adoration de tous fes Anges, qui le reconnurent pour leur Chef, pour leur Roi & pour leur Dieu. Leur adoration envers Jelus-Chrift qui a commencé à ce moment n'a point difcontinué depuis, Elle eft telle qu'elle étoit alors. Que files Anges dont il ne s'eft pas uni la nature & dont il n'eft pas le Sauveur, lui rendent ces refpects depuis fon Incarnation, quelles devroient être nos adorations envers lui, puifque c'eft pour nous qu'il eft venu, que c'eft nous dont il eft le Sauyeur, que c'eft notre nature qu'il s'eft unie, & que le Myftere de l'Incarnation nous appartient tout autrement qu'aux Anges.

C'eft ce qui me porte à vous dire, Mademoiselle, que la religion du premier homme le rendoit adorateur de Dieu; mais que la Religion Chrétienne nous rend adorateurs de Jefus Chrift; c'est-àdire, que nous ne pouvons plus prendre Dieu en lui-même & en fa nature divine pour unique objet de notre pietė, il faut que nous l'adorions auffi joint à la nature qu'il a prife, que nous nous attachions a Jefus-Chrift Homme, & que nous allions à Dieu par lui n'étant pas dignes de nous en approcher par nous

mêmes.

Vous favez que c'eft un des doutes que je vous ai autrefois propofe fur une maniere de priere, qui regardoit Dieu uniquement dans fon effence divine,fans aucune vue de Jefus Chrift, Je me fouviens que vous me répondîtes que fi l'on ne penfoit pas à Jefus-Chrift dans ces temslà, on y penfoit en d'autres; je me payai de cette raison, mais je crois devoir ajoû ter, que les tems où nous penfons à JeChrift ne fauroient être trop frequens, parcequ'il n'y a point de plus folide marque de la véritable pieté que l'attache Jefus-Chrift. Saint Paul parle de JefusChrift dans toutes les pages de fes Epitres. Les Chrétiens l'avoient autrefois toujours dans la bouche, afin de l'avoir toujours dans le cœur; Et faint Bernard dit qu'il Serm. 15. ne fauroit fouffrir aucun Livre lorfqu'il. 6. n'y voit pas le Nom de Jefus, Ceft-à-dire, que Jefus étoit l'objet perpétuel de fa dévotion, j'entens de celle dont il étoit maître: car il fe peut faire que Dieu difpofe autrement de notre efprit; & c'est pourquoi je ne conclus pas de-là, que toute priere où nous ne penfons pas expreflément à Jefus-Chrift ne foit pas de Dieu; mais je conclus que dans celles où Pefprit n'eft pas emporté,il faut que Jefus-Chrift y entre,& que c'eft ainfi qu'il faut honorer le myftere de l'Incarnation

in Cant.

Mais il ne faut pas feulement que JefusChrift foit l'objet de notre dévotion en fa propre perfonne, il le doit être auffi dans fon corps & dans fes membres : il l'y faut chercher, il l'y faut honorer, il l'y faut fervir. Il eft difficile d'aimer comme il faut Jefus-Chrift en lui-même,lorfqu'on ne l'aime pas dans fes membres, & qu'on ne fe fent pas preflé de les fer

vir.

Cette vie, Mademoiselle, ne nous eft pas donnée pour jouir de Dieu, ni mêine de Jefus-Chrift en lui-même, elle nous eft donnée pour l'aimer dans l'ouvrage qu'il opere dans l'Eglife, c'est-à-dire, dans la fanctification de fes membres; c'eft ce qui doit faire notre joie, & notre trifteffe dans cette vie, notre joye quand il regne dans les Chrétiens, notre trifteffe quand ils s'opposent à fon regne. L'emploi de chacun dans cette yie eft de le faire regner en foi-même, & dans ceux dont il eft chargé, & nous nous devons croire chargés non feule ment de ceux qu'il a commis particulierement à notre foin; mais auffi de tous ceux que l'on peut utilement fervir en demeurant dans l'ordre de fes devoirs. On eft même obligé de contribuer au falut de tous les autres par fes prieres, & ceux qui n'y contribuent pas ce qu'ils doivent,

ne reçoivent gueres de fruit de celles des autres.

Vous voyez que j'écris fans deffein & fans ordre ce qui me vient dans l'efprit. Il me femble pourtant que vous en pourrez conclure en particulier pour vous, que vous ne devez pas laiffer éteindre en vous le defir du falut des ames, ni renfermer votre pieté en vous-même,& qué fi vous ne vous portez pas à les fervir par vos paroles, vous êtes d'autant phis obligée à le faire par vos prieres. J'ai toujours un peu dans l'efprit, qu'il y a en vous quelque chofe de trop féparé que vous n'avez pas affez d'amour pour Jefus-Chrift dans fon Eglife, que la compaffion pour les pécheurs n'eft pas assez vive en vous ; c'est-à-dire, que vous êtes un peu trop de la religion de l'é tat d'innocence, & trop peu de celle des hommes pécheurs; mais vous favez que ce font des vues que je vous expole fimplement, & non des jugemens que je forme, & vous n'y devez avoir égard qu'autant que vos réflexions vous donneront fur ce fujet des lumieres qui y foient conformes.

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