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jours plus à fouhaiter qu'il foit prévenu contre vous que pour vous. La prévention contre vous ne peut aller qu'à mortifier votre amour propre, à vous éloigner des Charges, ce qui fait votre bien. Au contraire la prévention pour vous, peut aller à vous flater dans des défauts, à vous engager dans des états périlleux, ce qui eft beaucoup pire.

Rien n'eft plus dangereux que d'avoir un Directeur qui nous foit favorable, & qui confpirant avec notre amour propre, ne fert qu'à nous entretenir dans un faux repos, & une vaine fécurité. Je ne vois donc rien que de favorable à votre falut dans cette prévention du Pere N... contre vous. Ce vous fera un contre-poids utile pendant votre Superiorité, & une occafion de vivre avec lui, plutôt felon la Foi, que felon les fens, en ne confiderant que Dieu en lui, & n'ayant pas pour lui moins de confiance volontaire, que s'il vous étoit le plus attaché; & ce vous fera, après votre tems expiré, un moyen propre à vous tirer d'affaire, & à vous procurer un entier repos. C'eft pourquoi je voudrois que vous vous difpofaffiez à agir alors d'une maniere toute differen te de celle dont vous avez agi cette fois.

Bien loin de vouloir favoir ce qu'on fera contre vous, je prierois toutes les

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¿Sœurs de ne vous en rien dire, & de fuivre leur confcience & les avis qu'on leur donnera. Je ne m'opoferois en rien à aucune des pratiques qu'on pourroit faire contre vous, je n'en ferois aucune plainte, & je me livrerois fans réserve & fans résistance à l'ordre de Dieu, qui fe manifefte mieux quand on n'agit point, & qu'on ne dit rien du tout. Toutes ces pratiques fecrettes ne peuvent que vous conduire au port que vous devez defirer, & qui vous eft plus néceffaire que jamais à l'âge où vous êtes. Peut-être même que vous jugez peu équitablement de l'intention du Pere N.., & que fon opofition ne vient d'aucun éloignement qu'il ait pour vous, mais fimplement de ce qu'il juge utile à la Coinmunauté d'avoir une autre Superieure pour la former, afin qu'elle ne demeure pas dépourvûe quand Vous viendrez à lui manquer. C'eft une raifon très-jufte, & qui donne lieu quelquefois de préferer des Superieures moins capables, à d'autres qui le font plus; afin de n'attacher pas toute la régularité d'une Communauté à une feule perfonne. Et bien loin qu'on doive s'offenfer de cette vûe, on doit au contraire la favorifer de tout fon pouvoir. Vous voyez, ma Rėverende Mere, que je vous propofe diverfes vues, qui ne s'accordent peut-être

pas avec la verité des chofes ; mais je croi pourtant que dans cette diverfité vous en trouverez quelques-unes qui vous conviendront, & que vous aprouverez au moins la volonté que j'ai eue de vous témoigner la part que je prens à votre peine, en vous propofant ces divers remedes. Souvenez-vous en récompenfe devant Dieu de mes néceffités, qui s'augmentent tous les jours par les divers ébranlemens que je reffens, tantôt d'une maniere, tantôt d'une autre.

LETTRE LXVI.

Aune jeune Religieufe. Des avantages de la vie Religieufe.

LA grace de la Religion, ma très-che

re Sœur, eft un de ces dons qui ne font bien connus que de ceux qui le reçoivent: Quod nemo novit nifi qui accipit. Ceft pourquoi quelque envie que j'aye de fatisfaire au defir que vous avez que je vous en entretienne, je fuis contraint de reconnoître que je ne fuis capable que de rabaiffer l'idée que vous en avez, pendant que vous goûtez encore le vin nouveau de la grace. Mais parce que Dieu ne permet pas que ces fentimens demeurent toujours dans la même force, ou au

moin s

moins dans la même sensibilité, j'avoue que Vous faites bien de les établir fur des verités ftables & permanentes, aufquelles vous puiffiez avoir recours dans l'affoibli fement de votre ferveur, & c'est à quoi je tâcherai de contribuer quelque chofe par le difcours que je vous en

voye.

On ne fauroit bien entendre, ma chere Sœur, le bonheur qu'il y a à fe retirer du monde, fi l'on ne connoît la condition de l'homme dans cette vie par rapport au monde.

L'homme ne peut être ici-bas qu'en deux états, dans l'état de juftice, ou dans l'état de peché, & il eft également avantageux dans l'un & dans l'autre de le quit

ter.

Il est bien clair que le monde eft fort dangereux pour les pécheurs, puifque c'eft dans le monde qu'ils ont reçu ces playes mortelles, & qu'étant devenus par là incomparablement plus foibles qu'avant leur chute, ils ont befoin de fe guérir, en fe féparant des objets qui les ont bleffes. Mais les Juftes même n'en ont guere moins de befoin que les pécheurs, parce que tout Juftes qu'ils font, ils font encore malades d'une maladie très-dangereufe, qui eft celle de la concupifcence, c'eft à dire, de l'amour des plaisirs, Tome VIII.

C

des richeffes & des curiofités inutiles. Car

quoique cette maladie ne foit pas mortelle en eux, elle le peut fort ailément devenir quand on la néglige, quand on l'entretient volontairement, quand on ne la combat pas.

On reflent toujours, ma Sœur, tant qu'on eft dans cette vie, une pente à fatisfaire fes fens, à s'élever audeffus des autres, à chercher fon propre honneur, à connoître mille chofes inutiles. Si ces inclinations viennent à nous dominer, nous fommes perdus. Il y faut donc réfifter, il y va de notre falut. Il s'agit de favoir fi le monde eft fort propre à cette réfiftance dans l'état où il eft, & fi la vie que l'on y mene, les objets que l'on y Voit, les difcours que l'on y entend, les maximes que l'on y propofe, les fentimens qui y font autorifés, l'efprit qui y regne, font des moyens favorables pour nous aider dans ce combat, dont dépend notre falut.

Il n'eft pas à craindre que ceux qui connoîtront un peu le monde puiffent avoir cette pensée, & je craindrai plutôt qu'on en conclue qu'il eft prefque impoffible de réfifter à cette confpiration de tous les objets du monde unis avec notre concupifcence pour nous perdre. Je ne prétens pas néanmoins porter les cho

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