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ne défend point. Pour prévenir cette tentation dangereufe fans examiner s'il y a eu jainais un monde de cette forte, je foutiens qu'il eft encore de la fagesse d'éviter ce prétendu monde innocent, & que la privation & la fuite en eft infiniment préferable à la jouiffance qu'on s'en pouroit procurer.

Quels que foient ces plaifirs qu'on peut goûter dans la poffeffion & la jouiflance des créatures, il est toujours vrai qu'ils s'évanouiffent en un inftant, qu'ils paffent au moment qu'on commence d'en jouir, qu'il n'en refte qu'un fouvenir trif te & dangereux,& une foibleffe effective qui lie l'ame aux créatures, qui l'amolit, qui l'apefantit, qui l'obfcurcit, qui l'attache aux fens, & la retire des objets fpirituels.

Mais la privation du monde & des créatures où l'on fe porte par porte par l'amour de Dieu, eft an-contraire un bien durable, folide, éternel. Elle foulage l'ame, elle lui donne de la force & de la vigueur pour l'élever à Dieu, elle la délivre de la fervitude des paffions. Quiconque étant en pouvoir de jouir du monde, ou de le quitter, prend le parti d'en jouir, employe ce pouvoir que Dieu lui a donné à un ufage vil & méprifable, & le laiffe proprement périr, parceque cette joui

fance périt. Mais celui qui fe réfout à s'en priver, en fait un ufage grand & folide. L'un eft un diffipateur de ce que Dieu lui donne pour s'établir dans l'éternité, l'autre ménage fagement les biens de Dieu, & s'en affure à jamais la poffeffion. L'un ne peut avoir en l'autre vie qu'un regret extrême quand il y verra le néant de ce qu'il a recherché dans la jouiilance du monde, & la réalité de ce qu'il pouvoit acquerir en s'en privant; l'autre fe réjouira éternellement de la fageffe du choix qu'il aura fait en y renonçant. Ainfi c'eft une penfée digne d'une ame éclairée par la lumiere de la vraie fageffe, d'être fortement perfuadée que le monde n'eft bon qu'à quitter. Car il n'y a rien de plus fade ni de plus vain que la jouiffance des créatures, quelque légitime qu'on fe la figure, & il n'y a rien de plus réel, de plus folide que la privation volontaire des créatures.

Je fai, ma Sœur, que vous n'avez pas befoin de toutes ces raifons pour vousfaire aimer le choix que vous avez fait, le vin nouveau de la grace que vous goûtez maintenant vous fuffit pour cela. Mais il n'eft pas néanmoins inntile dans cet état même de faire provifion de lumieres folides qui puiflent foutenir l'ame, lorfque Dieu permet qu'elle fente moins

cette douceur de la grace, & qu'elle mar che par la voie d'une foi plus obfcure & moins fenfible.

Ainfi après avoir reprefenté combien il eft utile de quitter le monde, je m'en vais vous propofer les avantages de la vie Religieufe. Je les réduirai à trois; à la facilité qu'elle donne d'entendre la voix de Dieu, & de difcerner sa volonté, aux fecours qu'elle fournit pour remedier aux maladies de l'ame; aux moyens qu'on y a de pratiquer les principaux exercices de la vie chrétienne d'où dépend particulierement notre falut.

Je ne croi pas qu'il y ait perfonne qui ne crût que ce feroit un bonheur incomparable d'être admis dans la compagnie de Jefus Chrift, d'entendre fans ceffe de fa bouche même d'une maniere claire& intelligible ce qu'il defire de chacun de nous, & de recevoir de lui les ordres de ce qu'il veut que nous faffions. Et: vous comprenez lans donte que le bonheur de cet état confifteroit en ce qu'on feroit ainfi delivré des incertitudes ou l'on eft fouvent fur ce que Dieu veut de nous, & qu'on n'auroit qu'à marcher fimplement dans la voie qu'il plairoit à Jefus-Chrift de nous marquer..

Or il eft clair que vous poffedez auffi pleinement cet avantage, que fi vous

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jouiffiez de la préfence vifible de Je-fus-Chrift, & l'on peut dire avec verité qu'il vous parle auffi clairement qu'il patloit à fes Apôtres. Il vous parle par vos Constitutions , par votre Regle qui vous marque prefque toutes les actions que vous devez faire, puifque vous ne dou tez pas qu'elles ne foient une voix de Dieu à votre égard. Il vous parle par vos Superieures, puifque Jefus Chrift dit Luc. 1o. expreffement: Que qui les écoute, l'écou 16. te lui-même. Et comme les ordonnances de vos Regles & de vos Conftitutions font très-claires, très- précises, trèsparticulieres, & que vous pouvez apprendre la volonté de Dieu par vos Superieures fur le refte des actions qui ne font pas déterminées par votre Regle ni par vos Conftitutions, il n'y a rien de plus aifé que de difcerner ce que Dieu vous ordonne & vous préfcrit en cha que rencontre. Quand une cloche vous éveille, c'eft Jefus-Chrift qui vous ordonne de vous lever; quand elle appelle à quelque Office ou à quelque exercice, c'eft Jefus - Chrift qui vous y appelle. Quand une Superieure vous défend ou yous ordonne quelque chofe, c'eft Jefus-Chrift même qui vous défend on qui Vous ordonne quelque chofe.

Il s'en faut bien qu'on ne jouiffe dans

le monde de ce bonheur. Il faut que ceux qui y vivent, foient à l'égard d'une infinité de chotes leurs propres fuperieurs & leurs propres législateurs. Comme ils n'ont point de regles certaines, ils font toujours en danger de fuivre la volonté de la chair, & les caprices de leurs penEphef. fées, comme dit faint Paul. Ils font con2.3. tinuellement en peine de difcerner fi c'est la cupidité ou la charité qui les tait agir. Dieu ne leur parle que d'une maniere obfcure,& à moins qu'ils ne foient très ́attentifs à sa voix, ils n'entendent que celle du monde.

Sap. 59

Je ne m'étonne donc pas que les impies appellent dans la Sagefle leurs voies, des Voies difficiles. Nous avons marché,difent

Τ

ils par des voies difficiles : ET ambulavimus. vias difficiles. Un chemin eft toujours difficile quand on n'y voit goute, que l'on ne fait où l'on va, & que T'on y eft dans un danger continuel de s'égarer. Le pis

eft

que T'on s'y égare, & que l'on y tombe fans le favoir; car la plupart des chutes & des égaremens des gens du monde leur font inconnus, & perfonne de plus ne fe met en peine de les relever, ni de les avertir de leurs chutes & de leurs er

reurs.

La vie Religieufe eft formée exprès pour remedier à ce terrible danger. On

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