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LETTRE LX.

Sur diverses manieres de faire Oraison:

Jai reçi, Monfieur, la Lettre que vous

m'avez fait la grace de m'écrire, qui marque d'autant plus votre charité, que le mot de Mystique dont on vous a dit que je m'étois fervi fur votre fujet, pout

voit recevoir un mauvais fens: Pour moi je ne me fouviens pas précisément de quels termes j'ai pu ufer. Mais je vous puis bien affurer avec une entiere verité, que l'entretien que j'ai eu l'honneur d'avoir avec vous ne m'a laiffé que des idées très-avantageufes de votre pieté & de votre mérite; & que je ne vois pas que je puiffe avoir en d'autres fens & d'autres vûes en me fervant de ce terme, finon que paroiffant intelligent dans la matiere des Myftiques, j'autois bien defiré d'en conferer avec vous, non par une fimple curiofité, mais dans la vûe d'une utilité réelle. Ce que vous me dites qu'il y avoit des gens qui fe plaignoient que l'on eût condanné dans le Livre de l'Oraifon celle que vous appelâtes l'Oraifon de Foi, m'en étoit aufli une raison; & comme la briéveté de votre vifite m'en a ôté le moyen, j'efpere que vous

trouverez bon que j'en faffe au moins le fujet de cette Lettre.

per

Voici, Monfieur, en peu de mots ce que je penfe fur ce fujet. Comme ce feroit une porte ouverte à l'illufion, que de prétendre mettre à couvert des erreurs certaines fous le nom de Theologie Myftique, par cette raison génerale, que Dieu peut operer dans les aines d'une maniere que les perfonnes moins éclairées ne comprennent pas, & que je ne croi pas jufte de fouftraire par cette raifon ces fortes d'écrits où les fonnes qui fuivent ces voies, les foumettent à l'examen des Puiffances établies dans l'Eglife, quoiqu'elles n'ayent que les lumieres communes que l'on tire de l'étude de la fcience de l'Eglife: je demeure d'accord auffi qu'il ne faut pas témerairement borner à ce que le commun des Chrétiens éprouve, les fentimens que Dieu peut operer dans les ames dans lesquelles il lui plaît d'agit d'une maniere extraordinaire. Je ne trou ve pas même que ce foit une confequen ce tout-à-fait jufte, de dire que tels & tels Saints n'ayant pas éprouvé certains états, ils doivent paffer pour illufion. Car peut-être que nons verrons dans l'autre monde, que Deu aura conduit chaque ame d'une maniere finguliere, & par des A j

fentimens finguliers. Il en faut donc juger par d'auttes regles, & fur tout par les effets bons ou mauvais qui naiffent de ces difpofitions qui nous paroiffent extraordinaires.

Je ne fuis pas auffi de ceux qui traitent tout ce qu'on en dit, ou de fable, ou d'imagination. C'est une injuftice manifefte que d'accufer de menfonge tant de perfonnes; & ce terme d'imagination ne me paroît qu'une couverture de la pareffe & de l'ignorance par lefquelles on condanne ce qu'on ne veut pas examiner, ou ce qu'on ignore abfolument. Quand ce feroit même des imaginations, ce feroit des imaginations extraordinaires que tout le monde n'a pas, & ne peut pas avoir. Et je trouverois auffi admirable qu'il y eût certain reffort caché dans l'ame des hommes qu'on ne pût pas faire agir comme on voudroit, & qu'il n'y eût que certaines perfonnes qui le puffent faire, que non pas que Dieu agiffe par lui même d'une maniere extraordinaire fur certaines ames. Cela fe peut appliquer, Monfieur, à tout ce qu'on trouve dans les Livres des Myftiques des divers états de la vie mystique. Mais je ne l'appliquerai ici qu'à ce que vous appelez Oraifon de Foi, qui eft ce me femble ce que d'autres appellent l'Oraifon de fimple regard. Cell

quoi l'on prétend que l'on a donné atteinte dans le Livre de l'Oraison. Et je m'en vais vous dire ce qui en eft, pour l'expofer à votre lumiere & à votre difcernement, en vous affurant que je n'ai aucune attache à mon fentiment.

Je demeure d'accord premierement du fait, qui eft, qu'il y a certaines ames qui demeurent devant Dieu dans la priere fans aucune varieté de pensées, & s'appliquent à Dieu, ou à quelqu'un de fes attributs par une vue qui les y fixe, & qui les y fait comme demeurer colées; enforte que leur efprit ne voit aucun autre objet, & qu'ils oublient en quelque forte toutes les créatures & leur propre vie. Je fai des perfonnes très-fin ceres & très-vertueufes, qui font dans cette difpofition, & qui y entrent pref que toujours quand elles s'appliquent à Dieu, & qui marquent par une vie trèsexacte, très-pénitente, & très-attachée à leurs devoirs, que cette forte d'Oraifon, fait de très bons effets en elles. Car comme elle fe termine d'ordinaire par un état un peu plus actif, il leur en refte une pente à toute forte de biens, qui leur ôte la difficulté des actions chrétiennes, qui fait qu'elles s'y portent avec ar deur, & qui excite en elles diverfes lumieres felon les objets qui fe préfen

tent.

Av.

Je ne vois point, Monfieur, par où l'on peut condanner une telle difpofition Mais voici en quoi conhftent les difficul tés que je croi que l'on peut faire fur

cette matiere.

que

La premiere ne regarde en apparence mais vous verrez dans. la

le nom,

fuite qu'elle va plus loin. On appelle felon vous cette Oraifon l'Ora Jon de Foi; & je prétens au-contraire que c'eft l'Oraifon commune qui confifte en confiderations & en penfees differentes, qui doit être appelée l'Oraifon de Foi, & que celle à qui vous donnez ce nom n'eft rien moins qu'une Oraifon de Foi parcequ'elle n'ap partient pas proprement à l'état de fol ou à l'état commun des pécheurs. C'eft plutôt une Oraifon de l'état d'innocen ce, & une contemplation qui tient quelque chofe de l'état d'Adam avant le pe ché.

Pour entendre ceci, il faut favoir ce qui eft enfeigné, non feulement par faint Auguftin, mais auffi par la plupart des Peres: Que l'homme par fon peché a perdu l'œil de la contemplation par lequel il contemploit dans l'état d'innocence la verité & la loi éternelle, qu'il est tombé dans l'amour des corps, dans la multiplicité des créatures, & qu'il eft devenu incapable de concevoir & d'aimer les

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