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a pas moins de fagacité d'efprit à bien voir en cette matiere, qu'à deviner; auffi n'avoit-on pas à craindre que ce qu'il faifoit voir aux autres, il le leur déguisât, ou l'embellit trop par fes difcours ; à peine fe pouvoit-il réfoudre à l'expliquer: il falloit prefque que les pieces de fon cabinet parlaffent pour lui.

On y en compte jufqu'à quatre-vingt d'importantes, foit fquéletes entiers, foit partie d'animaux. Trente de ces pieces regardent l'homme; & celles où font tous les nerfs conduits depuis leur origine, jufqu'à leurs extrémités, a dû lui coûter des trois ou quatre mois de travail. Une adreffe finguliere, & une perfévérance infatigable ont été néceffaires pour finir ces ouvrages; auffi étoit ce là ce qui l'enlevoit à tout. Il étoit toujours preffé de rentrer dans ce lieu, où toutes ces machines démontées & dépouillées de ce qui nous les cache, en les revêtant, lui préfentoient la nature plus à nu & lui donnoient toujours à lui-même de nouvelles inftructions; cependant, pour ne pas trop fe glorifier de la connoiffance qu'il avoit

de la ftructure des animaux, il faifoit réflexion fur l'ignorance où l'on eft de l'ac tion & du jeu des liqueurs. « Nous autres >> anatomiftes, m'a-t-il dit une fois, nous » fommes comme les crocheteurs de Paris, » qui en connoiffent toutes les rues, juf» qu'aux plus petites, & aux plus écartées; >> mais qui ne favent pas ce qui fe paffe » dans les maisons. »

On a vu de lui, dans nos volumes, quantité de morceaux, fur ce que devient l'air entré par les poumons, fur l'iris de l'oeil, fur la choroide, &c. Il a donné une nouvelle ftructure au nerf optique, & a ofé avancer qu'un animal fe multiplie fans accouplement ; c'est la moule d'étang dont il a donné la finguliere & bizarre anatomie (1) mais ce qui a fait le plus de bruit dans ces volumes, a été fon opinion fur la circulation du fang dans le foetus, ou fur l'ufage du trou ovale, directement oppofée à celle de tous les autres anatomiftes. Il fut caufe que l'académie, dès fon renouvellementen 1699,

(1) Voyez l'Hift, de 1710, p. 30 & suiv.

fut

fut agitée par cette question. Un monde d'adverfaires élevés contre lui, tant au dedans qu'au dehors de l'académie, ne l'ébranla point. Il publia même en 1700, hors de nos mémoires, un traité exprès fur ce fujet, auquel il joig nit fes remarques fur une nouvelle mani ere de tailler la pierre, pratiquée alors par un frere Jacques, Franc-Comtois ; c'eft-là le feul livre qu'on ait de lui. On ne fait point encore aujourd'hui quel parti eft victorieux; & c'est une affez grande gloire pour celui qui feul étoit un parti. Il paroît, ainfi que nous ofâmes le foupçonner il y a long-tems, que les deux fyftêmes oppofés pourroient être vrais & fe concilier; dénouement qui mériteroit d'être remarqué dans l'hiftoire de la philofophie, & qui condamneroit bien la grande chaleur de toute cette conteftation.

M. Mery étoit fi retenu à former, ou à adopter des systêmes qu'il hésitoit à recevoir, ou, fi l'on veut, ne recevoit pas celui de la génération par les œufs, fi vraisemblable, fi appuyé, fi généralement reçu. Il n'en fubftituoit pas d'autre à la Tome III.

place, mais des ftructures de parties, qui effectivement ne s'y accordent pas trop, l'arrêtoient (1); au lieu que les autres anatomiftes fe laiffent emporter à un grand nombre d'apparences très-favorables, & fe repofent en quelque forte fur la nature de la folution de quelques difficultés. Nous n'avons garde de décider entre leur hardieffe & la timidité oppofée ; seulement pouvons-nous dire qu'en fait de sciences, les hommes font nés dogmatiques & hardis, & qu'il leur en coûte plus d'efforts pour être timides & pirrhoniens.

Cependant M. Mery, peu difpofé a prendre trop facilement les opinions les plus dominantes, ne l'étoit pas davantage à quitter facilement les fiennes particulieres. Le témoignage qu'il fe rendoit de la grande fûreté de fes obfervations, & du peu de précipitation de fes conféquences, l'affermiffoit dans ce qu'il avoit une fois penfé déterminément. La vie retirée y contribuoit encore; les idées qu'on y prend

(1) Voyez l'Hift. de 1701, p. 38 & fuivantes, feconde Edit.

font plus roides & plus inflexibles, faute d'être traversées, pliées par celles des autres, entretenues dans une certaine fou pleffe; on s'accoutume trop dans la fo litude à ne penfer que comme foi. Cette même retraite lui faifoit ignorer auffi des ménagemens d'expreffion néceffaires dans la difpute; il ne donnoit point à entendre qu'un fait rapporté étoit faux, qu'un fentiment étoit abfurde; il le difoit, mais cet excès de naïveté & de fincérité ne bleffoit pas tant dans l'intérieur de l'académie; & fi les fuites affez ordinaires du favoir n'y étoient excufées, où le feroient-elles? On y a remarqué avec plai fir, que M. Mery, quelque attaché qu'il fût à fes fentimens, en avoit changé en quelques occafions. Par exemple, il avoit d'abord fort approuvé l'opération du frere Jacques, & il fe rétracta dans la fuite. Il étoit de bonne grace d'avoir commencé par l'approbation. Un anatomiste de la compagnie raconte qu'il a convaincu M. Mery fur certains points, qui lui avoient paru d'abord infoutenables, & il le ra

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