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adouci, à la vérité, par l'ufage ordinaire, mais dont il voudroit porter tout le poids; & dans le fond, il étoit retenu auffi par fes cheres mathématiques, qui devoient fouffrir beaucoup de fon affiduité au choeur. Mais enfin fa délicateffe de confcience, même pour autrui, lui fit tout furmonter. Il fut chanoine, & le fut à toute rigueur. Les offices du jour n'avoient nulle préférence fur ceux de la nuit, ni les affiduités utiles fur celles qui n'étoient que de piété. Seulement le peu de tems qui pouvoit être de refte, étoit soigneufement ménagé pour ce qu'il aimoit.

Il avoit reçu de la nature des inclinations nobles, généreuses & bienfaisantes, & tout ce qui pouvoit les porter à un haut degré de perfection se réunissoit en lui; la philofophie, la religion, les engagemens encore plus étroits de l'état eçcléfiaftique. Il faifoit imprimer à fes frais des livres d'autrui, qui, quoique bons, n'euffent pas trop été recherchés par les libraires, comme celui de M. Guifnée, fur l'application de l'Algebre à la géométrie, ou des ouvrages rares, qui par certaines

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circonstances ne fe fuffent pas aisément répandus; comme le traité de M. Newton, fur la quadrature des courbes : il marioit ou faifoit religieufes des filles, qui faute de bien, n'euffent trouvé que des amans & pas même des monafteres; & pourvu que les befoins ne fuffent pas tout-à-fait difproportionnés à fon pouvoir, il ne manquoit jamais, ni à l'amour des fciences, ni à celui du prochain. Cependant il faut avouer qu'au milieu de la douceur inféparable des bonnes actions, il n'étoit point pleinement content; fa vie rigoureufe de chanoine, fur laquelle il ne fe faifoit aucun quartier, le gênoit trop; il ne fentoit point qu'il fût où il auroit voulu être.

Vers la fin de 1704, il acheta la terre de Montmort. A celle de Mareuil qui eft dans le voisinage, demeuroit madame la ducheffe d'Angoulême, qui par un paradoxe chronologique, étoit bru de Charles IX, mort il y avoit alors cent trente ans. M. de Montmort alla rendre fes refpects à cette princeffe, & il vit chez elle mademoiselle de Romicourt sa petiteniece

niece & fa filleule. Après cette visite, fon canonicat lui fut plus à charge que jamais, & enfin il fe défit de l'importune prébende, pour pouvoir prétendre à cette demoiselle, dont il étoit toujours plus touché, parce qu'il la connoiffoit davantage, & il l'époufa en 1706, au château de Mareuil. Avant le mariage, & malgré une extrême envie de conclure, il lui déclara de lui-même, & fans aucune néceffité, qu'il avoit dépensé vingtcinq mille écus de fon bien, tant il avoit peur de tromper, même en cette occa fion où l'ufage autorife les tromperies, en ne les puniffant pas par le déshonneur qu'elles mériteroient. Il fut facile de juger à quoi ces vingt-cinq mille écus avoient été employés; fans cela on n'auroit jamais fu jufqu'où il avoit pouffé la générofité, ou la charité chrétienne; & il arriva qu'une vertu fut trahie par une

autre.

Etant marié, il continua fa vie fimple & retirée, & d'autant plus que par un bonheur affez fingulier, le mariage lui rendit fa maifon plus agréable. Les maTome III. D

thématiques en profiterent. Plein de dif férentes vues, il fe fixa fur une matiere toute neuve; car le peu que MM. Pascal & Huiguens en avoient effleuré, ne l'empêchoit pas de l'être, & il fe mit à en compofer un ouvrage qui ne pouvoit manquer d'être original. Feu M. Bernoulli avoit eu à peu près le même deffein, & l'avoit fort avancé; mais rien n'en avoit paru.

L'efprit du jeu n'eft pas eftimé ce qu'il vaut. Il est vrai qu'il eft un peu déshonoré par fon objet, par fon motif, & par la plupart de ceux qui le poffédent ; mais du refte, il reffemble affez à l'efprit géométrique. Il demande auffi beaucoup d'étendue pour embraffer à la fois un grand nombre de différens rapports, beaucoup de jufteffe pour les comparer, beaucoup de fûreté pour déterminer le résultat des comparaifons, & de plus, une extrême promptitude d'opérer. Souvent les plus habiles joueurs ne jugent qu'en gros, & avec beaucoup d'incertitude, für-tout dans les jeux de hafard, où les partis qu'il faut prendre dépendent

du plus ou moins d'apparence, que certains cas arrivent, ou n'arrivent pas. On fent affez que ces différens degrés d'apparence ne font pas faciles à évaluer; il femble que ce feroit mefurer des idées purement fpirituelles, & leur appliquer la regle & le compas. Cela ne se peut qu'avec des raifonnemens d'une espece particuliere, très-fins, très-gliffans, & avec une algebre inconnue aux algébriftes ordinaires. Auffi ces fortes de fujets n'avoient-ils point été traités ; c'étoit un vafte pays inculte, où à peine voyoit on cinq ou fix pas d'hommes. M. de Montmort s'y engagea avec un courage de Chriftophe Colomb

& en cut auffi le fuccès. Ce fut en 1708 qu'il donna fon Effai d'Analyfe für les jeux de hafard, où il découvroit ce nouveau monde aux géometres. Au lieu des courbes qui leur font familieres, des fections coniques, des cycloïdes, des fpirales des logarithmiques, c'étoient le pharaon, la baffette, le lanfquenet, l'hombre, le trictrac, qui paroiffoient fur la fcene affujettis au calcul, & domptés par l'algebre.

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