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ÉLOGE

DE MONSIEUR

RENA U.

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ERNARD RENAU D'ELISAGARAI naquit dans le Béarn, en 1652, d'un pere qui avoit peu de bien, & beaucoup d'en fans. On croit que ce fut par madame de Gaffion, femme d'un préfident à mortier du parlement de Pau, & fille de M. Colbert du Terron, intendant de Rochefort, qu'il fut connu, fort jeune encore, de cet intendant, qui conçut auffi-tôt beaucoup d'affection pour lui. Il avoit une très-petite taille, mais très-bien proportionnée, & qui tiroit de l'agrément de fa petiteffe même; l'air adroit, vif, spirituel, courageux. M. du Terron le prit chez lui, où il devint le frere de madame la princeffe de Carpegne & de madame Barbançon, fes deux filles cadettes, car elles l'ont toujours appellé de ce nom; & pour madame de Gaffion, l'aînée des trois

fœurs, il étoit fon fils. Quelque aimable que fût naturellement un jeune enfant étranger dans une maifon, il falloit encore que, pour y être aimé de tout le monde, il fut bien fe rendre aimable. On lui fit apprendre les mathématiques, apparemment parce que le féjour de Rochefort lui avoit donné lieu de faire paroître des difpofitions à entendre la marine; enfin, on avoit très-bien rencontré, & l'on vit, par fon application & par fes progrès, qu'il étoit dans la route où fon génie l'appelloit.

Il ne s'inftruifoit pas par une grande lecture, mais par une profonde méditation. Un peu de lecture jetoit dans fon efprit des germes de pensées, que la méditation faifoit enfuite éclore, & qui rapportoient au centuple. Il cherchoit les livres dans fa tête, & les y trouvoit. Ce qu'il y a de plus fingulier, c'eft qu'il penfoit beaucoup, & paffoit peu de tems dans fon cabinet & dans la retraite. Il penfoit d'ordinaire au milieu d'une converfation, dans une chambre pleine de monde, même chez des dames. On se

moquoit de fa rêverie & de fes diftractions, & on ne laiffoit pas en même tems de les refpe&ter. Il faifoit naturellement & fans affectation, ce qu'avoit fait pour une épreuve ou pour une oftentation de fes forces, ce philofophe qui fe retiroit dans un bain public, où il alloit méditer.

Il y a apparence que M. Renau lut la Recherche de la Vérité, dès qu'il fut en état de la lire. Son goût pour ce fameux fyftême, & fon attachement pour la perfonne de l'auteur, ont toujours été fi vifs, qu'on ne les fauroit croire fondés fur une impreffion trop ancienne. Quoi qu'il en foit, jamais Malebranchifte ne l'a été plus parfaitement; & comme on ne peut l'être à ce point, fans une forte perfuafion des vérités du christianisme, &, ce qui eft infiniment plus difficile fans la pratique des vertus qu'il demande ; M. Renau fuivit le fyftême jufques-là. Son caractere ferme & vigoureux ne lui permettoit ni des penfées chancelantes, ni une exécution foible.

Quand il fat affez inftruit dans la ma

rine, M. du Terron le fit connoître de M. de Seignelai, qui devint bientôt fon protecteur, & un protecteur vif & agiffant. Il lui procura en 1679, une place auprès de M. le comte de Vermandois, amiral de France, qu'il devoit entretenir fur tout ce qui appartient à cette importante charge. Il en eut une penfion de mille écus.

Le feu roi, voulant perfectionner les conftructions de fes vaiffeaux, ordonna à fes généraux de mer, de fe rendre à la cour, avec les conftru&teurs les plus habiles, pour convenir d'une méthode générale, qui feroit établie dans la fuite. M. Renau eut l'honneur d'être appellé à ces conférences qui durerent trois ou quatre mois. M. de Seignelai y affiftoit toujours ; & quand les matieres étoient fuffifamment préparées, M. Colbert y venoit pour la décision, & quelquefois le roi luimême. Tout fe réduifit à deux méthodes; l'une de M. du Quefne, fi fameux & fi expérimenté dans la marine; l'autre de M. Renau, jeune encore, & fans nom. La concurrence feule étoit une affez grande

gloire pour lui; mais M. du Quefne, en présence du roi, lui donna la préférence, & tira plus d'honneur d'être vaincu par fon propre jugement, que s'il eût été vainqueur par celui des autres.

Sa majefté ordonna à M. Renau d'aller avec M. de Seignelai, M. le chevalier de Tourville, depuis maréchal de France, & M. du Quefne le fils, à Breft, & dans les autres ports, pour y exécuter en grand, ce qui avoit été fait en petit devant elle. Il n'inftruifit pas feulement les conftructeurs, mais encore leurs enfans, & les mit en état de faire à l'âge de quinze ou vingt ans, les plus gros vaiffeaux, qui demandoient auparavant une expérience de vingt ou trente années.

En 1680, les Algériens nous ayant déclaré la guerre, M. Renau imagina qu'il falloit bombarder Alger; ce qui ne fe pouvoit faire que de deffus des vaiffeaux, & paroiffoit abfolument impraticable; car, jufques-là, il n'étoit tombé dans l'efprit de perfonne, que des mortiers puffent n'être pas placés à terre, & se pasfer d'une affiette folide. Les efprits ori

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