jufques à cent quatre-vingt-huit Chartres. Il eft à craindre que ces Saints n'euffent pas affez réflechi fur les inconveniens de la richeffe, fi bien marquez dans l'Evangile, & connus même des philofophes païens. Les riches font naturellement orgueilleux, perfuadez qu'ils n'ont befoin de perfonne, & qu'ils ne manqueront jamais de rien. C'eft pourquoi faint Paul recommande à 1.Tim. VI. Timothée d'exhorter les riches à ne point s'éle- 17. ver dans leurs pensées & ne pas mettre leur efperance dans les richeffes incertaines. Les grands biens attirent de grands foins pour les conferver; & ces foins ne s'accordent guere avec la tranquillité de la contemplation doit être l'unique but de la vie monaftique: ainfi dans une communauté riche, le fuperieur au moins, & ceux qui le foulagent dans le maniement des affaires, quand ils ont veritablement l'efprit de leur état, trouvent qu'ils ne font prefque plus moines. Ajoûtez que fouvent l'amour propre fe déguise fous le nom fpecieux du bien de la communauté ; & qu'un procureur ou un cellerier fuivra fon inclination naturelle pour amaffer ou pour épargner, fous prétexte qu'il ne lui revient aucun avantage particulier. qui La richeffe commune eft dangereufe même pour les particuliers. Dans une abbaie de vingt Moines jouïffans de trente mille livres de rente, chacun eft plus fier de favoir qu'il a part à ce grand revenu; & il eft tenté de méprifer les communautez pauvres & les Religieux mandians de profeffion. Il veut profiter de la richeffe de la maifon, Clugni H. liv. LXVII n. 49. Opuf, 5. 2.21. faint Bernard. Les Moines faifoient la meilleure chere qu'ils pouvoient en maigre, & s'habil loient des étoffes du plus grand prix : les Abbez marchoient à grand train, fuivis de quantité de chevaux, & faifant porter de grands équipages: les Eglifes étoient bâties magnifiquement & richement ornées, & les lieux reguliers à proportion. : L'autre caufe du relâchement fut la multiplication des prieres je dis de la pfalmodie & des autres prieres vocales; car ils en avoient beaucoup ajoûté à celles que prefcrit la regle. Hift. liv. de faint Benoît comme on voit dans les coûLXIII.2.60. tumes de Clugni écrites par faint Ulric qui Spicil. to.4. vivoit encore vers la fin du onzième fiecle. Ils avoient entre autres ajoûté l'office des morts dont ils étoient les auteurs, & ils le chantoient toute l'année. Cette longue pfalmodie leur ôtoit le tems du travail des mains ; & Pierre le Venerable en convient, répondant aux objections HA. liv. de faint Bernard.. La regle, dit-il, l'ordonne seuXVII. n. lement pour éviter l'oifiveté, que nous évitons en remplifiant nôtre tems par de faints exercices, la priere, la lecture, la pfalmodie. Comme fi. faint Benoît n'avoit pas affez donné de tems à ces faints exercices; & n'avoit pas eu de bonnes raifons pour ordonner de plus fept heures entieres de travail. 50. Peut être que Pierre le Venerable & ceux qui penfoient comme lui étoient trompez par les préjugez de leur tems, & regardoient le travail corporel comme une occupation baffe & M.Ifr.n. fervile. L'antiquité n'en jugeoit pas ainfi, comme j'ai fait voir ailleurs; & fans parler des Ifraëlites & des autres Orientaux, les Grecs & les Romains s'en faifoient honneur mais les nations Germaniques & les Barbares du Nort accoûsumez à ne s'occuper que de la chaffe & de la guer guerre, ont toûjours méprilé l'agriculture & les arts, comme on voit encore aux mœurs de nôtre nobleffe. tion IV. Ordre de 1. LXVI. n. Deux cens ans après la fondation de Clugni, Dieu fufcita d'autres grands hommes, qui cifteaux. ramenerent l'efprit de la regle de faint Benoît, Hi. liv. je veux dire les fondateurs de Cifteaux, parti- LXIV. n.64. culierement faint Bernard , que je regarde comme la merveille de fon fiecle. Dieu fembloit 21. avoir pris plaifir à raffembler en lur feul tous les avantages de la nature & de la grace: la nobleffe, la vertu des parens, la beauté du corps, les perfections de l'efprit; vivacité, penetradifcernement fin, jugement folide. Un cœur genereux, des fentimens élevez, un courage ferme une volonté droite & conftante: Ajoûtez à ces talens naturels une bonne éducation, les meilleures études que l'on pût faire de fon tems foit pour les fciences humaines, foit pour la religion: une meditation continuelle de l'Ecriture fainte, une grande lecture des Peres: une éloquence vive & forte un ftile veritablement trop orné, mais conforme au goût de fon fiecle. Ajoûtez les effets de la grace. Une humilité profonde, une charité fans bornes, un zele ardent: enfin le don des miracles. Il faut toutefois avcüer que fon zele ne fut Hifi. liv. pas affez reglé par la difcretion, en ce qui regardoit fa fanté qu'il ruina de bonne heure par des aufteritez exceffives; & vous avez vû le foin que fut obligé d'en prendre fon illu ftre ami Guillaume de Champeaux. J'eftimen. 45. plus les Egyptiens & les autres anciens Moiqui favoient fi bien accorder l'aufterité avec la fanté, qu'ils vivoient fouvent près de cent nes, ans. Saint Bernard étoit fort affectionné au travail V. des Freres lak. Hift. liv. LXI.8.4. 2. Sac. n. 9. Annal. des mains, rétabli ferieufement dans l'obfervance de Cifteaux mais on y introduifit une nouveauté, qui dans la fuite contribua au relâchement je veux dire la diftinction des moines du chœur, & des Freres lais. La regle n'en fait aucune mention, & jufques à l'onziéme fiecle les Moines fe rendoient eux-mêmes toutes fortes de fervices & s'occupoient tous des mêmes travaux. Saint Jean Gualbert fut le premier qui institua des Freres lais en fon monaftere de VaLXIII.2.58. lombreuse Mabil.praf. fondé vers l'an 1040. La raifon de cette inftitution fut apparemment l'ignorance des laïques, qui la plupart ne favoient pas lire, même les nobles de forte que le latin n'étant plus la langue vulgaire comme du tems de faint Benoît > ils ne pouvoient apprendre les pfeaumes par cœur, ni profiter des lectures qui fe font à l'office divin: au lieu que les moines étoient dès-lors clercs pour la plûpart, ou destinez à le devenir. Mais il femble que ceux qui introduifirent cette distinction, ne confideroient pas que l'on peut arriver à la plus haute perfection fans aucune connoiffance des lettres. La plupart des anciens moines d'Egypte ne favoient pas lire, & faint Antoine tout le premier & faint Arfene s'étant retiré chez eux Je fai les fciences des Grecs & des Romains; mais je n'ai pas encore appris l'alfabet de ce vieillard que vous trouvez fi groffier. On occupoit donc ces Freres lais des travaux corporels du menage de la campagne & des affaires du dehors; pour prieres on leur prefcrivoit un certain nombre de Pater, à chacune des heures canoniales; & afin qu'ils s'en puffent acquitter, ils portoient des grains enfilez, d'où font venus les chapelets. Ces Freres étoient vêtus un peu differemment des moines & & portoient la barbe longue, comme les au- autres. Or cette distinction entre les Religieux a été une grande fource de relâchement, les moines du choeur voïant les Freres lais audeffous d'eux les ont regardez comme des ignorans & des hommes groffiers' destinez à les fervir & fe font regardez eux-mêmes comme des feigneurs : car c'eft ce que fignifie le titre Dom, abregé de dominus ou domnus, Reg.c.63. qui en Italie & en Espagne, eft encore un titre de nobleffe, & je ne croi pas qu'on le trouve attribué aux fimples moines avant l'onziéme fiecle ; au moins la regle de faint Benoît ne le donne qu'à l'Abbé feul. C'est donc principalement depuis ce tems qu'ils ont cru le travail des mains indigne d'eux fe trouvant fuffisamment occupez de la priere & de l'étude. D'un autre côté les Freres convers ont été une fource de divifion dans les monafteres, qui étant compofez de deux corps fi differens, n'ont plus été parfaitement unis. Les Freres manquant d'étude, & fouvent d'éducation, ont quelquefois voulu dominer comme étant plus neceffaires pour le temporel, que le fpirituel fuppofe: car il faut vivre avant que de prier & d'étudier. Vous avez vû ce qui arriva dans l'Ordre de Grandmond fous le Pape Innocent III. & com Hift. liv! ment LXXV.n.28 |