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faire connoître fon amour par fes regards: mais il ne pouvoit lui parler, ni lui écrire 2, parce qu'elle étoit inceffamment obfédée d'une Duegne févére & vigilante, apellée la Dame Marcelle. Il en étoit au defefpoir; & fentant irriter fes defirs par les difficultés il ne ceffoit de rêver aux moyens de tromper l'Argus qui gardoit fon Io.

D'un autre côté, Léonor, qui s'étoit aperçûë de l'attention que le Comte avoit pour elle n'avoit pu fe défendre d'en avoir pour lui; & il fe forma infenfiblement dans fon cœur, une paffion qui devint enfin très-violente. Je ne la fortifiois pourtant pas par mes tentations ordinaires > parce que le Magicien, qui me tenoit alors prifonnier, m'avoit interdit toutes mes fonctions mais il fuffifoit que la Nature s'en mêlât; elle n'eft pas moins dangereufe que moi. Toute la différence qu'il y a entre nous, c'est qu'elle corrompt peu à peu les cours, au lieu que je les féduits brufquement.

Les chofes étoient dans cette difpofition, lorfque Léonor & fon éternelleGouvernante allant un matin à l'Egli fe, rencontrérent une vieille femme qui tenoit à la main un des plus gros chapelets

chapelets qu'ait jamais fabriqué l'hypocrifie. Elle les aborda: d'un air doux & riant, & adreffant la parole à la Duegne: Le Ciel vous conferve lui ditelle! La fainte paix foit avec vous! Permettez-moi de vous demander fr vous n'êtes pas la Dame Marcelle, la chafte veuve du feu Seigneur Martin Rofette? La Gouvernante répondit qu'oùi. Je vous rencontre donc fort à propos, lui dit la Vieille, pour vous avertir que j'ai au logis un vieux parent qui voudroit bien vous parler. Il eft arrivé de Flandre depuis deux jours; il a connu particuliérement, mais très- particuliérement votre mari; & il a des chofes de la derniére conféquence à vous communiquer. Il auroit été vous les dire chez vous, s'il ne fût pas tombé malade; mais le pauvre homme eft à l'extrémité. Je demeure à deux pas d'ici. Prenez, s'il vous plaît, la peine de me fuivre.

La Gouvernante qui avoit de l'efprit & de la prudence, craignant de faire quelque fauffe démarche, ne fçavoit à quoi fe réfoudre; mais la Vieille devina le fujet de fon embarras & lui dit: Ma chére Madame Marcelle, vous pouvez vous fier à moi en toute affu

rance.

rance. Je me nomme la Chichona. Le Licencié Marcos de Figueroa, & le Bachelier Mira de Mefqua, vous répondront de moi comme de leurs Grand'meres. Quand je vous propofe de venir à ma maifon, ce n'eft que pour votre bien : mon parent veut vous reftituer certaine fomme que votre mari lui a autrefois prêtée. A ce mot de reftitution, la Dame Marcelle prit fon parti: Allons, ma fille, dit-elle à Léonor, allons voir le parent de cette bonne Dame. C'est une action charitable, que de vifiter les malades.

Elles arrivérent bien- tôt au logis de la Chichona, qui les fit entrer dans une falle baffe, où elles trouvérent un hom me alité, qui avoit une barbe blanche, & qui, s'il n'étoit pas fort malade, paroiffoit du moins l'être. Tenez, Coufin, lui dit la Vieille en lui prefentant la Gouvernante, voici cette fage Dame Marcelle à qui vous fouhaitez de parler la veuve du feu Seigneur Martin Rofette votre ami. A ces paroles, le Vieillard, foulevant un peu la tête, falua la Duegne, lui fit figne de s'aprocher, & lorfqu'elle fut près de fon lit, lui dit d'une voix foible: Ma chére Madame Marcelle, je rends grace au Ciel

de

de m'avoir laiffé vivre jufqu'à ce moment. C'étoit l'unique chofe que je defirois. Je craignois de mourir fans avoir la fatisfaction de vous voir, & de vous remettre en main propre cent ducats que feu votre Epoux, mon intime ami, me prêta pour me tirer d'une affaire d'honneur que j'eus autrefois à Bruges. Ne vous a-t'il jamais entretenu de cette avanture?

Hélas! non, répondit la Dame Marcelle, il ne m'en a point parlé. Devant Dieu foit fon ame! Il étoit fi généreux, qu'il oublioit les fervices qu'il avoit rendus à fes amis; & bien loin de reffembler à ces fanfarons qui fe vantent du bien qu'ils n'ont pas fait, il ne m'a jamais dit qu'il eût obligé perfonne. Il avoit l'ame belle affurément, repliqua le Vieillard; j'en dois être plus perfuadé qu'un autre: & pour vous le prouver, il faut que je vous raconte l'affaire dont je fuis heureufement forti par fon fecours. Mais comme j'ai des chofes à dire qui font de la derniére importance pour la mémoire du défunt, je ferois bien-aife de ne les révéler qu'à fa discréte veuve.

Hé bien, dit alors Chichona, vous n'avez qu'à lui faire ce récit en particu

nous allons

lier. Pendant ce tems-là paffer dans mon cabinet cette jeune Dame & moi. En achevant ces paroles, elle laiffa la Duegne avec le malade, & entraîna Léonor dans une autre chambre, où, fans chercher de détours, elle lui dit: Belle Léonor, les momens font trop précieux pour les mal employer. Vous connoiffez de vûë le Comte de Belflor: il y a long-tems qu'il vous aime, & qu'il meurt d'envie de vous le dire; mais la vigilance & la févérité de votre Gouvernante ne lui ont pas permis jufqu'ici d'avoir ce plaifir. Dans fon defefpoir il a eu recours à mon induftrie; je l'ai mife en ufage pour lui. Ce Vieillard, que vous venez de voir, eft un jeune valet de chambre du Comte; & tout ce que j'ai fait n'eft qu'une rufe, que nous avons concertée pour tromper votre Gouvernante & vous attirer ici.

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Comme elle achevoit ces mots, le Comte, qui étoit caché derriére une tapifferie, fe montra, & courant fe jetter aux pieds de Léonor: Madame, lui dit-il, pardonnez ce ftratagême à un amant qui ne pouvoit plus vivre fans vous parler. Si cette obligeante perfonne n'eût pas trouvé moyen de me

pro

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