Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Mais je fuis noble, & l'offenfe que vous me faites ne demeurera pas impunie. En achevant ces mots, il fe retira chez lui, le cœur plein de reffentiment, & roulant dans fon efprit mille projets de

vengeance.

Dès qu'il y fut arrivé, il dit avec beaucoup d'agitation à Léonor & à la Dame Marcelle: Ce n'étoit pas fans raifon que le Comte m'étoit fufpect; c'est un traître, dont je veux me venger. Pour vous dès demain, vous entrerez toutes deux dans un Couvent; vous n'avez qu'à vous y préparer ; & rendez grace au Ciel, que ma colére fe borne à ce châtiment. En difant cela, il alla s'enfermer dans fon cabinet, pour penser mûrement au parti qu'il avoit à prendre dans une conjoncture fi délicate.

Quelle fut la douleur de Léonor, quand elle eut entendu dire que Belflor étoit perfide! Elle demeura quelque-tems immobile. Une pâleur mortelle fe répandit fur fon vifage. Ses efprits l'abandonnérent, & elle tomba fans mouvement entre les bras de fa Gouvernante, qui crut qu'elle alloit expirer. Cette Duegne aporta tous fes foins pour la faire revenir de fon évaD. 4 nouif

L

noüiffement. Elle y réuffit. Léonor reprit l'ufage de fes fens, ouvrit les yeux, & voyant fa Gouvernante empreffée à la fecourir: Que vous êtes barbare, lui dit-elle, en pouffant un profond foupir? Pourquoi m'avez-vous tirée de l'heureux état où j'étois? Je ne fentois pas l'horreur de ma deftinée. Que ne me laiffiez-vous mourir? Vous qui fçavez toutes les peines qui doivent troubler le repos de ma vie, pourquoi me la voulez-vous conferver?

C'eft

Marcelle effaya de la confoler; mais elle ne fit que l'aigrir davantage. Tous vos difcours font fuperflus, s'écria la fille de Don Luis. Je ne veux rien écouter. Ne perdez pas le tems à combattre mon defefpoir. Vous dévriez plû tôt l'irriter, vous qui m'avez plongée dans l'abîme affreux où je fuis. vous qui m'avez répondu de la fincérité du Comte. Sans vous je ne me ferois pas livrée à l'inclination que j'avois pour lui: j'en aurois infenfiblement triomphé; il n'en auroit jamais, du moins tiré le moindre avantage. Mais je ne veux pas, pourfuivit-elle, vous imputer mon malheur, & je n'en accufe que moi. Je ne devois pas fuivre vos confeils, en recevant la foi d'un hom

me

me fans la participation de mon pere.. Quelque glorieufe que fût pour moi la recherche du Comte de Belflor, il falFoit le méprifer plûtôt que de le ménager aux dépens de mon honneur. Enfin, je devois me défier de lui, de vous. & de moi. Après avoir été affez foible pour me rendre à fes fermens perfides; après l'affliction que je caufe au malheureux Don Luis, & le deshonneur que je fais à ma famille, je me détefte moi-même; & loin de craindre la retraite dont on me menace, je voudrois aller cacher ma honte dans le plus horrible féjour..

En parlant de cette forte elle ne fe contentoit pas de pleurer abondamment; elle déchiroit fes habits, & s'en prenoit à fes beaux cheveux, de l'injustice de fon Amant. La Duegne, pour fe conformer à la douleur de fa Maîtreffe, n'épargna pas les grimaces. Elle laiffa couler quelques pleurs de commande fit mille imprécations contre les hom mes en général, & en particulier contre Belfor. Eft-il poffible, s'écria-t'elle, que le Comte, qui m'a paru plein de droiture & de probité, foit affez fcélérat pour nous avoir trompé toutes deux? Je ne puis revenir de ma fur

DS

prife,

2

prife, ou plûtôt je ne puis encore me perfuader cela.

En effet, dit Léonor, quand je me le reprefente à mes genoux, quelle fille ne fe feroit pas fiée à fon air tendre à fes fermens dont il prenoit fi hardiment le Ciel à témoin, à fes tranfports qui fe renouvelloient fans ceffe? Ses yeux me montroient encore plus d'amour, que fa bouche ne m'en exprimoit. En un mot, il paroiffoit charmé de ma vûë. Non, il ne me trompoit point. Je ne le puis penfer. Mon pere ne lui auroit pas parlé, peut-être, avec affez de ménagement: ils fe feront piquez tous deux, & le Comte lui aura moins répondu en Amant qu'en grand Seigneur. Mais je me flate auffi, peutetre. Il faut que je forte de cette incertitude. Je vais écrire à Belflor, & lui mander que je l'attens ici cette nuit. Je veux qu'il vienne raffurer mon cœur allarmé, ou me confirmer lui-même fa trahifon.

La Dame Marcelle aplaudit à ce desfein. Elle conçut même quelque espérance que le Comite, tout ambitieux qu'il étoit, pourroit bien être touché des larmes que Léonor répandroit dans cette entrevûe, & fe déterminer à l'époufer.

Pendant

Pendant ce tems-là, Belflor débarraffé du bon homme Don Luis, rêvoit dans fon apartement aux fuites que pourroit avoir la réception qu'il venoit de lui faire. Il jugea bien que tous les Cefpédes irritez de l'injure, fongeroient à la venger; mais cela ne l'inquiétoit que foiblement. L'intérêt de fon amour l'occupoit bien davantage. Il penfoit que Léonor feroit mife dans un Couvent, ou du moins, qu'elle feroit deformais gardée à vûë; que felon toutes les aparences, il ne la reverroit plus. Cette penfée l'affligeoit, & il cherchoit dans fon efprit quelque moyen de prévenir ce malheur, lorsque fon Valet-de-chambre lui aporta une lettre que la Dame Marcelle venoit de lui mettre entre les mains. C'étoit un billet de Léonor, conçu dans

ces termes:

Je dois demain quitter le monde pour aller m'enfévelir dans une retraite. Me voir deshonorée, odieuse à ma famille & à moimême, c'est l'état déplorable où je fuis réduite pour vous avoir écouté. Je vous attens encore cette nuit. Dans mon defefpoir, je cherche de nouveaux tourmens: venez D 6

m'a

« AnteriorContinuar »