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lettre eft tirée payable à huit jours de vue, & qu'elle n'a point été acceptée, on ne

peut pas dire que le tems foit échû, & que le tems de la prescription ait pû courir, puifqu'il ne commence à courit fuivant l'Ordonnance que du lendemain des pourfuites, ou à compter du lendemain de l'échéance de la lettre & du proteft, & par conféquent qu'il n'y a point de prescription.

On demande avis fur trois chofes. La premiere, fi la valeur en rencontre d'affaires portée par la lettre en question eft bonne & valable, & fi elle est en usage. parmi les Négocians & Banquiers ?

La feconde, fi Jacques a pû garder la lettre de change en question fix ans & demi fans la faire accepter, ou la faire protefter faute d'acceptation? Quel tems doit avoir un Porteur de lettre de change à huit jours de vûe pour la faire accepter, &

s'il y a fin de non-recevoir.

La troifiéme, fi la lettre eft preferite faute de n'avoir par Jacques fait aucune pourfuite contre François le tireur, depuis fix ans & demi que la lettre a été tirée ?

Le fouffigné qui a pris lecture du Mémoire ci-deffus, estime, fçavoir:

Sur la premiere Question.

Que la valeur en rencontre d'affaires portée par la lettre de change en question n'eft point une véritable valeur, & qu'elle n'eft point en ufage parmi les Cambiftes. En effet, il en eft de même d'une valeur en rencontre d'affaires en matiere de lettre de change, que d'une quittance par laquelle le Créancier confefle avoir reçû de fon débiteur le principal en argent comptant avec numeration d'efpeces; & à l'égard des interêts moyennant bon payement & fatisfaction: car cela veut dire que le Créancier n'a rien reçû defdits interêts, & qu'il les a remis à fon débiteur; & que fi la quittance porte moyennant bon payement & fatisfaction, c'est pour faire honneur au Débiteur, & ne lui pas donner la confufion d'avoir demandé remife à fon Créancier des interêts qu'il lui devoit legitimement; de même cette valeur en rencontre d'affaires marque que c'eft une valeur imaginaire, & qui n'eft pas férieufe, qui fera peut-être pour le jeu, ou pour récompenfer de peines prétendues avoir été prifes par celui au profit duquel la lettre eft tirée en quelques affaires pour le tireur d'icelle, ou pour quelques autres fervices à lui rendus. L'on peut croire que la lettre de change a été exigée par Jacques, de François le tireur, pour femblable rencontre d'affaires. Ainfi cette valeur en rencontre d'affaires portée par la lettre eft vicieuse, & par conféquent de nulle valeur.

En effet, fuppofé que Jacques quinze jours après que la lettre a été tirée, eût fait proteftér faute d'acceptation pour n'avoir point trouvé à Lyon Pierre fur qui elle est tirée, & qu'il eût demandé à François le tireur le payement des 3500. livres mentionnées en la lettre en question, & que François eût dénié avoir reçû aucune valeur, comme Jacques fait prefentement, il eft certain que Jacques eût été obligé de prouver en quelle rencontre d'affaires, quelle valeur il lui avoir donné effectivement. Autrement & à faute de ce faire, la lettre de change auroit été declarée nulle, comme ayant été tirée fans fondement & fans cause valable, car en France on n'a rien pour rien.

Mais outre toutes ces raifons, l'Article premier du Titre V. de l'Ordonnance du mois de Mars 1673. décide entierement cette queftion; car il porte, que les

.

reçus

152 lettres de change contiendront fommairement le nom de ceux aufquels le contenu devra être payé, le tems du payement, le nom de celui qui en a donné la valeur, & fi elle a été reçue en deniers, marchandises, ou autres effets. Suivant la difpofition de cet Article, il falloit que François exprimât dans la lettre de change quels effets il avoit de Jacques pour la valeur d'icelle; par exemple, pour valeur reçûe en un tranfport de pareille fomme qu'il m'a fait ce jourd'hui fur un tel, ou pour demeurer quitte de pareille fomme qu'il me devoit pour loyers de maifons ou autres chofes, ou bien encore pour pareille fomme qu'il m'a ci-devant fournie pour mettre dans une telle affaire. Or il eft certain que toutes ces valeurs font aufli bonnes & valables que fi la lettre portoit valeur reçûe en deniers comptans ou en marchandifes. Ainfi la valeur de la lettre de change en queftion n'étant plus exprimée de la maniere preferite par l'Ordonnance ci-deffus alleguée, il n'y a aucun doute qu'elle eft nulle de plein droit, comme ayant été tirée par François au profit de Jacques fans caufe, & partant il doit en être déchargé,

Sur la feconde Question,

Cette question n'a point été agitée jufqu'à prefent, parce qu'il eft inoui qu'un Porteur de lettre de change tirée payable à huit jours de vûe, l'ait gardée fix ans & demi fans la faire accepter ni la faire protefter faute d'acceptation; & il n'y a point d'Ordonnance ni d'Arrêt qui ait prefcrit le tems qu'un Porteur de lettre de change doit avoir faire accepter une lettre de change tirée payable à 4. 6. 7. ou 8. jours de vue, pour la faire protefter faute d'acceptation, néanmoins j'eftime que cette queftion doit être décidée suivant le bon fens & la droite raison, surquoi les Loix & les Ordonnances font faites.

pour

payement

Or pour bien décider cette queftion, il faut obferver que l'ufage des lettres de change a été introduit pour la commodité des Voyageurs, qui donnent leur argent en un lieu pour le recevoir en un autre. Les Marchands & Négocians fe font auffi fervis de cette commodité pour remettre leur argent dans les lieux où font les manufactures, & dans les Pays étrangers, pour faire les achats de leurs marchandises; & c'est ce qui a introduit le Commerce de la Banque & du Change. Et comme les lettres de change font fommaires & conçues en peu de paroles & en peu de lignes, de même les pourfuites & diligences qu'il faut faire pour avoir ou pour retourner fur les tireurs en recours de garantie, doivent être aufli fommaires & à cours jours, pour éviter les abus qui fe commettroient par les porteurs de lettres, en favorifant ceux fur qui elles font tirées, & qui les auroient acceptées au préjudice des tireurs. C'eft auffi à caufe de ces abus que l'on a vû arriver, que les Négocians & Banquiers de toutes les Nations de l'Europe ont établi un ufage entr'eux, que les Porteurs de lettres de change feroient leurs diligences pour en avoir le payement des accepteurs, c'eft-à-dire, de les faire protefter dans un certain tems, pour établir leur recours de garantie contre les tireurs & donneurs d'ordres; finon & à faute de ce faire dans ledit tems, les lettres demeurent pour leur compte & à leurs rifques, périls & fortunes. Mais cet ufage pour le tems que doivent être faits les protefts eft different dans chaque Pays, car en Flandre, en Hollande & en Angleterre, les Porteurs de lettres n'ont que cinq jours après l'échéance d'icelles pour les faire protefter. A Rouen avant l'Ordonhance de 1673. ils devoient être auffi faits dans cinq jours, les lettres tirées paya

bles

bles dans les Foires de Lyon, que l'on appelle Payemens, trois jours après les payemens échûs, & par tout le Royaume dix jours après celui de l'échéance. Quoique cet ufage de faire protefter les lettres de change foit très-ancien, & qu'il ait été pratiqué de bonne foi fans aucune contestation entre les Cambistes, néanmoins la bonne foi s'étant beaucoup relâchée parmi les Marchands, Négocians & Banquiers, il s'eft trouvé des perfonnes d'affez mauvaise foi pour vouloir contefter en Juftice cet ufage; ce qui auroit donné lieu aux Juge & Confuls & aux notables Bourgeois de Paris, de demander en la Cour de Parlement un Reglement, afin que le tems pour faire protester les lettres fût limité, pour, faire ceffer toutes ces conteftations entre les Cambiftes. En effet, la Cour par Arrêt du 7. Septembre 1630. ordonne que tous Porteurs de lettres de change feront tenus faire le proteft d'icelles dans les dix jours de l'échéance; autrement & à faute de le faire, elles demeureront à leurs périls & fortunes, fans qu'ils puif fent prétendre aucun recours de garantie contre ceux qui auront tiré & délivré lefdites lettres. Et par un autre Arrêt du 13. Juin 1643. la Cour ordonne la même chofe.

fon

Mais comme la chicanne & la mauvaise foi a continué parmi les gens de commerce, ces deux Arrêts n'ont pas été affez forts pour arrêter les contestations qui arrivoient journellement; il a fallu que les Juge & Confuls de Paris ayent eu recours à l'autorité de Sa Majefté, pour confirmer cet ufage & ces deux Arrêts, laquelle par fa Déclaration du 9. Janvier 1664. registrée en la Cour le 31. dudit mois, ordonne que les Porteurs de lettres de change feront tenus de les faire protefter dans les dix jours de l'échéance. Et enfin par l'Article IV. du Titre V. de l'Ordonnance du mois de Mars 1673. Sa Majefté ordonne que les Porteurs de lettres feront tenus de les faire payer ou protefter dans dix jours après celui de l'échéance. Et par l'Article XIII. que ceux qui les auront tirées ou endoffées, feroient poursuivis en recours de garantie dans la quinzaine, s'ils font domiciliés dans la diftance de dix lieues, & au-delà, à raison d'un jour pour cinq lieues. Et par l'Article XV. Sa Majesté ordonne qu'après les délais ci-dessus, les Porteurs de lettres feront non-recevables dans leur action, & toutes autres demandes contre les tireurs &endoffeurs, c'est-à-dire, ceux qui auront paffé leur ordre au dos desdites lettres.

Ainfi l'on voit par tout ce qui a été dit ci-deffus, que toutes les diligences que doivent faire les Porteurs de lettres, doivent être faites dans des tems fort brefs, & cela pour ôter un grand nombre d'abus qui fe commettroient par les Porteurs de lettres de change, au préjudice des tireurs & donneurs d'ordres qu'on pourroit ici rapporter; mais cela feroit trop long dans une Confultation, outre que j'en ai traité amplement dans mon Parfait Négociant.

Il faut encore obferver pour la décifion de cette queftion, que les Porteurs de lettres ne font point obligés de faire accepter, fi bon leur femble, celles qui font tirées à ufance, double ufance & à jour nommé, c'est-à-dire, par exemple, au 20. du mois d'Octobre 1680. parce que le jour de l'échéance eft certain après lequel on fait protefter les lettres faute de payement dans les dix jours de faveur ainsi qu'on a vû ci-dessus. Mais à l'égard des lettres de change qui font tirées payables à 4. 6. 8. ou quinze jours de vûe, les Porteurs font tenus de les faire accepter, parce que le tems du payement ne court que du jour de l'acceptation; & fi ceux fur qui les lettres font tirées refufent de les accepter, les Porteurs font

Tome II.

V

indifpenfablement tenus de les faire protefter faute d'acceptation, & alors le tems porté par les lettres court depuis le tems du proteft, & après les dix jours après celui de l'échéance, ils doivent encore les faire protefter faute de payement, pour établir leur recours de garantie contre les tireurs & donneurs d'ordres. Or, comme il vient d'être dit, fi le tems porté par une lettre de change eft de huit jours, il est nécetfaire de la faire accepter ou de la faire protefter faute d'acceptation pour établir un jour certain pour faire les protefts faute de payement dix jours après celui de l'échéance, pour faire les pourfuites en recours de garantie contre les tireurs & donneurs d'ordres.

Mais la question eft de fçavoir dans quel tems les porteurs de lettres tirées payables à 4. 6. 7. 8. ou 15. jours de vue, les doivent faire accepter ou protester faute d'acceptation? car jufqu'à prefent une femblable queftion ne s'eft point encore agitée, il n'y a point de Déclaration du Roi, ni de Sentences & Arrêts qui l'ayent reglée. Or après les obfervations ci-deffus faites, on jugera bien que ce doit être en peu de tems, puifqu'en matiere de lettres de change les diligences doivent être faites en peu de jours, pour éviter les abus qui fe pourroient commettre par les Porteurs de lettres, au préjudice des tireurs & donneurs d'ordres, comme nous voyons dans l'affaire en queftion; ainfi le fouffigné eftime qu'il faut que le tems foit proportionné, eu égard à la diftance des lieux d'où les lettres font tirées, de même que l'Ordonnance de 1673. Titre V. Article XIII. a reglé les tems que ceux qui auront tiré ou endoffé des lettres, (c'eft-à-dire paffé les ordres au dos d'icelles) doivent être pourfuivis en garantie. L'Article porte dans la quinzaine, s'ils font domiciliés dans la diftance de dix lieues & au-delà, à raison d'un jour pour cinq lieues. Qu'ainfi la lettre en queftion qui eft tirée de Paris fur la Ville de Lyon, d'où on compte cent lieues, Jacques au profit duquel la lettre a été tirée, la devoit faire accepter à Pierre, ou la faire protefter faute d'acceptation dans 33. jours, à compter du 15. Janvier jour de la date de la lettre, îçavoir 15. jours pour la diftance des dix lieues, & 18. jours pour les 90. lieues qu'il y a au de-là defdites dix lieues, ce qui eft à raifon d'un jour pour cinq lieues. On ne peut pas dire que ce tems de 33. jours n'ait été plus que fuffifant à Jacques pour aller de Paris à Lyon, puifqu'on y va ordinairement par le Meffager en neuf jours, & par la diligence par eau en quatre ou cinq jours: & fuppofé que Jacques éût pris la lettre de 3500. fivres en queftion pour aller lui-même à Lyon acheter de la marchandise, ou bien qu'il l'eût envoyée par la poste, (qui arrive ordinairement en trois jours) à fon correfpondant, pour le payer de ce qu'il pouvoit lui devoir.

Et fuppofé que la lettre eût été protestée faute d'acceptation le trente-troifiéme jour de l'arrivée de la lettre à Lyon & que Jacques eût laiffé écouler les huit jours de tems portés par icelle, & qu'il ne l'eût point fait protefter faute de payement que le dixième jour après celui de l'échéance, qui eft le tems prefcrit par l'ufage, les Ordonnances & Arrêts ci-deffus allegués, il auroit encore eu le tems de huit jours porté par la lettre ; les dix jours de faveur pour faire le protest faute de payement, à compter du lendemain du jour de celui fait faute d'acceptation, & 33. jours pour le retour de la lettre de Lyon à Paris, pour faire fes pourfuites en garantie contre François le tireur, lefdits 8. 10. & 33. jours revenant ensemble a51. jours, lefquels ajoutés aux 33. jours ci-deffus, le tout reviendroit à 84. jours, qui font deux mois 24. jours à toute extrémité, que Jacques a pû avoir de tems

pour retourner fur François le tireur, pour intenter fon action en garantie contre

lui.

Quoique ce tems foit jufte & raisonnable, fondé fur quantité d'accidens qui peuvent arriver aux Porteurs de lettres, comme de maladie, de lettres de change perdues & adhirées, dont il faut un grand tems pour les recouvrer, manque de mémoire & autres accidens imprévûs; néanmoins les tireurs de lettres ne laiffent pas d'avoir fouvent fujet de se plaindre, parce que ceux qui donnent leurs lettres, ou qui en fourniffent d'autres, qui font payables comme à 4.6. 8. ou 10. jours de vûe, préfument toujours que ceux qui les prennent en ont besoin pour recevoir leur argent promptement, & qu'ils feront faire diligemment les protefts faute d'acceptation ou faute de payement, & leurs dénonciations pour fe faire rembourfer de leurs lettres. Cela fait qu'ils vivent & dorment en repos, croyant que leurs lettres feront acquittées par ceux fur lefquels ils les ont tirées, qui font leurs débiteurs, ou aufquels ils autont envoyé provifion pour les acquitter. Cependant une lettre tirée à huit jours de vûe fur Lyon, qui doit être acceptée, payée, ou proteftée dans 20. jours au plûtard, fera gardée par le porteur deux mois & 24. jours, pendant lequel tems au-delà defdits 20. jours celui fur qui elle est tirée fera banqueroute. Ainfi par la négligence du porteur de la lettre, il faudra qu'il perde la fomme mentionnée en icelle, cela paroît d'abord déraisonnable, parce qu'il n'eft pas jufte qu'un homme perde fon bien par la négligence d'un autre qui eft toujours préfumé de mauvaise foi; car il donne lieu de croire qu'il a voulu favorifer le banqueroutier au préjudice du tireur. Néanmoins fi d'un autre côté l'on confidere les accidens qui peuvent arriver à un porteur de lettres, dont il a été parlé cideffus, on trouvera qu'il y a de la juftice & de l'équité de donner ce tems de deux mois 24. jours aux porteurs d'icelles lettres, pour retourner fur les tireurs pour les pourfuivre en garantie, qui eft proportionné, eu égard à la distance qu'il y a de Paris à Lyon, pour remedier à toutes fortes d'accidens. Mais il y auroit auffi de l'injuftice fi on ne bornoit & fi on ne limitoit le tems aux porteurs de lettres pour faire leurs diligences, & qu'il fût en leur pouvoir de garder trois, quatre, fix mois, un an, & cinq ou fix ans une lettre de change, foit par négligence, foit pour favorifer celui fur qui elle est tirée, ou autrement, & enfuite retourner fur le tireur lui demander la fomme mentionnée en la lettre. Cet abus ne feroit tolerable, puifqu'il porteroit un notable préjudice, & il n'y auroit point de fûreté dans le commerce de la Banque & du Change, ce qui feroit contre la droite raison, fur quoi la juftice & l'équité font fondées.

pas

Par toutes les raifons ci-deffus alleguées, le fouffigné eftime que Jacques au profit duquel la lettre de change en question eft tirée, ne l'ayant point fait protester faute d'acceptation, ni faute de payement, ni intenté fon action en garantie contre François le tireur d'icelle, dans les deux mois 24. jours, & n'ayant pas même intenté fon action que fix ans & demi après la date de la lettre, feroit fuivant fon opinion non-recevable en fon action, fi d'ailleurs la lettre de change n'étoit nulle pour les raifons ci-devant déduites.

Sur la troifiéme Question.

Il ne fera pas difficile de réfoudre cette troifiéme queftion, & conclure que la lettre dont il s'agit eft prefcrite; car fuivant l'opinion du fouffigné, fi Jacques eft

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