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nos mœurs: de cette régle, dis-je, qui rectifie la raifon; qui nous apprend à nous vaincre nous-memes; qui me rendoit docile, & fufceptible de toutes les bonnes impreffions que vous preniez tant de soin de me donner, en travaillant à me former comme une cire molle. Je pallois' avec vous des jours entiers, je m'en fouviens; nous mangions fouvent ensemble, nous deftinions certa.nes heures au repos & au travail, nous partagions l'un & l'autre également: nos petits repas étoient toujours melés de quelque honnête converfation. Affûrément c'eft quelqu'Aftre prédominant qui nous a fait ainfi naître l'un pour l'autre, n'en doutez pas. Nos inclinations, notre vie, nos occupations, tout le reflemble. Je penfe pour moi que la Parque maîtreffe de nos deftins, a mis tous nos jours dans un même plat de sa balance : ce pourroit bien étre auffi les Gémeaux, cette conftellation fi favorable aux vrais amis qui au moment de notre naiffance ont uni nos deftinées, & nous ont mis fi bien d'accord, c'est ce qui nous aide à corriger les influences malignes de Saturne par les regards bienfaifans de Jupiter. Enfin, je ne fçai que vous dire, mais il faut abfolument qu'il y ait quelque heureuse étoile qui nous ait liés l'un à l'autre, d'une maniere fi douce & fi étroite.

Tous les hommes ne font pas d'un même cara &ére; leur vie, leurs inclinations, leurs occupations font fort différentes. Il y a bien dans tout cela de la bigarrure. Celui-ci paffe les Mers, & pénétre jusques dans l'Orient, pour y faire échange de ses marchandises avec le poivre & le cumin : celui-là fait fon plaifir de bien dormir dès qu'il s'eft crevé de manger. Un autre aime les jeux d'exercice; un autre la râfle & les dez, il y perd jufqu'à sa chemise. En voici un abimé dans les plaifirs; mais auffi, dès que la goutte fe fera faifie de lui, & l'aura rendu impotent des pieds & des mains, il aura tout le loifir de fe désespérer d'avoir patié fes beaux jours dans la débauche : ces fortes degens le trouvent enfin réduits à le plaindre d'etre en

Et fibi jam feri vitam ingemuêre reli&tam.

At te nocturnis juvat impallefcere chartis :

Cultor enim juvenum purgatas inferis aures

Fruge Cleanthea. Petite hinc, juvenesque, senesque,
60 Finem animo certum, milerifque viatica canis.
Cras hoc fiet. Idem cras fiet. Quid? quafi magnum,
Nempè diem donas? fed cùm lux altera venit,

Jam cras hefternum confumpfimus;ecce aliud cras
Egerit hos annos, & femper paulum erit ultrà :

65 Nam quamvis propè te, quamvis temone sub uno,
Vertentem fefe fruftrà fectabere canthum,

70

Cùm rota pofterior curras, & in axe fecundo.

f

Libertate opus eft, non hâc, quam ut quifque Velina

Publius emeruit, scabiosum tefferulà far

Poffidet. Heu fteriles veri, quibus una Quiritem

Vertigo facit! Hic Dama eft, non treffis agafo,

Vappa, & lippus, & in tenui farragine mendax :
Verterit hunc dominus; momento turbinis exit

core

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core en vie, & à se souhaiter la mort, comme l'unique reméde à leurs maux. Pour vous, mon illuftre Maître, vos Livres font tous vos délices, vous paffez les nuits à l'étude : car, comme vous vous plaisez à bien élever la jeuneffe, vous lui rempliffez l'efprit des plus belles maximes de la Philofophie de Cléante. Apprenez de là ( je parle aux vieux barbons auffi-bien qu'auxjeunes gens) apprenez le but & la fin que vous devez vous proposer, faites provifion des vertus & des bonnes qualités, qui doivent vous fervir à paffer doucement les fâcheufes & triftes années de la vieilleffe. Nous y penferons demain. Demain! Vous ferez demain tout comme aujourd'hui. Attendez un nous ne vous demandons qu'un feul jour, eft ce fi grand'chofe? Mais quand demain fera venu, ce jour-ci fera paffé comme celui d'hier: Il viendra enfuite un autre demain,& puis encore un autre après, cela ne finira point: vous pafferez ainfi toute votre vie. Prenez garde aux roues d'un chariot, celles de derriere font fur la même ligne que celles de devant, & attachées au même timon: Quand le chariot roule, les roues de derriere roulent en même tems; mais parce que celles de devant roulent auffi, il eft impoffible qu'elles s'attrapent.

peu,

Le premier de ces biens dont il faut faire provision pour vivre heureux, c'est la liberté; non pas celle qu'on donne à un vieux esclave, qui, après qu'on la lui a donné, tient fon rang dans une Tribu, celle de Vélina, par exemple, & qui en vertu de fon billet, a droit fur une certaine me◄ fure de méchant bled. Hélas, vous vous trompez fort, fi vous appellez libres ces fortes de gens qu'on tire de l'efclavage en les faifant pirouetter d'un tour de main ! Vous voyez bien Dama, ce coquin-là, c'est un misérable, vous n'en donneriez pas trois fous, c'est une bete,un fripon qui trompe fon maître jufques dans les bottes de paille & les mefures d'avoine qu'il donne aux chevaux : Hé bien, fon maitre lui fait faire la pirouette en deux ou trois tours de main, & le voilà libre; le voilà Monfieur Marcus Da

E

Marcus Dama. Papæ ! Marco fpondente, recufas

80 Credere tu nummos? Marco fub judice palles? Marcus dixit, ita eft: affigna, Marce, tabellas.

Hæc mera libertas, hanc nobis pilea donant?
An quifquam eft alius liber, nifi ducere vitam

Cui licet, ut voluit? licet, ut volo, vivere: non fim 85 Liberior Bruto? Mendosè colligis, inquit

Stoicus hic, aurem mordaci lotus aceto:

Hæc reliqua accipio; licet, ut velo, vivere, tolle.
Vindictâ poftquam meus à Prætore receffi,

Cur mihi non liceat, juffit quodcumque voluntas,

90 Excepto, fi quid Masurî rubrica vetavit?

Difce: fed ira cadat nafo, rugofaque fanna,
Dùm veteres avias tibi de pulmone revello.

Non Prætoris erat ftultis dare tenuia rerum

Officia, atque ufum rapida permittere vitæ:

95 Sambucam citiùs caloni aptaveris alto.

Stat contrà ratio, & fecretam gannit in aurem,

ma. Quoi, vous ne prêteriez pas votre argent à un hom me pour qui répond Monfieur Dama? vous avez un procès, Monfieur Dama eft votre Juge, & vous vous défiez de lui, & vous craignez Monfieur Dama affûre-t-il telle chote? Elle eft donc vraie. Monfieur Dama, fignez ce Teftament, pour l'autorifer & le rendre inconteftable. Quoi, fe faire rafer les cheveux, prendre le chapeau,' cela s'appelle être véritablement libre? C'eft fe moquer. je ne me moque point, me direz-vous, s'il y a quelqu'un qui foit libre au monde, il me femble que c'eft celui qui vit comme il lui plaît. Je fais tout ce que je veux, & je ne ferois pas plus libre que Brutus même ? Non aflûrément: vous raisonnez mal, demandez à ce Stoïcien, à ce Philofophe qui juge fi bien des chofes. Je conviens, vous dira-t-il de tout ce que vous avancez, à cette propofition près (Je fais tout ce que je veux.) car elle eft fauffe. Cependant, Monfieur le Stoicien, dès-là que le Préteur, gardant les formalités, me déclare libre, je ne vois pas pourquoi vous ne voulez point qu'il me foit permis de faire tout ce qu'il me plaît, à la réserve de ce que défendent les loix, & de ce que Mafurius le Jurifconfulte a marqué dans fon Code qu'il ne falloit pas faire. Vous ne voyez pas pourquoi ? Apprenez-le. Mais ne nous fâchons point; & pendant que je m'efforce de vous détromper & de vous faire revenir de vos ridicules & anciennes idées ne prétendez pas tourner en plaifanterie une doctrine qui peut-être vous paffe. Le Préteur, qui, du confentement de votre Maître, vous a mis en liberté, ne vous a pas fait devenir fage,de fou que vous étiez?Cela paffe fon pouvoir. Il n'a pu vous apprendre les devoirs d'un honnête homme, & les régles d'une conduite irréprochable, qu'il faut garder dans tout ce qu'on fait. Et le moyen qu'il vous les eût apprifes? On apprendroit bien plutôt à un Goujat stupide & mal-adroit, à jouer joliment de la flûte. La raifon même s'oppose à cette prétendue liberté, pour peu qu'on la veuille écouter,elle nous dit qu'il ne faut pas qu'un hom

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