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Juvénal fuppofe, dans cette Satire, qu'un certain Umbricius son ami, ayant formé le deffein de quitter la Ville de Rome pour aller s'établir à cumes, lui expose les raifons, qui l'engagent à prendre ce parti. Ces raifons font au nomɔre de dix. La premiere, eft le peu de cas qu'on y faifoit alors des beaux Arts. La feconde, l'indignation qu'il reffent de ne voir que des fiélérats en poffeffion du pouvoir de l'autorité fuprême. La troifiéme, la prodigieufe quantité d'Etrangers qu'on y rencontre, & fur tout des Grecs, dont il ne peut fouffrir le génie fourbe & flateur, porté à toutes fortes de médifances & de caTomnies. La quatrieme,le peu d'état qu'on y fait de la Nobleffe & de la folide vertu, pendant que tout s'y accorde aux richeffes & à l'opulence. La cinquième, la dure necessité d'acheter tout dans Rome. jufqu au repos de la nuit. La fixiéme la ruine prochaine de la plupart des maifons, les fréquens incendies. La feptiéme, le bruit continuel qu'on y entend. La buitieme, le danger que courent les passans d'y être écrafés par la chute des tuiles, ou par celle des vales dont la plupart des grandes fenêtres font ornées. La neuviéme, l'infolence des jeunes gens étourdis fouvent dans le vin,dont l'unique plaifir eft d'infulier de maltraiter les paffans, fur tout les pauvres, dont il décrit en plus d'un endroit de cetre Satire le fort malheureux. La dixième enfin, eft la quantité incroyable de bandis & de voleurs dont cette grande ville eft pleine. La Satire finit par les adieux qu'Umbritius fait à Juvénal, & en lui proteftant qu'il eft résolu de faire le voyage qu'il a projetté.

UOIQUE je fois fenfiblement touché du départ de mon ancien ami,je ne puis cependant défapprouver ledessein qu'il a d'aller s'établir à Cûmes,& de donner un nouveau citoyen à cette petite ville.Cûmes eft un paffage pour aller à Baie; un rivage fort agréable, une folitude charmante. A vous dire le vrai, la rue la plus frequentée de Rome me plaît bien moins que l'Ifle du monde la plus déferte. Quoi!fe voir ici à tout moment fur le point d'être enveloppé dans une incendie, écrafé fous les ruines d'une maison qui vient à tomber,courir fans ceffe rifque de favie,

Urbis, & Augufto recitntes menfe poëtas? 10 Sed dum tota domus rhedâ componitur unâ,

Subftitit ad veteres arcus, madidamque Capenam Hic, ubi nocturnæ Numa conftituebat amicæ. Nunc facri fontis nemus, & delubra locantur Judæis, quorum cophinus fenumque fupellex. 15 Omnis enim populo mercedem pendere jussa est Arbor, & ejectis mendicat 1ylva Camœnis. In vallem Ægeriæ defcendimus, & fpeluncas Diffimiles veris. Quantò præftantius effet Numen aquæ, viridi fi margine clauderet undas 20 Herba, nec ingenuum violarent marmora tophum! Hic tunc Umbritius; quando artibus, inquit, honestis Nullus in urbe locus, nulla emolumenta laborum, Res hodie minor eft here quàm fuit, atque eadem cras Deteret exiguis aliquid; proponimus illuc

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Ire fatigatas ubi Dædalus exuit alas :

Dum nova canities, dum prima & re&ta fene&tus,
Dum fupereft Lachefi quod torqueat, & pedibus me
Porto meis, nullo dextram fubeunte bacillo.
Cedamus patriâ ; vivant Arturius iftic,

Et Catulus : maneant qui nigra in candida vertunt ;
Queis facile eft ædem conducere, flumina, portus,
Siccandam eluviem, portandum ad busta cadaver,
Et præbere caput dominâ venale fub haftâ.
Quondam hi cornicines, & municipalis arena

être invefti de mille Poëtes qui vous affaffinent du récit de leurs vers dans les plus grandes chaleurs; toutcela n'est-ilpas plus affreux que les plus triftes folitudes ?

Pendant qu'on chargeoit tout le petit bagage d'Umbricius fur une charette; il s'arréta avec moi fous les vieux arcs de la porte de Capène': C'est en ce lieu que Numa confultoit Egérie: on loue aujourd'hui aux Juifs le Bois, les eaux, & le Temple que ce bon Roi confacra jadis aux Muses; hélas, on les en a chaffés, & ces miférables Juifs, qui n'ont pour tous meubles que quelques corbeilles & un peu de foin, payent jufqu'à l'ombre de la forêt où ils fe retirent. Ce fut dans cette forêt d'Aricie que nous nous arrétâmes ensemble, près de ces grottes qui ne font rien moins que naturelles. Ah! la divinité qui y préfide,feroit bien plus refpectable & plus honorée,fi au lieu de ces magnifiques baffins de marbre, leur fontaine n'étoit bordée que de fimple tuf & de, gazon.

Puifque les beaux arts, me dit Umbricius, font à pré◄ fent bannis de Rome; puisqu'on ne tire aucun fruit de fes veilles, que mon bien dépérit tous les jours, que j'en ai moins aujourd'hui que je n'en avois hier, & que demain j'en aurai encore moins: mon parti eft pris je me retire à Cûmes pour y chercher le repos, comme fit Dédale après avoir long-tems volé dans les airs. Tandis que j'ai encore de la vigueur, que je ne me fens point courbé fous le faix des années, que la vieilleffe ne m'empêche pas de marcher fans bâton, & qu'il refte encore à la Parque de quoi filer. Sortons d'ici, qu'Arturius & Catule y vivent tant qu'ils voudront; que ceux-là y demeurent, qui font pafler le vice pour vertu, j'en fuis content: que ces Meffieurs qui entrent dans tous les partis,quigagnent des biens immenfes fur les ouvrages publics, fur les ports, fur les paffages, fur les boues des rues, fur les pompes funèbres, & fur la vente des efclaves; que ces Meffieurs, dis-je, vivent ici à leur aife. Ces gens dont je viens de parler,alloient autrefois fonner de la trompette à tous les combats des Gladia

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35 Perpetui comites, notæque per oppida bucca,
Munera nunc edunt, & verfo pollice vulgi
Quemlibet occidunt populariter: inde reversi
Conducunt foricas. Et cur non omnia? Cùm fint
Quales ex humili magna ad faftigia rerum
40 Extollit, quoties voluit Fortuna jocari.

Quid Romæ faciam ? mentiri nescio, librum,
Si malus eft, nequeo laudare & pofcere: motus
Aftrorum ignoro : funus promittere patris

Nec volo, nec poffum: ranarum vifcera nunquam 45 Infpexi: norint alii; me nemo ministro

Fur erit: atque ideo nulli comes exeo, tanquam
Mancus, & extinctæ corpus non utile dextræ.
Quis nunc diligitur, nifi confcius, & cui fervens
Eftuat occultis animus, femperque tacendis ?
50 Nil tibi fe debere putat, nil conferet unquam,
Participem qui te fecreti fecit honefti.

Carus erit Verri, qui Verrem tempore quo vult
Accufare poteft. Tanti tibi non fit opaci

Omnis arena Tagi, quodque in mare volvitur aurum,

55 Ut fomno careas, ponendaque præmia fumas Triftis, & à magno femper timearis amico.

Que nunc divitibus gens acceptiffima noftris

teurs,ils gagnoient leur vie à ce métier, il n'y avoit point de villes municipales, où l'on ne connût ce qu'ils fçavoient faire,& maintenant ils donnent au Peuple de ces fortes de combats, & font périr fur l'arêne le premier Gladiateur au moindre fignal que le peuple leur en fait: Au fortir de là ils vont traiter & convenir de prix, pour vuider des Privés, & quelle difficulté y auroient-ils, puifqu'ils font du nombre de ceux que la Fortune éleve au deffus des autres hommes, quand elle veut fe divertir.

Que voulez-vous que je faffe à Rome? Je ne fçai point déguiser mes sentimens ? fi un Livre eft impertinent, je ne preffe point l'Auteur de me le montrer,je ne lui en fais point de compliment : je ne fuis point astrologue, je n'en fçais pas aflez pour pronostiquer à un fils la mort de fon pere : & quelqu'habile que je fuffe en cet art,je ne pourrois me réfoudre à m'en fervir pour cela je n'ai jamais cherché dansles entrailles des grenouilles de quoi faire des poifons; je laiffe cela à d'autres: on ne m'accufera point d'avoir facilité un larcin: auffi me voyez-vous fortir seul de Rome, comme un miférable impotent, & comme un corps perclus qui n'est bon à rien. A qui les Grands témoignent-ils maintenant del'amitié, finon à ceux qui con. noiffent leurs crimes,& qui font toujours dans l'inquiétude & le trouble, parce qu'ils craignent également de les révéler ou de les taire? Qu'un homme de bien faffe confidence à quelqu'un d'un fecret qui n'ait rien que d'honnête; il ne croit pas qu'il foit néceffaire de le ménager,& de lui faire des préfens pour l'engager au filence. Mais pouvezvous, quand il vous plaira, convaincre un Verrès de fes brigandages? Verrès aura pour vous de grands égards. Quand on vous offriroit tout l'or que le Tâge roule dans la mer; n'allez pas au dépens de votre repos, vous rendre redoutable à un fçélérat de qualité; & n'achetez point au prix de la douleur & du chagrin, des biens qu'il vous faudra quitter un jour.

Je vous dirai franchement en deux mots les gens que

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