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ne tenoit qu'à lui de s'expliquer plus nettement, mais le moïen fous le regne de Néron?c'étoit un terrible homme,qui n'entendoit nullement raillerie,& comme il avoit droit plus que perfonne de prendre pour lui ce qu'il pourroit y avoir de plus fin & de plus piquant dans une fatire,pour peu que cela eût été clair;je ne fuis pas furpris de voir, que Perfe ait affecté d'être énigmatique & mysterieux. Vous fçavez ce qu'il en coûta au malheureux Lucain pour ce feul vers Unde tuam Spectes obliquo fydere Romam. Néron étoit louche & fon regard équivoque. L'épithete, obliquo, le défola, le tranfporta de fureur; il fit mourir le Poëte. Si Lucain employa cette épithete par malignité, il eut grand tort. Jamais un honnête homme, pour peu qu'il fçache vivre, ne s'eft avifé de reprocher à perfonne, des défauts purement naturels, dont on ne peut être coupable. Néronavoit tant d'autres vices,il étoit cruel,fanguinaire, c'étoit un monftre de nature & l'horreur du genre humain. Ainfi,quand Jules Scaligertraite Perlede docte fébricitant,aparemment il n'y penfe pas, & je fuis fûr que ce critique fi fier & fi redoutable, eût été lui- même faifi de violens friffons,& eût tremblé de tout fon corps à la feule vûe de Néron. J'admire même l'audace de Perfe, d'avoir une fois voulu fe jouer à cet Empereur: car ce petit bout de vers. Auriculas afini Midas rex habet, étoit mis là exprès pour lui, c en étoit fait du Poëte, fi le fage, le difcret

Cornutus n'eût fupprimé le nom propre,& n'eût substitué à la place de la perfonne, un mot auquel, heureux le petit nombre qui n'y a point de part. Je ne conçois pas même comment ce Philo. fophe exilé depuis par le Tyran pour n'avoir pas crû devoir approuver le deffein de fon Poëme fouffrit que fon difciple s'expofât à produire avec un elprit malin, comme un modele de vers achevés. Torva mimalloneis, &c. Tout le ridicule de ces quatre vers eft rendu à merveille par les huit vers que Monfieur l'Abbé de Marolles a mis dans fa traduction, je n'y ai rien changé. Je ne finirois point fur Perfe, fi je m'en croïois,quand ce ne feroit que pour le dédommager du peu de place qu'il tient dans ce livre: il y entre auffi de ma part un peu de reconnoiffance, m'étant apperçû que fon ftile, qui tient du Stile des Oracles, ne m'a pas beaucoup gêné, & m'a laiffé une honnête liberté de m'exprimer comme il m'a plû à la faveur de l'interprétation que le P. de Jouvancy en a faite, en quoi certes,je ne lui ai pas une petite obligation. J'oubliois une réflé xion qui m'eft venue,& que je crois affez vraie.

En relifant un endroit, où je vous représente Perfe, qui défigne Néron en ftile obfcur & mysterieux, j'ai lieu de douter. 1°. Si, fous le nom de Midar, il avoit Néron en vûe. 2o. Il eft conftant que les cinq autres Satires ne regardent point du tour cet Empereur. D'où je con clus qu'il n'a tenu qu'à Perle d'être plus clair &

plus intelligible dans fes ouvrages: mais apparament, la clarté n'étoit pas de fon goût. Chaque Auteur écrit à fa maniere, & celui-ci pourroit bien n'avoir été myfterieux & énigmatique, qu'afin de jetter plus de profondeur & de folidité dans la morale, en affectant ce ftile d'oracle, dont il a couvert fes maximes.

Pour Juvénal, c'eft un Milantrope chagrin & rêveur, qui veut faire fes réfléxions & médire à fonaife & à fa maniere dans fa grote ou dans fon cabinet, de tous ceux qui ont le malheur de lui déplaire; & qui eft-ce qui ne lui déplaît pas ? Néanmoins, du caractere dont je le connois, il Leroit fort fâché qu'on ne lût point fes Satires; car il fent bien qu'il a beaucoup d'efprit,& il le faifoit, je crois, fentir aux perfonnes qui étoient le plus déchaînées contre lui. Mais autant que j'en puis juger, il fe fait un plaifir d'être un parfait original, & de n'être point copié, où du moins il prétend que parmi les gens de lettres ceux qui oferont entreprendre de le traduire n'y trouvent pas de petites difficultés, quelque application qu'ils s'efforcent d'y apporter d'ailleurs. Sur ma parole, fes prétentions font affez bien fondées, j'en fçai des nouvelles, & pour bien faire, je ne devois pas être fi naturel, il falloit commencer par Juvénal, & finir par Horace. Voila ce que c'eft que d'agir par inclination plûtôt que parraifon, l'on en eft puni dans les fuites; car enfin cette derniere traduction ma caufé plus

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de peine que de plaifir, & la premiere plus de plaifir que de peine. Il n'eft pas néceffaire d'en aller chercher bien loin la raison,elle eft fondée fur le goût de la nature même, de cette nature fi droite, fi équitable, & fi ingénue, dont le jugement eft toujours fain, toujours vrai, toujours infaillible. Lifez toute forte d'ouvrages, laiffezvous prendre aux chofes, pour ainfi parler, jugez-en par ce qui fe paffe en vous même, fans trop confulter votre efprit, vous en jugerez toujours bien. C'est ainfi qu'un grand Prince qui fçavoit beaucoup, mais qui avoit encore plus de goût pour les bonnes chofes, que de capacité, jugea fi jufte en deux petits vers des deux fameux fonnets qui amuferent autrefois toute la Cour, & qui la partagerent en deux cabales de beaux efprits, dont la guerre fut fort innocente. Voiture eut pour lui de redoutables partifans, Benferade eut auffi les fiens. Mais la décifion du Prince de Conti, que lui dicta la nature seule, donna gain de caufe aux Jobelins, & cela fans appel. Voici l'arrêt.

L'un eft plus grand, plus achevé:

Mais je voudrois avoir fait l'autre.

Le premier vers regarde Voiture, & le second, Benferade; qui fut, je penfe, alors fort content du fouhait qu'avoit formé un Juge d'autant plus incorruptible,quetout le monde expérimenteen lifant les termes dont il s'eft fervi, qu'il a jugé fans prévention. Oferois-je dire ici mon fenti

ment

ment, fans décider au moins, Monfieur, Juvénal eft le Sonnet de Voiture, & Horace celui de Benferade.Peut-être que fi Scaliger n'eût pas été fi heriffé de grec il auroit jugé de la forte; car l'érudition toute pure gâte beaucoup : mais il donne la préférence à Juvénal, d'une fi grande hauteur, que ce critique, tout incomparable qu'il est, mérite bien qu'on le chicanne un peu fur fa prétendue Principauté, & qu'on ne le traite pas d'Alteffe, quoiqu'il eût l'Astesse fort à cœur s'il eût été de fi grande naissance, il auroit rendu plus de justice au maître des Courtifans, il y auroit reconnu une délicatesse & une folidité d'esprit, un enjouement, une politesse, un bon sens & un agrément infini, dont conviennent tout ce qu'il y a de gens en France, de la premiere qualité, fçavans & ignorans. Vous m'avouerez que Juvénal n'eft pas de cer heureux caractere, il eft plus véhément, plus emporté, plus âcre, plus mordant, plus élevé même, & plus majestueux, aux Odes près, paffons-lui cet éloge: En un mot:

Il eft plus grand, plus a hevé:

Mais je voudrois avoir fait l'autre. Voulez-vous un préjugé fort fûr en faveur du Poëte chéri d'Augufte? c'eft qu'un de nos plus beaux efprits fatiriques du dernier fiécle, qui dans le fond n'étoit né que Juvénal,& c'est toujours beaucoup, a fait tout ce qu'il a pû pour devenir Horace: Son affiduité prodigieufe & fon

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