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tantôt au marché de Suburre, tantôt au MontAventin,tantôt parcourant les portes& les veftibules des Grands fes Patrons, & fuant beaucoup fous une robe de client, dont les coins lui fervoient d'éventail. Cette robe eft de mauvaise augure pour la qualité. Il emploïa fes plus belles années dans les cris de l'Ecole & du Barreau, il en eut les oreilles rompues, & s'ennuyant d'un métier fi ftérile & infructueux pour lui, il le quitta, non pas fans fe reffentir le refte de fes jours, de l'air qu'on refpire en ces lieux; car fes vers font remplis de figures de Rhétorique, il y en a fans fin, & l'hyperbole y domine pardeffus tout: le chagrin qu'il eut de n'avoir pas fait fortune dans ces emplois, le fit tourner du côté de la fatire. Il commença même par celle que vous voïez la feptiéme,où il fe plaint de la dureté des tems, & du peu de confidération que les nobles. & riches Romains ont pour les fçavans, c'est-àdire, de cette confidération effective, qui produit de bonnes pensions, & qui met les beaux efprits à couvert de l'indigence; car toute autre confidération que coûte-t-elle? Je n'entre point à préfent dans le détail de fes Satires; je vous dirai feulement que celle-ci n'eft pas la moindre. Paris qui s'y fentit joué : entendit raillerie, & ne la fit enfuite que trop entendre à l'Auteur. Ce fameux Comédien favori du Prince, obtint fans peine pour Juvénal unRégiment à la tête duquel convint au Poëte de fe mettre pour le conduire

par ordre de Domitien, dans la Pentapole, au fond de la Lybie, près de l'Egypte. Figurezvous ce pauvre Satirique, qui, felon toutes les apparences, n'avoit jamais été à l'Académie, commençant àmonterun cheval. Quel embarras! Je vous laiffe à penfer les rares exploits qu'il fit en ces païs perdus. Il y paffa dix ans entiers, & n'y compofa que deux Satires, dont le ftile & le tour marquent un efprit plus trifte que gai. Il plaifante affez froidement dans l'une, fur les priviléges & les avantages d'un homme d'épée, pour fe confoler; il rapporte exprès dans l'autre,une hiftoire monftrueule arrivée en Egypte, pour faire du dépit à Crifpin l'Egyptien,qu'il haïssoit à mort. Je ne fçai quels Commentateurs prétendent que Juvénal âgé de quatre-vingt ans,mourut accablé d'ennuis dans cet exil; mais fe moquent-il?Sa quatrième Satire qui eft d'une grande beauté,fut compofée à Rome, & il eft évident à la peinture qu'il fait de la Cour de Domitien que ce Prince n'étoit plus alors: autrement, ou ce Poëte auroit-il eu l'efprit d'aller faire du vivant de l'Empereur un caractere fi affreux de fa perfonne? de plus, l'Epigramme de Martial eft dattée de l'Espagne, où il ne fe retira que la feconde année du regne de Trajan : & remarquez qu'en plaifantant fur les occupations ordidaires de fon ami, il ne lui fait nul compliment für fes Satires, & n'en dit pas un feul mot, ne fçachant point qu'il le mêlât d'en faire. Juvénal

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Te portoit donc bien, comme vous voïez,après la mort de Domitien; & la feptiéme, quinziéme & feiziéme Satire, ne furent pour lui que dés coups d'effai. Il commença fes coups de maître, âgé d'environ quarante trois ans, & fit les treize autresdans le cours de vingt années,c'eftà dire, jufqu'à la troifiéme année du regne de l'Empereur Adrien, & fe repofa enfuite, ou mourut. Vous lui trouverez dans les difcours ; l'air d'un vieux barbon qui parle par fentences, & toujours d'un ton grave & férieux.Cela étant, Monfieur, n'ai-je point été trop har i de lui dérider quelquefois le front? Je n'ai presque pu m'en tenir.Vous fçavez'fi bien ce que c'est que certains mots affez heureux, qui naiffent fous la plume, & qui échappent prefque toujours fans qu'on y pense. J'ai eu, je vous affure de bonnes intentions: mon deffein a été de l'humanifer,de le rendre par-là plus fociable;de l'attirer fans le contraindre à nos bienféances & à nosmaniéres, enfin, de le faire vivre avec les vivans. Et puis ne faut.il pas se tirer d'affaire comme on peut, s'acommoder au goût du fiécle, & fe dédommager des mauvaises heures que ce Poëte m'a fait paffer? Hélas! ma diction ne fe reffentira t-elle peut-être encore que trop du terroir d'Aquin. Sçavez-vous bien, Monfieur, que généralement parlant,rien n'eft plus contagieux pour une traduction françoife, que le latin qu'on met à côté: La proximité de l'original dépare beaucoup la

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copie. Le Lecteur, ami Lecteur tant qu'il vous plaira, c'est-à-dire, le plus obligeant & le plus honnête, ne peut s'empêcher de faire des confrontations fâcheufes, pour peu qu'il fe pique d'entendre les deux langues: de forte qu'un Tra ducteur qui se sera donné la gêne pour s'expliauffi fimplement que fi tout fon ouvrage quer étoitune pure productionde fon efprit,le trouve en comparaifon de l'original qu'on révere toujours beaucoup;un copilte supportable tout au plus.Il a très-fouvent tort,tantôt il dit trop,tanτότ trop peu,on le chicanne fur tout,& le venin de la critique ne fe répand que fur lui.Cela n'eftil pas cruel? Quoiqu'on ne foit que fimple copifte,on ne feroit pas fâché de paffer en ce genre un peu pour modéle, fur tout quand on s'est fait un point effentiel de fa traduction.Pour mériter dans ces fortes d'ouvrages,l'eftime & l'approbation des plus habiles,& en même tems les fuffrages du Public; je conçois qu'il faut faire beaucoup de réflexions, & bien méditer; il faut fçavoir fa langue en perfection,avoir eu le bonheur d'être élevé dans la délicateffe dès le berceau, l'avoir cultivée avec foin, avoir fuivi l'usage de près, la parler fans affectation & felon le génie que Dieu nous donne, & non pas s'en faire une de phrases coufues enfemble & remarquées dans les livrespoliment écrits,dont je n'aigarde pourtant de défapprouver la lecture,puifqu'elle enrichit l'imagination,&donne une facilité merveil

feuse à bien s'énoncer, pourvû que nous fça-. chions,fi j'ofe ufer de ce terme, digérer ce que nous lifons, & le laiffer s'accommoder à notre caractere. Mais rien ne forme plus que le commerce de laCour,s'il n'en coûtoitpoint tant, pour ce qu'il vous eft aifé de deviner.Ceft là que, fans convenir d'aucun principe de politeffe,elle coule de fource,& y regne jufques dans les plus petites chofes : car ce qui vous rend extrêmement agréable, vous autres Meffieurs,c'eft une certaine liberté d'expreffion vive, noble, fleurie, fimple,aifée,élégante, pleine de feu:rien ne plaît davantage, cela vaut toutes les régles de l'art imaginables, & au-delà. Si vos pensées n'étoient peintes de la forte,elles perdroient une partie de leur beauté. Oui, fi vous vouliez examiner de près vos manieres de parler fi naïves, fi pures & fi hardies, vous les gâteriez. Elles font femblables à ces fruits tendres,délicats & frais cueillis, qui,dès qu'on en aterni la fleur à force de les manier, perdent quelque chofe de leur bonté & de leur faveur, ils n'invitent plus tant à être mangés:de même que ces livres d'un ftile trop régufier & trop deffeché,n'engagent guère à être lûs avec empreffement.Je conviens qu'on ne doit point abfolument écrire comme on parle; mais cependant,quand la locution est heureufe& bien naturelle, elle attache & divertit autant dans les écrits, que dans la converfation.Vous me direz que ce genre d'écrire que j'eftime tant,n'eft pas

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